Baisser le coût du travail : pourquoi est-ce une mauvaise idée ?
par Mickaël DEFOUR
vendredi 25 octobre 2013
La baisse du coût du travail semble être devenue le Saint Graal de quelques journalistes et de quelques économistes souvent très médiatiques. L’un d’entre eux défend même avec acharnement ce genre de théorie tout en arborant une écharpe rouge, trompant le téléspectateur : comme si la gauche devait aussi se résigner à cette mesure qui s’imposerait, de manière si évidente.
La baisse du coût du travail semble être devenue le Saint Graal de quelques journalistes et de quelques économistes souvent très médiatiques. L’un d’entre eux défend même avec acharnement ce genre de théorie tout en arborant une écharpe rouge, trompant le téléspectateur : comme si la gauche devait aussi se résigner à cette mesure qui s’imposerait, de manière si évidente. Pourtant, la baisse du coût du travail fait partie de cette longue liste d’idées populistes qui vont à l’encontre de l’intérêt commun.
Même Louis Gallois en convient : la baisse du coût du travail, seule, ne rendra pas à la France ces 2.5 points de croissance espérés et attendus. D’autres paramètres entrent bien entendu en compte. L’un d’entre eux, en convient le commissaire générale à l’investissement, concerne les prix de l’énergie et plus précisément, sa disponibilité. Jean Marc Jancovici -Climatologue, Polytechnicien- en fait même une démonstration mathématique : Notre économie dispose des bras nécessaires, de travailleurs formés. Elle dispose d’infrastructures modernes et le capital est là pour investir. Dans cette configuration, les disponibilités énergétiques freinent - empêchent - toute croissance. Autrement dit : baisser le coût du travail, c’est agir sur un paramètre qui est déjà dans le vert. Toyota, qui vante régulièrement la qualité des travailleurs Français par rapport à leur coût, ne vous dira sans doute pas le contraire.
La macro économie est par définition une science compliquée. D’aucun sait qu’influer sur seulement l’un des paramètres d’une économie, est soit sans effet, soit à l’origine de problèmes inattendus dont le coût est souvent sous-estimé. Ainsi, baisser le coût du travail dans l’économie Française signifierait immédiatement une baisse des cotisations qui financent la santé, les retraites, le chômage. Le risque à prendre est immense car la baisse du cout du travail, dont rien de garanti qu’elle stimule l’emploi, commencera par poser un problème de trésorerie qui creusera encore et toujours plus, notre dette. La solution « Thatchérienne » consisterait à délester l’Etat de ce qu’il finance actuellement pour soulager le coût du travail et déplacer ces charges vers la consommation. Ce n’est que déshabiller Pierre pour habiller Paul : il s’agit là d’un choix idéologique plus que d’une véritable solution économique.
Baisser le cout du travail remplacerait immédiatement une frange non significative de chômeurs par des travailleurs pauvres : l’effet sur la consommation serait quasi nul et n’oublions pas que 80% des emplois précaires en France sont occupés par des femmes : cette mesure accentuerait une inégalité sociale déjà préoccupante. Une piste à étudier concernerait certains emplois qualifiés, à haut niveau de salaire, qui voient souvent leurs occupants accumuler les heures de travail à n’en plus pouvoir. Ce travail devrait être partagé d’autant que dans l’immense majorité des cas, les entreprises concernées en ont les moyens. La force de la loi pourrait ici, créer quelques emplois mais inutile d’en attendre un quelconque effet sur la croissance.
Prôner la baisse du coût du travail revient en outre à réfuter le caractère global de la crise. Certains de nos voisins très proches, ont des travailleurs moins bien payés, et traversent ce début de décennie avec tout autant voir plus de difficultés. Je pense notamment à l’Italie, qui possède un niveau d’industrialisation comparable au notre. Le coût du travail y est inférieur à celui de la France, comme dans quasiment tous pays les plus en difficultés de la zone euro. Certains économistes adeptes de la rigueur, se pavanent devant un trimestre de croissance de l’Espagne ou de la Grèce, sans se douter une seconde qu’il s’agit simplement du poisson qui s’agite sur le bord de la rivière pendant qu'il agonise : cette croissance sera, selon toute vraisemblance, sans suite, et leur agonie non sans conséquences. Si l’Allemagne s’en sort mieux, c’est principalement dû à son modèle industriel de production qui tire le meilleur des pays d’Europe de l’Est, lui permettant de garder intacte sa puissante industrie reconvertie dans de l’assemblage. Le très faible coût du travail en Europe de l'est permet provisoirement de compenser la hausse des prix de l'énergie. Mais l’Allemagne aussi, avance sur la piste d’un salaire horaire minimum, inquiète de constater que la rente des séniors ne suffira bientôt plus à soutenir le marché intérieur d’un pays qui ne pourra éternellement miser sur son excédent commercial.
Pour conclure, il faut reconnaitre à la France une spécificité qui fait office de modèle à mon sens trop peu assumé : celle de ne pas être encore véritablement un pays libéral. La justice sociale est ici supportée par le travail, ce qui n’a rien absurde dans la mesure où c’est aussi le travail, qui fabrique de l’inégalité. La France est un pays qui a tiré de bons enseignements de la crise des années 30 : les millions de chômeurs et de non travailleurs disposent tout de même du minimum vital ce qui permet deux choses : le non effondrement de la consommation, et la stabilité du pays. Un plus pour les affaires !
Mickaël DEFOUR