Armes : disproportion de moyens, une maladie moderne

par Michel Koutouzis
mercredi 24 novembre 2010

 A la suggestion faite aux FARC d’utiliser des missiles sol-air traditionnels, vu l’état de l’aviation colombienne, ils répondirent : « nous voulons des stringer, le must du must, et nous en avons les moyens ». Noyés sous l’argent de la coke, ils avaient oublié pour quoi et surtout pour qui ils étaient sensés combattre. A l’enclave du haut Karabach, la guerre arméno - azéri a commencé avec des jets de pierre. Les bons et loyaux services des russes et des turcs ont transformé ce conflit en guerre moderne, où aucune arme « High Tech » ne manquait à l’appel à la fin du conflit. Encore aujourd’hui, des milliers d’hectares de terre cultivable est semé de mines antipersonnel et anti char de haute technologie (en plus simple, d’une extrême efficacité létale). 

Les exemples sont multiples, tant le marché des armes s’accommode parfaitement du troc de ses produits avec d’autres de haute valeur ajoutée. Pierres précieuses et pétrole en Afrique, cocaïne en Amérique latine, cannabis et opiacés en Asie centrale, tout comme au Caucase et dans les Balkans. D’autre produits sont échangés aussi : bois précieux (Asie, Afrique), drogues de synthèse (Corée, Birmanie), huile de palme, technologie, voitures volées, médicaments et textile contrefaits, cigarettes, produits industriels, métaux non - ferreux achetées chez le fournisseur par des « one purpose company », par définition éphémères, la liste est longue.

Plusieurs organisations non gouvernementales (certaines se spécialisant sur les armes à poing, d’autres au trafic d’armes), depuis la fin des années 1990, indiquaient à l’ONU et à l’UE, que ces dérives mégalomaniaques, touchent désormais les quartiers des grandes métropoles occidentales, et de plus en plus. 

Par ailleurs, cette inflation d’armes s’inscrit dans la logique du démantèlement et de et les vols massifs dans les casernes, que ce soit en Albanie, en Angola, en Géorgie, en Ex Yougoslavie, là aussi, la liste est interminable. La « pression » des kalachnikov volées et proposées au marché est si grande que certains pays producteurs (dont la Chine) proposaient il n’y a pas si longtemps, des copies parfaites pour un prix extrêmement bas (moins de cent dollars pièce). Certaines usines d’armement, en Ex Yougoslavie et en ex URRS par exemple, dépossédées d’un marché national dont elles avaient le monopole, se sont mises dans la vente en directe de leurs produits, faisant des prix soldés pour les munitions et leurs modèles en stock. 

Ainsi, l’offre a explosé. Le marché spécifique à la petite criminalité des cités, fut ciblé, des relais se sont créés, cyniquement et en connaissance de cause : il est évident que pour régler un problème de contrôle d’une cage d’escalier on a nul besoin d’armes d’assaut. Cependant, le pas a été franchi par ce que, la quasi disparition de la grande criminalité organisée et l’éclatement du marché de la distribution des drogues ouvrait des grandes perspectives commerciales, la demande n’étant plus centralisée et isolée mais chaotique et multiple.

La demande, c’est une évidence, est irrationnelle. Elle se situait encore, au début des années 2000, au niveau du symbolique. Mais le marché existait déjà. C’est l’accumulation des armes d’exhibition et « de la symbolique du pouvoir » qui aboutit aujourd’hui à la dérive de l’utilisation de ces armes. Puisqu’on les a, autant s’en servir.

L’âge des délinquants imberbes, corvéables à merci, est un facteur aggravant qui n’est pas loin de rappeler l’image des « enfants soldats » qui, agissant dans des pays exotiques, soulève l’indignation universelle depuis près de trente ans. En effet, entre jeu, jeux vidéo, images télé et réalité, le discernement enfantin chavire. « Johnny Mad Dog », le film de Jean – Stéphane Sauvaire sur les enfants soldats africains explique bien l’articulation chez l’enfant des éléments phantasmatiques, de jeu et de la contrainte qui ont comme première conséquence l’émergence d’une perte absolue de la sensibilité. 

Malheureusement, jusqu’ici, les moyens mis en place pour contrer ce phénomène, autrement plus dangereux que le trafic de drogue lui-même, ont été quasi inexistants.

Si on s’est sérieusement préoccupé du trafic d’armes, cela concernait essentiellement des aspects qui ont trait au terrorisme et en conséquences ses filières. Mais l’aspect commercial, organisé, et qui prend les bandes des quartiers, les « gardiens » des cages d’escaliers et des trottoirs comme cible, l’aspect intrinsèque « armes » - qui n’est que marginalement un simple problème de police -, lui, reste complètement évacué.

En effet, outre la volonté politique, il faut avant tout du renseignement (et pas celui de la police et de ses informateurs), une coopération internationale (aujourd’hui anémique) et qui concernerait les filières autonomes spécialisées dans les armes à poing, un contrôle bien plus strict des industries d’armement, et surtout un effort conceptuel qui permettrait de renverser « cause et effets » c’est à dire de considérer le trafic d’armes comme bien plus dévastateur pour la jeunesse que celui du shit.

Sinon, la kalachnikov deviendra le iPhone de nos quartiers.


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