Airbnb en Irlande : la justice française va-t-elle s’y intéresser  ?

par Antoine Loiseau
samedi 10 juin 2017

Interviewé le 31 mai par Les Echos, Emmanuel Marill, directeur d’Airbnb France et Belgique, a profité de l’occasion pour faire un tour d’horizon des dernières actualités de la startup californienne. Et si le directeur se montrait plutôt à l’aise au début de l’entretien, ce dernier a quelque peu perdu en assurance lorsqu’Olivier Harmant a décidé d’aborder le sujet de l’optimisation fiscale à laquelle se livrerait la plateforme.

En effet, après avoir salué son invité du jour, Olivier Harmant a dans un premier temps cherché à savoir si le récent décret promulgué en France, et qui offre à plusieurs villes la possibilité d’exiger des loueurs utilisant les plateformes numériques comme Airbnb qu’ils s’enregistrent en mairie, représentait un «  échec  » pour Airbnb. Sûr de lui, le dirigeant a alors calmement affirmé, qu’en réalité, il n’y avait «  pas de perdant dans l’histoire  ». 

L’ancien de l’EM Lyon trouve tout de même cette mesure «  disproportionnée  », car d’après lui, la plupart des hébergeurs sont des particuliers qui ne louent «  que de façon occasionnelle pour avoir un revenu complémentaire quelques semaines par an  ». Mais ce dernier se garde de critiquer ouvertement une décision dont les responsables politiques se félicitent, en particulier en région parisienne. «  Il faut réglementer intelligemment  », se contente-t-il de prévenir en laissant entendre que l’excès de contrôle pourrait nuire à l’économie en général.

Satisfait par la réponse obtenue, le journaliste des Echos décide d’aborder un sujet pour le moins sensible : l’optimisation fiscale. Olivier Harmant demande alors à Emmanuel Marill, «  si, aujourd’hui, un Français loue sur Airbnb un logement à un autre Français, un logement qui est situé en France, par où transite l’argent ? Est-ce que c’est par votre filiale française ou par une filiale située dans un pays à faible fiscalité  ?  » Une question loin de ravir son invité.

«  L’Irlande, je crois  »

«  Si un Français loue sur Airbnb à un autre Français ou à un étranger, l’argent est transféré par notre circuit classique, qui passe, par l’Irlande, je crois  ». Apparaissant alors beaucoup moins sûr de lui, Emmanuel Marill déclare que tous les revenus générés en France par la plateforme transitent bien par l’Irlande. Pays connu pour pratiquer des conditions fiscales bien plus avantageuses que la France : le taux d’imposition sur les sociétés y est de 12,5 % contre environ 30 % dans l’Hexagone.

Et ce n’est pas tout : en plus d’un taux d’imposition particulièrement bas par rapport au reste de l’Europe, l’Île d’émeraude se montre aux petits soins avec les multinationales américaines qui viennent s’y installer. Un comportement qui n’est pas toujours du goût des autorités européennes : en août 2016, la Commission européenne jugeait «  illicites  » les avantages fiscaux accordés par l’Irlande à Apple. La firme a donc dû rembourser à Dublin pas moins de 13 milliards d’euros pour compenser les «  aides d’Etat  » dont elle avait bénéficié entre 2003 et 2004.

Airbnb, prochain sur la liste de Bercy  ?

Et la marque à la pomme connaît des déboires du même ordre outre-Manche : Apple a en effet dû effectuer une provision de 12,2 millions d’euros à la suite d’un redressement fiscal notifié par Bercy, en raison d’un montage permettant à la filiale responsable de la gestion des Apple Stores français de payer très peu d’impôts dans l’Hexagone : entre 2012 et 2014, toutes les ventes indirectes étaient en effet facturées depuis… l’Irlande. Une technique qui devait permettre à la firme américaine d’échapper au fisc français.

Un procédé plutôt proche du «  circuit classique  » utilisé par Airbnb en ce qui concerne ses revenus générés en France. Une proximité qui a légitimement amené Olivier Harmant à insister auprès d’Emmanuel Marill afin de connaître les véritables raisons de l’utilisation de ce processus, avant de finir par lui demander directement si Airbnb pratiquait l’optimisation fiscale.

Poussé dans ses retranchements, le dirigeant choisit de botter en touche : «  Ce qui est important de noter, c’est que sur une nuitée à 100 euros payée en France par un étranger ou un Français, seulement 10 % de ce montant est perçu par Airbnb. 90 % du montant est reversé à l’hébergeur  ». Et d’ajouter : «  Cette formidable création de richesse, elle est locale, elle est tout à fait française  ».

Une réponse qui ne satisfait pas le journaliste des Echos qui décide de reposer une nouvelle fois sa question. Mais malheureusement, celui-ci n’obtiendra qu’une réponse creuse : «  Je ne suis pas législateur  », précise le directeur, pour ceux qui l’ignoreraient. «  Mais si demain il y a une harmonisation des conditions fiscales entre les pays d’Europe, il n’y a aucun problème. Airbnb se conformera, quoi qu’il arrive, à la loi. Airbnb est totalement dans le cadre de la loi  », assure-t-il.

Pourtant, les exemples de sociétés qui se sont vus imposer des redressements fiscaux en Europe pour des opérations plus ou moins similaires sont de plus en plus nombreux : Starbucks aux Pays-Bas, Fiat au Luxembourg, Google en Italie. Et au regard du «  circuit classique  » qu’utilise Airbnb et de la justification que propose son directeur France et Belgique, il n’est pas impossible que l’œil de Bercy se tourne bientôt vers la startup californienne.


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