Calcul socialiste et socialisme de marché
par Paul Jael
mardi 7 janvier 2020
Socialisme et rationalité économique
Il n'est pas inintéressant de savoir qu'au cours des années vingt et trente du vingtième siècle, des économistes ont débattu de la question de la rationalité du socialisme et plus précisément de l'économie planifiée. Parmi eux, quatre des plus grands économistes de l'époque :
Mises (von) Ludwig
Autriche
1881-1973
Hayek (von) Friedrich
Autriche / G-B
1899-1992
Lerner Abba
Etats-Unis
1903-1982
Lange Oskar
Pologne
1904-1965
Je me contenterai d'un résumé très bref, car j'ai publié sur internet un article à ce sujet, dont voici le lien :
Article publié sur le site du MPRA
Il faut savoir que les écrits de Marx analysent abondamment le capitalisme mais sont très discrets à propos du socialisme. Le marché est, selon Marx, source d'anarchie en conséquence de quoi l'économie socialiste doit être guidée par un plan ; mais Marx ne donne aucun détail sur le contenu du plan et la manière de l'élaborer.
L'Américain Taylor et le Britannique Dickinson sont les premiers à apporter comme réponse la modélisation de ce qu'on appellera "le socialisme de marché". Aux extrémités du processus de production, les prix sont déterminés par deux marchés :
- en amont, les facteurs de production primaires (travail et terre) sont rémunérés au prix permettant leur plein emploi
- en aval, les produits sont vendus aux consommateurs à un prix évitant l'accumulation d'invendus.
Partant de ces contraintes, le ministère de la production fixe les prix des produits intermédiaires de telle façon qu'ils égalent le coût de production. La méthode préconisée est celle de l'essai-erreur. L'intérêt sur le capital ne disparaîtrait pas dans ce système.
Lange reprend les idées de Taylor et Dickinson et insiste sur la proximité de la problématique avec l'approche de l'économie de marché par Walras et Pareto. Lange, disciple de ces deux fondateurs de l'économie néoclassique, reprend leur théorie des prix paramétriques : les entreprises et les ménages, pour autant que la concurrence les prive du pouvoir d'influencer les prix, établissent pour chaque système de prix potentiel un programme d'achats et de ventes de bien et de facteurs qui optimise leur situation. Walras et Pareto ont démontré l'existence d'un système de prix équilibrant simultanément tous les marchés lorsque
Lerner reprend l'idée des prix paramétriques et expose les deux règles que doivent respecter les directeurs des entreprises d'Etat :
- Engager de chaque facteur des unités tant que leur prix reste inférieur à leur produit marginal en valeur
- Augmenter la production des biens tant que leur prix reste supérieur à leur coût marginal
Ces règles correspondent à la description du comportement du producteur en concurrence parfaite par l'économie néoclassique.
Tout en reconnaissant l'avancée que représentent ces contributions, Hayek reste sceptique et énumère une série de problèmes que le système Lange-Lerner ne résout pas :
- création de nouveaux produits,
- nouvelles méthodes de production,
- produits non standardisés,
- anticipation des prix futurs,
- sélection des investissements,
- motivation des dirigeants à réduire les coûts.
On a accordé l'appellation "socialisme de marché" au système de Lange, mais à l'exception de la vente au détail et du travail, il ne comporte pas de marché réel ; il y a juste un marché virtuel dans le cerveau du planificateur et accessoirement dans celui des chefs d'entreprise. A mon avis, le socialisme à la sauce Walras-Pareto de Lange est une aberration. Il est inapplicable. Paradoxalement, la thèse de Lange met en lumière les insuffisances de la théorie walrassienne. Elle ramène le fonctionnement de l’économie à la solution d’un système d’équations simultanées[1] ; l’entrepreneur en est le grand absent. Elle ne convient ni pour le capitalisme ni pour le socialisme.
Pour répondre aux objections de Hayek, il faut transposer la solution dans le monde réel. Et pourquoi pas remplacer les marchés virtuels de Lange par des marchés réels ? Le système mériterait alors son appellation « socialisme de marché ». Divers auteurs (dont moi) ont réfléchi à cette piste. C’était l’objet de l’article « Le socialisme peut-il être de marché ? » que j’avais posté sur Agoravox le 10 juillet 2019.
[1] Qui devrait comporter au bas mot des milliers d’équations et d’inconnues.