Ce million qui fait couler tant d’encre…

par 08 AOUT
jeudi 8 mars 2012

Une personne qui gagne 1.000.000 d’euros par an gagne 55 fois le salaire médian (1.500 euros par mois), 46 fois le salaire moyen (1.800 euros par mois) et 83 fois le SMIC*.

Concrètement, elle gagne en 1 an la même somme que 46 salariés moyens ou que 83 « smicards ».

Qu’est-ce qui justifie une échelle des rémunérations de 1 à plus de 83 ?

Les arguments avancés sont généralement le mérite, les responsabilités et le temps passé au travail. Examinons-les.

Le mérite : Sur quels critères se fonde-t-il ? Les études certainement. Une personne qui a fait des études est perçue comme plus méritante. Elle a effectivement étudié des matières ardues et a travaillé dur pendant sa jeunesse. Il est normal qu’elle ait un retour sur investissement. Soit.
 
Mais réussir ses études et acquérir des diplômes de haut niveau ne dépend pas du seul mérite. Les réseaux familiaux et l’argent y entrent aussi pour beaucoup.
Combien d’étudiants ont renoncé aux grandes écoles faute de pouvoir payer un logement à Paris ou dans une autre grande ville ?
Combien sont contraints de travailler pour financer leurs études ?
Combien ont les pires difficultés à trouver les indispensables stages, faute des relations indispensables pour se faire pistonner, osons le mot puisque c’est bien de cela qu’il s’agit ?
 
Quant au salarié Lambda, qui n’a pas fait d’études ou pas assez, son travail contribue tout autant à la vie de la collectivité. Travail de l’un et « mérite » de l’autre se valent.
 
Les responsabilités : Un PDG de grande entreprise ou un dirigeant de PME sont responsables de l’emploi de dizaines, de centaines ou de milliers de personnes selon les cas. Qu’ils commettent des erreurs de gestion irréparables, et leur entreprise licencie tout ou partie de ces personnes, avec les dégâts que l’on sait sur ces salariés et leurs familles.
 
Mais un conducteur de car est responsable, plusieurs fois par jour, de dizaines de vies humaines. Une erreur de conduite et c’est l’accident, qui peut être grave, voire mortel. Or, un conducteur de car gagne environ 1.500 euros par mois.
 
La responsabilité du second est-elle vraiment 55 fois moins grande que celle du premier ?
 
Reste le temps de travail : L’argument bateau, que l’on a maintes fois lu et entendu, est que les dirigeants d’entreprises travaillent deux fois plus que leurs employés. Au vu de leurs revenus, cela en vaut la peine ! Ils sont nombreux, ceux qui seraient disposés à travailler 70 heures par semaine pour 83.000 euros par mois. D’autant que ce travail, prenant certes, est plus intéressant et beaucoup moins dangereux ou pénible que certains métiers rémunérés au SMIC ou au salaire médian.
 
Bien entendu, chacun est libre d’apprécier la justesse – ou la fausseté ! – de ces critères et la pertinence de l’échelle des revenus qui en découle.
 
Cependant, en dehors de ces considérations, il faut aussi appréhender la situation de manière plus morale (ou philosophique si l’on préfère). Nos sociétés ont décidé de mettre en place des « minima sociaux ». Ces minima sociaux, auxquels il convient d’ajouter les aides qui les complètent, expriment l’idée que nous nous faisons du revenu minimum indispensable pour vivre. Disons pour simplifier que ce revenu minimum est de 800 euros par mois environ*.
 
Au dessous de ce seuil, on ne peut pas vivre dans un pays développé au 21ème siècle. Entre ce minimum et le salaire moyen, on admet implicitement que l’on vit tout juste décemment, pas plus. Au-delà du salaire moyen, commence toute la gamme du superflu, très léger puis de plus en plus important.
 
Car, ne nous y trompons pas, le minimum que nous définissons collectivement correspond à la perception que nous nous faisons de la couverture minimum des besoins vitaux. La moyenne que nous acceptons correspond à celle que nous nous faisons du salaire tout juste décent. Et a contrario, si nous définissons collectivement le minimum et le tout juste décent en matière de revenus, alors, que nous le voulions ou non, nous définissons le superflu et nous le percevons en fonction de cette définition.
 
C’est à partir de cette perception qu’il faut analyser les vives réactions provoquées par certaine annonce (promesse ?) récente d’un homme politique de taxer à 75% la tranche de revenus dépassant 1.000.000 d’euros par an.
 
Les uns, les plus nombreux, sont d’accord avec sa perception de ce que, au-dessus de ce million, le superflu est devenu indécent et que sa plus grosse part doit revenir à la collectivité afin, espérons-le, d’être redistribuée à l’économie et aux plus pauvres.
 
Les autres, certains de ceux qui atteignent ou dépassent ce fameux million, crient à la spoliation et brandissent la menace de leur départ sous des cieux plus cléments. Ce faisant, ils donnent l’image de prédateurs cupides et inciviques dont le patriotisme ne se mesure qu’à l’aune de ce qu’ils arrachent à la collectivité.
 
 
* A l’heure où j’écris ces lignes, le SMIC est de 1.398 euros bruts par mois donc à peu près à 1.000 euros nets.
Le RSA est de 475 euros par mois et le minimum vieillesse est de 777 euros.


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