Auto entrepreneur ou le travail au stade germinal

par Michaël de Jaham
samedi 23 janvier 2010

Il y a un peu plus d’un an maintenant, la loi dite de modernisation de l’économie instaurait un nouveau statut pour entreprendre ; « l’auto-entrepreneur ».
L’ambition affichée par le gouvernement était de faciliter la création d’entreprise en libérant les contraintes qui la restreignent. La procédure serait donc simplifiée et gratuite et le fonctionnement de l’entreprise sécurisé par le paiement de charges sociales uniquement en pourcentage du chiffre d’affaires à l’encaissement.
 
La formule magique qui allait sauver notre économie et sortir la France de sa torpeur était crée. La promotion de ce nouveau statut s’est faite à grand renfort de campagnes publicitaires sur l’ensemble des médias. On venait de lancer un nouveau produit marketing et il fallait le vendre. On n’annonçait chaque mois fièrement les nouveaux chiffres de création de ses autos entreprises, sans se soucier de la réalité du terrain.
 
Une réalité bien surprenante
Ainsi sur 100 euros de chiffre d’affaire encaissé, une auto entreprise réalisant des prestations de service (Ex : coiffure, nettoyage) ne paiera que 23 euros pour régler charges sociales et imposition. Autant dire que cela a défrisé quelques artisans qui y ont vus une concurrence déloyale compte tenu de leur propre imposition sans parler des frais liés à la création d’entreprise que les auto entrepreneurs ne paient pas. Par ailleurs, en l’absence de chiffre d’affaire déclaré, l’auto entrepreneur ne paie rien, mais continue de bénéficier de la couverture maladie des travailleurs indépendants. Cela revient, dans le cas d’absence quasi-totale de déclaration de chiffre d’affaire, à créer une autre forme de CMU qui ne dit pas son nom.
 
La légalisation du travail illégal...
Ce système purement déclaratif des charges sociales, appel une autre remarque d’importance. Dans la mesure où je suis déclaré comme auto entrepreneur, mon entreprise a une existence légale. Si je fais l’objet d’un contrôle, je peux justifier de la régularité de ma situation. Pour autant, rien ne m’oblige à déclarer les sommes retirées de cette activité. Et bien que le risque d’un contrôle existe ; il est d’autant plus faible que les inspecteurs n’ont déjà pas le temps de contrôler les entreprises dites classiques et que la publicité pour ce statut a provoqué une vague massive de déclarations. A ce petit jeu, il ne peut pas y avoir de flagrant délit de travail illégal, puisque les possibilités de contrôle ne sont qu’a posteriori…
 
Des entreprises qui gagnent…à être connues
Or, contrairement à la croyance répandue, les patrons de la très grande majorité des entreprises françaises ne roulent pas sur l’or. Loin du cliché de l’entrepreneur à la Tapie ou autre Kosciusko-Morizet, l’artisan ou le commerçant sont des chefs d’entreprise vivant le plus souvent très simplement. Si ils ne comptent pas leurs heures, les comptes de fin de mois sont serrés et de plus en plus serrés. Ils arrivent à vivre plus ou moins bien de leur activité mais n’en font pas des choux gras. Ils avaient par contre la réputation d’être des employeurs fidèles qui recrutaient dans la grande majorité des cas en CDI.
 
Un plus un égal zéro
Avec l’arrivée des auto entrepreneurs sur un marché d’autant plus restreint que la crise est passée par là, les entreprises se retrouvent bien plus nombreuses qu’avant. Si le gâteau n’est pas plus gros, les parts à se partager sont elles de plus en plus petites. Il est ainsi devenu courant de voir une entreprise de plus de 20 années d’existence déposer le bilan à cause de la concurrence d’auto entrepreneurs qui sont venus casser les prix du marché. L’ironie est d’autant plus forte, que les dits auto entrepreneurs étaient bien souvent les intérimaires auxquels l’entreprise faisait appel lors de gros chantiers. Une entreprise qui ferme, une auto entreprise qui pratique des prix casse-gueules et on arrive à cette solution arithmétique des plus surprenante un plus un égal zéro.
 
De l’entreprise au salariat, il n’y a qu’un pas…
Si il est évident que l’entreprise classique n’embauchera plus compte tenu de la concurrence, certains ont déjà trouvé la solution. Si cela se pratiquait déjà de manière ponctuelle dans le bâtiment, le statut de l’auto-entrepreneur en a démultiplié le recours. Au lieu de recruter des salariés qui coûtent chers, qui ont des horaires contraignantes et…qui partent en vacances, ils recrutent des auto entrepreneurs. Ou plus exactement, ils proposent des contrats de sous-traitance à des personnes qui ne savent plus vraiment où se trouve la limite entre le salariat et l’entreprise. Déclare toi comme auto entrepreneur et je t’embauche…Une belle promesse d’avenir.
 
Un faux salariat à faible coût
Si cette pratique a certes commencé dans le secteur du bâtiment, il n’aura pas fallu longtemps pour qu’elle fasse des émules dans tous les secteurs d’activité. Il n’est maintenant pas rare, que des entreprises vous convie à un entretien d’embauche à l’issue duquel elles vous proposent non pas un contrat de travail, mais bien un contrat de sous traitance. A vous les joies de l’entreprise, surtout quand vous ne l’avez pas souhaité.
 
Après la pluie, la douche froide
Le danger est d’autant plus aigu, que contrairement à un travail intérimaire ou à un CDD ; à la fin de sa mission le prestataire lié par un contrat de sous traitance ne bénéficie d’aucune indemnisation. Il n’est pas nécessaire d’aller voir le pôle emploi, puisque vous n’étiez pas salarié. Donc, plus de travail et plus de droits.
 
Si ce statut convient parfaitement à des personnes souhaitant exercer une activité indépendante à titre secondaire, il pourrait se révéler dangereux d’autant plus lorsqu’il est subi. L’entreprise se satisfait certainement de cette nouvelle race « d’entrepreneurs salariés », peu coûteux et corvéables à merci. Il est beaucoup moins sur que notre société sorte grandis de ce petit tour de passe passe tendant à faire de nous des individus soumis aux pures lois du marché sans autre garantie aucune. Dans une France qui se voudrait moderne et rénovée, il me paraîtrait urgent d’encadrer un statut qui au-delà du vernis, brille surtout par ses carences.
 
 

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