Bankrun 2010 ou le symbole du dysfonctionnement capitaliste

par Caleb Irri
mardi 7 décembre 2010

C’est étrange, mais bien réel : une idée lancée avec force et conviction peut faire du bruit jusqu’au plus haut des Etats… et même faire peur aux banques, réellement. Mais depuis quelques jours, en même temps qu’est médiatisée cette idée de retirer notre argent de la banque le 7 décembre, les économistes de tous bords expriment leur scepticisme quant aux bienfaits d’une telle action. Pour certains elle sera un échec cuisant inévitable, pour d’autres un pas de plus vers le gouffre qui nous attend. Et tout cela à coups d’arguments impossibles à vérifier tant la chose est nouvelle : en réalité, personne ne sait pas ce qui peut se passer.

Tout d’abord, il faut dire que ce mouvement, quelque peu spontané et non “professionnalisé”, n’a sans doute pas pris tous les paramètres en compte (mais qui le pourrait ?), ni même imaginé toutes les conséquences que pourrait avoir la réussite d’un tel mouvement. Car contrairement à ce que disent la plupart des commentateurs, la réussite du mouvement ne se jouera pas dans l’effondrement (ou pas) des banques, mais bien plutôt dans l’esprit des citoyens qui, par cette action, en viennent à se poser les vraies questions. Et elle est là, la vraie révolution. Les citoyens (qu’ils soient haut placés dans l’échelle sociale ou pas), en arrivent à discuter des conséquences d’une telle action, si elle se réalisait “pour de vrai”. Pour les gens “en haut”, cela signifierait le chômage pour les plus faibles, la fin des crédits, le défaut des banques… mais surtout la fin de leurs bénéfices justement faits sur le dos des “petits”, par la plus-value qu’ils dégagent de leur travail. Comme si on pouvait encore croire que les premiers se soucient du sort des seconds autrement que par la relation « dominant/dominé » qu’ils entretiennent…

Ensuite, il en est certains qui imaginent que ce sont les “gros » qui trinqueront, en évoquant que la banque est le soutien de l’économie, et que l’affaiblir serait comme se tirer une balle dans le pied. Mais qu’en ont à faire les centaines de milliers de personnes à qui le crédit est refusé, à qui les découverts s’augmentent d’agios toujours plus importants ? Il ne s’agit pas que quelques millionnaires retirent leurs millions, mais que les “petits” retirent tout ce qu’ils peuvent, c’est à dire tout ce qui reste (ou pas) une fois l’essentiel des prélèvements automatiques effectués. Retirer son découvert ne va pas vous rendre plus pauvre, et vous les aurez de toutes les façons dépensés comme d’habitude, avant de les avoir pu rendre. Votre prochain salaire comblera votre découvert précédent, et ce sera comme d’habitude, ou presque : car pendant ce temps-là, la banque ne se sera pas fait d’argent sur votre dos, en prêtant l’argent qu’elle a créé pour vous le prêter mais qu’elle n’a pas en réalité non plus (mais qui lui permet de réaliser, 24h/24, d’immenses bénéfices).

Mais enfin, répondrons les économistes forts savants, si vous empêchez la banque de gagner des sous sur votre dos, alors elle gagnera moins, et fera donc moins de crédits, moins d’emplois et blablabla… Et puis quoi encore ? Il faudrait donc se laisser plumer jusqu’au bout, en laissant tout ce qu’on peut à la banque pour qu’elle nous donne, peut-être un jour, l’occasion d’avoir un prêt qu’il faudra rembourser avec moult intérêts, et puis en plus la remercier de l’avoir fait ?

Il faudrait donc laisser les banques s’en mettre plein les poches avec notre argent, au titre qu’elles font (quand même) des emplois ? mais combien pourrait-on faire d’emplois supplémentaires si au lieu d’exiger 15% de rentabilité les actionnaires n’en demandaient que cinq ? n’y aurait-il pas alors plus de crédits octroyés, plus d’emplois et blablabla ?

Non, cela est trop facile ! autant s’avouer vaincu dès maintenant et dire “faites de moi votre esclave”, et n’en parlons plus ! vouloir sauver les banques est appauvrir le peuple (et sa descendance), mais vouloir les couler c’est aussi l’appauvrir ? je crois qu’il y a une des deux propositions d’erronée, n’est-ce-pas ? Ou alors nous sommes perdants quoi qu’il arrive, et c’est cela qu’il faut retenir de cette réflexion…

Alors que faire ?

Et bien c’est là toute la question. Si tous ceux qui le peuvent retirent leurs quelques euros de la banque en même temps, de la même manière que les petits ruisseaux font les grandes rivières, la banque ne pourra pas suivre, car elle n’a en réalité que peu de liquidités (fonds propres) en sa possession. Tout le reste n’est qu’argent fictif, et c’est bien là toute la contradiction, toute la fragilité du système. C’est là que repose l’illusion de richesse de nos nations dites « développées », toute l’arnaque dont les peuples sont victimes : les banques se font de l’argent réel sur le dos de l’argent fictif qu’elles nous prêtent à des taux scandaleusement élevés, et ne gagnent leurs immenses bénéfices que grâce à la réalité de l’exploitation des petits salaires contraints de payer plus lorsqu’ils sont plus pauvres.

En retirant notre argent de chez eux, les petits ont justement plus à gagner que les gros : la banque est à la merci des premiers qui, s’ils retiraient jusqu’à leur découvert, la laisserait en faillite rapidement. Et s’ils ne venaient pas rendre cet argent ? Et si le mouvement se développait partout et prenait de l’ampleur ?

Ce n’est pas alors une action stupide ou dangereuse mettant en difficulté une ou deux banques, mais bel et bien le résultat de la prise de conscience des peuples qui diraient ensemble qu’ils refusent de continuer à jouer à ce jeu de dupes. C’est tout le système qui se retrouverait menacé d’effondrement, et les rapports de force qui seraient ainsi transformés… à l’avantage du peuple.

Et quoi qu’on en dise, à choisir entre le chaos imposé par nos dirigeants ou la révolution proposée par les citoyens, je préfère encore la seconde possibilité. A nous seulement d’en faire quelque chose de constructif, de positif : les moyens existent, et il faudra bien un jour qu’on se décide à les utiliser.

Caleb Irri

http://calebirri.unblog.fr


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