Bientôt le baril à 175 dollars, faut-il paniquer ?

par Bernard Dugué
samedi 28 juin 2008

Le baril vient dit-on de franchir la barre symbolique des 140 dollars. Et bientôt, la barre encore plus symbolique des 150 dollars sera atteinte, sans doute avant août où selon un cadre de l’OPEP, le seuil de 170 dollars n’est pas une hypothèse farfelue, compte-tenu de la demande en cette période estivale. Et après ? Une légère chute peut-être mais en 2009, la barre doublement symbolique des 200 dollars sera atteinte. Faut-il s’en inquiéter ?

Le baril s’est échangé autour de 142 dollars, un niveau que n’auraient jamais parié les plus pessimistes, il y a six mois. Mais le fait est là, la demande aidant et la spéculation aussi. La bourse baisse fortement. A noter une présentation des faits dans la presse qui semble pour le moins arbitraire pour ne pas dire fantaisiste. La chute des bourses serait due à la pénalisation de l’économie par le baril élevé. Et si on inversait la séquence causale. La bourse qui chute parce que les capitaux vont se placer sur les matières premières et notamment le pétrole. C’est une hypothèse très plausible et simple à comprendre. Pour spéculer sur le baril, il faut de l’argent, beaucoup d’argent, vu le niveau atteint et qui a de l’argent sinon les responsables des fonds d’investissement. Mais cet argent est quand même limité et si on veut miser sur le pétrole, alors il faut se désengager de son portefeuille d’action, les vendre d’où la chute des indices boursiers. De toute façon, beaucoup de titres étaient surévalués par rapport à leur potentiel de rendement. Les riches ont trop d’argent et en plus, ils veulent que ça rapporte plus que raisonnable, pour avoir plus que trop d’argent. Ainsi roule l’économie.

La hausse du baril va être pour autant pénalisante pour l’économie ? Rien n’est moins sûr. Ce qui est certain, c’est que peu à peu, cette situation va conduire le dispositif industriel à se transformer pour épouser les contours d’une économie où le pétrole est rare, donc cher. Les énergies alternatives vont devenir concurrentielles. Il fera bon investir dans les capteurs photovoltaïques et pour les propriétaires de maison, jouer sur les accumulateurs thermiques, voire installer quelque éolienne dans le jardin si celui-ci est bien exposé. De quoi économiser tout en amusant les enfants. L’éolienne avec sur les pales des dessins de Mickey et Donald, voilà un concept très porteur ! Il faudra apprendre à économiser, trois ou quatre degrés de moins l’hiver dans la maison ou l’appartement. Les pulls fabriqués en Chine ne seront pas très chers. Finie la dolce vita et la piaule à 22 degrés. Il n’y aura pas mort d’homme. A noter également une refonte du commerce dans la mesure où l’énergie du transport sera coûteuse, il deviendra plus rentable de fabriquer sur place et ce sera une bonne nouvelle pour tous ceux qui redoutent les délocalisations.

Le pétrole cher n’est pas forcément une calamité pour l’économie et c’est même un point de détail pour qui comprend les rouages du marché. Les consommateurs devront payer le prix s’ils ont besoin des produits dérivés du pétrole, selon la part que représente l’or noir dans le prix au détail. Si c’est du fuel, ça va être lourd, si c’est un disque vinyle l’impact sera minime et d’ailleurs plus personne n’achète des disques vinyle sauf des amateurs de son analogique. Si bien que le prix élevé de la galette de 30 cm est dû à son coût de production. Pour l’essence, le prix n’augmente pas proportionnellement à celui du baril en Europe vu que les taxes sont très élevées, contrairement à d’autres pays et notamment chez les Américains qui doivent sacrément tirer la gueule. Mais est-ce bien grave ? Les Américains ont pris l’habitude de vivre à crédit et leur pouvoir d’achat est au-dessus de celui des Européens alors on ne va pas pleurer sur des gens qui ont tout ce qu’il faut, excepté les pauvres. Prenons chez nous le cas d’un automobiliste qui fait ses 15 milles bornes par ans avec sa caisse. Une moyenne. Consommation, on va dire 1000 litres. Surcoût annuel lié à frais de déplacement, professionnels et ludiques, 200 ou 300 euros, selon qu’on considère un écart de 20 ou 30 centimes le litre entre le prix ancien jugé convenable et le prix actuel. C’est quoi 300 euros, dans le budget d’un ménage moyen ? Pas grand-chose, prenez les abonnements de téléphonie mobiles pour monsieur et madame et ses deux rejetons, ça fait du 80 euros par mois, plus les abonnements télé, voire les jeux vidéos en ligne et on arrive facilement à 1000 euros. Un écran plat, 800 euros ! Séjour au ski, 2000 euros. Allez, on ne va pas pleurer sur les ménages moyens et un peu plus, mais pourtant, ce sont eux qui se plaignent à la télé. C’est une question de marché et de choix. Et puis 300 euros, c’est même pas le tarif d’une révision chez le concessionnaire. En fait, ce surcoût à la pompe, il est mal vécu parce qu’il touche un produit habituel dont on ne comprend pas pourquoi il devrait augmenter. Par contre, les nouveaux mobiles, les I-phones à 1000 euros, les abonnements surfacturés, les écrans plats, tout le monde est prêt à raquer pour y accéder.

En bref, l’augmentation du pétrole n’aura qu’une incidence mineure dans les pays avancés, modifiant légèrement ce qu’on appelle les postes budgétaires. Il faudra reporter sur d’autres postes le surplus dépensé en essence ou en chauffage. Ce sera un manque à gagner pour le marché des livres, la restauration, le cinéma, mais pas de quoi crier au grand effondrement. A l’échelle internationale, l’augmentation du baril va toucher deux économies différentes, celles des pays producteurs et celle des pays émergents à forte dépendance énergétique. Les producteurs vont voir leur croissance augmenter. C’est logique. Imaginez une économie reposant à 100 % sur les ressources en pétroles. En une année, si le baril passe de 100 à 140 en moyenne, la croissance sera de 40 points. Incroyable ! Dans la réalité, la part du pétrole dans une économie nationale peut représenter 10 à 20 %, ce qui donne au final quand même 4 à 8 points de croissance dans l’exemple cité. Incroyable ! Mais que feront les pays de toute cette croissance qui semble pour le moins assez artificielle ou du moins tombée du ciel ? Eh bien cela permettra à ces pays chanceux d’avoir des ressources de se développer, d’élever le niveau de vie de ses concitoyens. Avec des investissements à la clé, ou des importations de biens produits par les autres économies. Une autre possibilité repose sur la dynamique des fonds souverains dans le cas ou le pétrole est nationalisé, comme c’est souvent le cas. L’or noir pourra être investi dans les grands groupes. Les Emirats, l’Arabie Saoudite, pourraient devenir propriétaires de Renaut ou Sanofi par exemple. L’argent engrangé au Moyen Orient ou en Inde par exemple, permet aux intéressés de se rendre maître de quelques industries. Ce fut le cas de Mittal. Peu importe la nature du bien négocié. Mittal a prospéré sur le métal en créant des produits finis. Les pays producteurs ne créent rien mais ils bénéficient d’une forte demande. Cela pourrait paraître scandaleux mais ça ne l’est pas plus que chez nous le propriétaire d’un bout de terrain en ville et qui faisant monter les enchères le vend à prix d’or aux promoteurs assurés de vendre leurs appartements au prix du marché assez élevé.

On peut lire ça ou là que les pays émergents sont entrés dans leurs Trente Glorieuses. Ce n’est pas faux. Sauf que les contours industriels n’épouseront certainement pas ceux des Trente Glorieuses occidentales avec le développement intempestif de l’automobile. Une civilisation un peu différente au sens technique, social et culturel, émergera et d’ailleurs, ces pays ont déjà une culture si différente, pensons à l’Inde et la Chine. Mais sans opter pour le tout automobile car on ne voit pas comment l’Inde, la Chine et d’autres pays étendus tel le Brésil ou le Nigeria pourraient imiter le modèle américain des années 1960 et suivantes, avec trois automobiles par foyer. L’économie va prospérer et fera des inégalités comme avant. Cette augmentation du baril, elle ne trouble que les individus routiniers pestant dès que quelques grains de sables font dérailler de deux pouces leur quotidien. Et les médias ont tellement pris le souci de materner cette plèbe râleuse que les reportages à la con du JT ne sont pas près de se terminer, avec les pauvres familles de France avec le budget de la rentrée et les cartables griffés qu’il faut acheter à tout prix pour ne pas faire pleurer les morveux qui seraient bien capable de se venger et de planter leur année scolaire. Quant à ceux qui pourraient être touchés par le prix de l’essence et du fuel, c’est assez accessoire, au vu du système qui en mettant les uns aux chômage et les autres à la précarité, crée des situations ô combien plus injustes que les quelques sous du baril en augmentation. Et là, le pétrole n’y est pour rien. Et la monnaie circulant, l’économie ne va pas s’effondrer pour autant, bien au contraire, elle va suivre sa course et si elle est malmenée, c’est surtout à cause de cette voracité du monde de la finance. Le pétrole ne doit pas être le bouc émissaire du choc actuel, comme il fut le coupable en 1973. Les responsables du malaise social sont ailleurs.


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