Carrefour Brésil dans la tourmente : une nouvelle affaire Alstom ?

par Jean Jacques Granianski
samedi 22 juin 2019

Alors que la filiale brésilienne de l’enseigne tricolore fait l’objet d’une enquête anticorruption, le parquet de Paris accuse une fin de non-recevoir aux appels des juges brésiliens.

C’est à l’évidence l’un des marchés les plus prometteurs du groupe Carrefour. Implanté au Brésil depuis 1975, l’enseigne française est avec 409 magasins la première entreprise de distribution alimentaire dans le pays. Septembre dernier, Carrefour Brésil, a fait savoir qu'il investirait 1,8 milliard de reais (plus de 377 millions d'euros) en 2019 dans l'ouverture de nouveaux magasins. Enregistrant une forte croissance, Carrefour Brésil affiche une santé insolente et se taille la part du lion des 18% de parts de marché du géant mondial de la grande distribution en Amérique latine.

Mais en décembre dernier, l’enseigne tricolore s’est retrouvée plongée au cœur d’une grave polémique après qu’un vigile ait empoisonné et battu à mort un chien errant dans un magasin Carrefour à Osasco, dans la banlieue de Sao Paulo. L’affaire a suscité une vague d’émoi dans tout le pays et contraint l’enseigne à réagir.

 

« 240 contentieux fiscaux »

Un scandale devant cacher un autre, la justice brésilienne poursuit de son côté une enquête de corruption de grande échelle qui concerne la filiale brésilienne du groupe. En mai dernier, quelques articles laconiques - ressemblant davantage à des communiqués rédigés par les services de communication de l’entreprise -, relayés dans la presse boursière française et brésilienne, ont fait état de 240 contentieux fiscaux opposant la filiale du groupe français, Atacadão S.A, à l’Etat brésilien. Objet du litige : des maquillages des comptes dans des opérations de transferts de produits de base entre plusieurs États brésiliens afin de court-circuiter l’impôt brésilien sur la circulation des marchandises et prestations de services pour un montant total d’environ 183 millions d’euros.

Un audit interne avait du reste révélé que la direction de Carrefour Brésil négociait directement des rabais avec les fournisseurs sans passer par les centrales d’achat du Groupe et aboutissait à des provisions pour charges exceptionnelles. L’affaire remonte à 2010. À l’époque, la découverte d’un trou de plus d’un milliard de reais dans les comptes avait provoqué le départ du PDG de Carrefour Brésil d’alors Jean Marc Pueyo et celui de ses proches collaborateurs, mais aussi la rupture d’un contrat qui liait jusque-là l’entreprise française avec le cabinet d’audit Deloitte basé à Londres, remplacé par KPMG. 

 

Suite à une « décision défavorable » rendue le 9 mai dernier par la Cour suprême brésilienne, on apprend que la filiale du groupe a décidé par prudence d’enregistrer une provision de 183 millions d’euros pour couvrir l’intégrité du risque potentiel. Affaire à suivre donc, mais qui n’a pas fini de défrayer la chronique.

 

Paris pose le couvercle

 Si la justice brésilienne, qui enquête sur ce scandale de corruption qui éclabousse la filiale du groupe, se félicitait jusqu’il y a peu de pouvoir coopérer avec la justice française, elle se plaint désormais de l’absence de réaction de cette dernière. Après avoir transmis de nombreuses pièces à son homologue, et en dépit d’investigations communes conduites pendant plusieurs semaines, la place Vendôme ne répond désormais plus aux demandes de coopération de plus en plus pressantes des magistrats brésiliens en charge de l’instruction. Ceux-ci l’ont relancé à deux reprises courant avril, mais leurs requêtes sont restées sans réponse

De quoi faire penser que la France a enterré le dossier afin de protéger l'entreprise dirigée par Alexandre Bompard, il n'y a qu'un pas. A cela s’ajoute un contexte politique défavorable dans la relation bilatérale depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonario. Par ailleurs, selon certaines sources, le Département de Justice américain enquêterait aussi sur le sujet… ce qui pourrait laisser entrevoir une nouvelle affaire Alstom si la Justice française resterait bras croisés.

 

Jean Jacques Granianski

 


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