Banque mondiale et climat : un discours officiel bien loin des réalités du marché

par Jérôme Picard
samedi 16 mai 2015

A seulement quelques mois de la conférence internationale de Paris pour le climat, rendez-vous historique destinée à conclure un accord global de lutte contre le réchauffement climatique, la Banque mondiale, a dévoilé ce lundi 11 mai dernier les conclusions d'une nouvelle étude en faveur d'une décarbonisation rapide de l'économie mondiale. Intitulé « Decarbonizing development » (« décarboniser le développement »), ce rapport insiste sur les incidences entre le réchauffement de la planète et les politiques de développement et encourage les Etats à s'engager pleinement dans les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Un discours positif qui oublie pourtant d'évoquer le rôle croissant de la Banque mondiale dans le financement de projets énergétiques fossiles et carbonés dans les pays en voie de développement. 

S'engager au plus vite dans une véritable politique "zéro carbone" afin de réduire à néant les émissions de C02 d'ici la fin du siècle et contenir ainsi la hausse des température à 2°C. Voilà en résumé les conclusions du nouveau rapport de la Banque mondiale sur les enjeux du changement climatique. 

Un rapport, qui sans révolutionner la lutte pour le climat, aura au moins l'avantage de faire du changement climatique un enjeu structurant de l'institution financière internationale et de ses principes de fonctionnement. Celle-ci réaffirme en effet la nécessité d'accélérer le mouvement de transition énergétique en développant au maximum les énergies renouvelables et les technologies de captation et de stockage de CO2 pour une production d'électricité plus propre et plus durable. Une production qui devra alors être étendue dans les secteurs d'activité fortement énergivores comme les transports ou la construction via le développement de la mobilité électrique par exemple. 

La Banque mondiale évoque également le besoin de réduire de manière significative notre consommation d'énergie et de mieux gérer l'usage des terres afin de préserver et de garantir des zones naturelles indispensable à l'absorption du carbone. 

Pour cela, la Banque mondiale n'innove pas vraiment et se contente de reprendre à son compte les seules propositions connues à l'heure actuelle pour inciter les gouvernements et les acteurs des filières énergétiques à réduire leurs émissions de CO2. On parle ici des mêmes conclusions évoquées il ya quelques mois par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), à savoir l'instauration d'un marché des quota (comme c'est déjà le cas avec relativement peu d'effets en Europe) ou l'imposition de la taxe carbone. 

Cette dernière pourrait être beaucoup plus efficace pour la Banque mondiale en cas de généralisation à l'ensemble de l'économie mondiale et pour cause. En tant que taxe, elle est en effet plus facilement imposable et percevable auprès des grandes raffineries, limitant ainsi les fraudes et son coût de fonctionnement. 

Pour exemple, "au Royaume-Uni, l’évasion fiscale représente près de 9 % de l’impôt sur les sociétés et 17 % des impôts sur le revenu, contre 2 % pour les droits d’accises sur le diesel", souligne Marianne Fay, économiste en chef de la Banque mondiale pour le changement climatique.

Les montants de ces recettes devront alors être intégralement redirigés vers le financement d'infrastructures énergétiques adaptées à la décarbonisation de nos sociétés : moyens de production renouvelables, interconnexions des réseaux électriques ou réseaux de transports urbains, etc.

Rien de vraiment nouveau donc et même si un rappel à l'ordre des Etats de peut pas faire de mal, une simple taxation ne semble pas suffisante. "C’est une piste intéressante, mais la transformation profonde de l’économie ne peut se résumer à des mécanismes de prix du carbone", commente Thomas Spencer, directeur du programme Energie et climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Cela suppose aussi des trains de mesures précises sur l’innovation, l’efficacité énergétique, les infrastructures, insiste le chercheur. Le signal envoyé par la Banque mondiale doit être amplifié par d’autres institutions, le Fonds monétaire international par exemple, qui n’a pas encore intégré le changement climatique comme un enjeu structurant". 

D'autre part, comme le souligne Le Monde, si le rapport mentionne plus de 25 pays ayant "réformé" entre 2013 et 2014 leur politique de subventions aux énergies fossiles, il n’évoque pas les flux internationaux par lesquels les pays industrialisés soutiennent les projets charbonniers, pétroliers et gaziers des pays en voie de développement, dont la Banque mondiale est un vecteur. En 2014, elle a même accru le volume de ses financements à des projets d’extraction ou d’utilisation de combustibles fossiles, à hauteur de 3,3 milliards de dollars, (2,9 milliards d’euros) contre 2,5 milliards (2,2 milliards d’euros) les deux années précédentes, pointe le collectif Oil Change International.

Crédits photo : Victor Grigas


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