Blair chez LVMH : volonté d’influence manifeste, mais risque informationnel majeur

par zitakicks
samedi 20 février 2010

Tony Blair va-t-il permettre au groupe propriétaire de Louis Vuitton de franchir un nouveau palier dans sa quête de suprématie ? Ou va-t-il devenir le maillon faible mettant un frein à une croissance internationale jusqu’alors époustouflante ?

L’annonce dans les journaux britanniques du prochain rôle probable de l’ancien premier ministre auprès de Bernard Arnault – en tant que « conseiller » – arrive en effet dans un contexte qu’il faut savoir décrypter pour envisager correctement l’impact potentiel de ce recrutement surprenant, si toutefois il devait se concrétiser.

Pourquoi Tony Blair ?

On peut s’interroger sur les raisons qui poussent le cinquième PDG le plus riche du monde à vouloir s’entourer de l’ancien dirigeant du Royaume-Uni : n’y a-t-il aucune personnalité en France à la fois disponible et compétente pour exercer une telle fonction ?

Si une première indication est à chercher du côté de l’amitié de longue date qui lie les deux protagonistes, une deuxième explication réside probablement dans le savoir-faire anglo-saxon en termes d’influence. Dans ce domaine, nos voisins d’outre-manche ont en effet largement fait leurs preuves, à plusieurs reprises, et d’ailleurs souvent à nos dépens. Les habiles manœuvres « d’égarement de la concurrence » menées par British Aerospace dans les années 80 (BAe trompant Thomson CSF à travers un programme de co-développement pour un missile) ou encore l’attribution des JO de 2012 sont deux exemples bien ancrés dans notre mémoire collective. Dans ce dernier cas, Tony Blair fut d’ailleurs particulièrement actif et efficace dans son approche, qu’il avait choisit d’articuler autour d’une stratégie de lobbying direct parfaitement assumée. Un troisième élément déterminant dans le choix de Bernard Arnault concerne très certainement le marché Indien, qui avec plus d’un milliard d’habitants représente une manne conséquente. Le recours à un relais anglais comme levier stratégique et politique dans le but d’accroître son influence en Inde constitue sans aucun doute une démarche parfaitement intelligente, et éclairée, surtout si l’on estime que cet ancien terrain de jeu de la British East India Company n’a pas totalement oublié ni renié son passé.

 

Risque informationnel majeur pour le géant Français du luxe ?

Si l’intérêt de LVMH pour les qualités de Tony Blair semble assez compréhensible, le contexte dans lequel cette annonce pourrait bientôt être officialisée est en revanche un facteur de risque évident, puisque la période est doublement sensible : crise économique mondiale d’une part, et commission d’enquête Chilcot sur l’Irak d’autre part. A cela s’ajoute un ensemble de contradictions et de fragilités chez Tony Blair, que ses détracteurs les plus virulents ne vont pas manquer d’exploiter.

D’abord la crise mondiale. Elle a fait vaciller le piédestal sur lequel les élites s’étaient installées depuis plusieurs années, puisque celles-ci ont été globalement jugées responsables de la situation dramatique de l’économie actuelle. La sphère politico-économique anglo-saxonne est particulièrement visée par cette forme de « fat-cat bashing », ce qui n’est pas totalement injustifié. Dans ce contexte difficile, que Tony Blair, homme politique de gauche – du moins dans son pays – décide de s’engager en affaires pour faire fructifier la fortune d’un empire surpuissant, qui de surcroît fournit des biens de consommation superflus aux classes sociales planétaires les plus aisées, ne peut qu’exacerber le sentiment de malaise de populations révoltées par certains abus récents.

Dans le même temps, les liens discutables qu’entretiennent les familles Blair et Arnault peuvent également servir de catalyseur dans le cadre d’une stratégie de déstabilisation menée par un concurrent. La femme et les enfants de Tony Blair ont en effet profité à plusieurs reprises de largesses du magnat Français, il serait donc assez facile pour un groupe ennemi de choisir cet angle d’attaque pour mener une campagne de dénigrement. Les histoires d’accointances entre politiques et hommes d’affaire trouvent la plupart du temps une résonance substantielle dans l’opinion.

Concernant le volet irakien, il constitue une autre faille côté Blair. Celle-ci repose sur son choix discutable – et aujourd’hui très discuté – de s’aligner sur G.W.Bush dans la guerre en Irak, pour de mauvaises raisons. Sa crédibilité dans le monde entier s’en trouve passablement entamée. Une large frange de la population – anglais en tête – semble ainsi lui en vouloir d’être en partie responsable d’un certain nombre de tensions actuelles. Les attaques sont d’ailleurs assez virulentes, avec des slogans radicaux et dévastateurs allant jusqu’à des "Blair, criminel de guerre".

 

Quand on pense à la force du logo Louis Vuitton et à la surexploitation du « monogramme LV », déjà si familier pour des millions de chinois qui le considèrent comme un symbole de réussite ultime, on s’aperçoit que la marque s’expose dangereusement. Il suffit en effet d’imaginer le pouvoir nuisible d’une campagne de détournement du logo, qui serait extrêmement simple à orchestrer avec Photoshop, un peu d’imagination, et un choix de vecteurs judicieux. On comprend alors aisément qu’il serait préférable pour la marque Française de ne pas sous-estimer l’impact potentiel des choix qu’elle effectue.

 

Dans sa position actuelle, le plus grand danger pour LVMH serait sans aucun doute de se sentir intouchable du fait de ses superbes résultats. Le groupe est au contraire une cible idéale, et parfaitement accessible pour de nombreux prédateurs ou rivaux.

 

J.C.M.


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