« C’est notre devise mais c’est votre problème »

par Michel Santi
lundi 26 novembre 2007

En réponse aux préoccupations européennes face à la chute du dollar durant la présidence Nixon, le Secrétaire au Trésor américain, John Connally, eut cette fameuse répartie : « le dollar est notre devise mais c’est votre problème ». De fait, cette réplique illustre parfaitement l’attitude des autorités américaines vis-à-vis de la tendance lourde d’affaiblissement de leur devise depuis les années 70. Cette attitude de royale insouciance par rapport aux aléas du dollar a été qualifiée de « benign neglect » et a marqué de son empreinte la quasi-totalité de la politique monétaire américaine depuis l’abandon de l’étalon-Or en 1976.

Il est vrai qu’à ce jour la chute du billet vert nuit principalement aux entreprises basées en Europe et dans les pays dont les devises flottent librement car elles perdent substantiellement de la compétitivité par rapport aux entreprises américaines. De plus, les investisseurs étrangers ayant investi aux Etats-Unis subissent de plein fouet cette baisse du dollar car, traduit dans leurs propres devises, le rendement de leurs investissements aux Etats-Unis se rétrécit comme une peau de chagrin. A l’inverse, les exportations américaines prennent l’ascenseur et ce d’autant que les baisses des taux d’intérêts de septembre et d’octobre impulsées par la Réserve fédérale avaient pour but avoué d’encourager les exportations américaines par l’entremise de l’affaiblissement du dollar. La valorisation des investissements américains hors de la zone dollar s’est fortement accrue car ceux-ci, libellés en devises étrangères, ont vu leur valeur flamber dès lors qu’il fallait les convertir en dollars afin de les valoriser dans les bilans ou dans les portefeuilles.

En dépit de la balance des paiements américaine qui demeure très largement déficitaire et en dépit de ce quasi effondrement du billet vert, les investisseurs étrangers n’ont pas encore réagi négativement au point d’acculer la FED à augmenter ses taux afin de compenser les risques toujours plus grands pris par eux. Au contraire, les entreprises étrangères ont même dû consentir à des sacrifices pour ne pas augmenter les prix de leurs biens vendus aux Etats-Unis et ont ainsi joué le jeu en évitant que cette baisse du dollar n’ait des répercussions inflationnistes aux Etats-Unis. Cependant, avec un dollar qui a frôlé aujourd’hui les 1,50 par rapport à l’euro, il sera quasi impossible de juguler cette inflation importée, inflation importée accentuée par la montée en flèche des prix de l’énergie et des divers matériaux et denrées (commodities) exprimés en dollar.

En même temps, cette forte dépréciation de la devise américaine exacerbe les tensions commerciales et économiques avec la plupart des partenaires des Etats-Unis car elle met en danger par exemple un pays comme la Chine dont la devise est liée au dollar en gonflant encore plus sa bulle boursière et sa pression inflationniste. D’une manière générale, par leur laissez-faire, les Etats-Unis vont engranger une série de problèmes structurels dans une économie mondiale où certaines superpuissances ont leurs devises qui flottent librement pendant que d’autres ont leurs devises indexées au dollar.

La Banque centrale américaine part du principe que les déficits américains actuels sont déjà reflétés dans le niveau actuel de leur devise. Si tel est le cas, le dollar devrait se stabiliser à ce niveau et il ne constituera effectivement un problème que pour les étrangers. Pourtant, il pourrait également - et ce scénario n’est pas du tout à exclure - continuer sur cette pente savonneuse, augmentant sensiblement les risques d’une récession aux Etats-Unis qui succéderait à la crise actuelle du crédit. Ce phénomène découragerait considérablement - pour ne pas dire plus - les investissements étrangers et, dans cette hypothèse, l’on pourrait rétorquer à M. Connally que c’est leur devise et leur gros problème. En effet, une chute supplémentaire du dollar jusque vers les 1,60 pourrait voir les investisseurs étrangers se précipiter vers les sorties de secours, contraignant ainsi la FED à relever ses taux à un moment où l’économie du pays pourrait désespérément avoir besoin de taux bas. Un tel scénario a néanmoins peu de chance de voir le jour mais sa possibilité devrait faire réfléchir les responsables américains car les taux de change ont une influence de plus en plus prépondérante sur la politique monétaire d’un pays. Une banque centrale ne peut se payer le luxe de laisser filer impunément sa devise, dans un sens ou dans l’autre, sans être exposée sur le plan de sa politique monétaire nationale. La légèreté américaine est d’autant plus troublante que la perte de confiance des investisseurs étrangers pourrait être exacerbée par les déficits gigantesques qu’entretient le pays. Certes, le monde financier a jusqu’à présent considéré que la Réserve fédérale américaine était omnipotente et lui a jusqu’à ce jour donné un chèque en blanc. Toutefois, cette situation pourrait se dégrader si la FED continue à être convaincue et à agir comme si le dollar n’était un problème que pour les étrangers.


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