Chute des prix du pétrole : relâchement des énergies renouvelables ?

par chems eddine Chitour
jeudi 21 août 2008

"Le spectacle du monde ressemble à celui des jeux Olympiques : les uns y tiennent boutique ; d´autres paient de leur personne ; d´autres se contentent de regarder." Pythagore

Depuis plus d´un mois, le pétrole a perdu 35 dollars, soit 25 % de son prix du 11 juillet 2008 (record à 147 $, soit avec un euro à 1,58 dollar près de 95 euros). Il faut rappeler qu´en 1980 le prix du baril était à 35 dollars, soit près de 90 dollars actuels. Souvenons-nous du battage médiatique qui a accompagné cette ascension. Les pays pétroliers, au premier rang desquels les pays arabes de l´Opep, étaient rendus responsables de l´étranglement du monde industrialisé. Personne n´a parlé à l´époque du Venezuela producteur important, pourtant bête noire des Américains, ni même de la Russie pourtant deuxième producteur mondial - on en parle maintenant que pour la diaboliser et on indexe son retour sur la scène internationale par les dollars engrangés indûment sur le dos du monde libre ! Pour leur part, les pays arabes, constamment sur la défensive, ont fait des assauts d´allégeance à qui mieux mieux. Il faut savoir que les prix du pétrole obéissent en "théorie" à des "fondamentaux" liés à l´offre et la demande, mais aussi, dit-on, à la psychologie des acteurs de la scène pétrolière internationale. Dans la réalité, les Etats-Unis jouent le rôle principal par trois paramètres qu’eux seuls maîtrisent : le niveau des stocks de sécurité aux Etats-Unis, la consommation, mais aussi les facteurs géostratégiques qui peuvent précipiter à la hausse ou à la baisse les prix.

Cependant, tous les "analystes", qui arrivent à tout expliquer... après coup et même l´Opep, avaient prévu mordicus que les prix du pétrole allaient dépasser les 150 dollars ; voire les 200 dollars ; le pétrole, dit-on, entamait une tendance haussière ! C´était sans compter sur la réalité, la spéculation et l´AIE, véritable gendarme du monde dans le domaine. Qu´on en juge ! Il faut savoir que l´Agence internationale de l´énergie a été créée en 1975 par Henri Kissinger comme arme contre l´Opep. Son objectif est de discipliner les pays membres pour "réguler" le marché. L´arme fatale est l´obligation faite aux membres de constituer des stocks de sécurité d´au minimum 30 jours en cas de crise, conflits. On remarquera au passage que cette façon de faire est en contradiction totale avec les lois du marché. La "main invisible" dont parle Adam Smith est, dans les faits, une vue de l´esprit puisqu´on crée une abondance artificielle en déstockant, en clair en n´allant pas sur le marché pour se ravitailler. Cette abondance factice fait chuter les prix et il est toujours loisible au pays qui a déstocké d´acheter quand les prix sont au plus bas !
 
De ce fait et comme l´avait prédit Henri Kissinger, moins de dix ans après l´avènement de l´AIE, l´Opep n´existait plus en tant que force chargée de défendre les intérêts des pays producteurs. La meilleure preuve est qu´avec l´avènement du pétrole "Brent" de la mer du Nord, "l´Arabian Light" : marker crude, qui a servi pendant les trois décennies précédentes, fut abandonné au profit du Brent et de tout un tas "d´instruments nouveaux" permettant des achats à terme "les futures", de "barils papiers", du marché spot, de net back... De fait, l´Opep, étant la seule institution permise encore par la mondialisation, a un rôle, celui de discipliner les pays de l´Opep avec un chef de file : l´Arabie saoudite dont la politique est indexée sur les desiderata américains qui lui offrent, ainsi qu´aux pays du Golfe, une sanctuarisation de leur territoire. En clair, toute l´agitation de l´Opep n´est qu´une façade, les décisions se prennent en Arabie saoudite. Nous l´avons vu en juin quand le président Bush lors d´un déplacement pour aller témoigner son soutien à Israël pour son soixantième anniversaire, a fait un crochet par Riyad pour demander au roi d´ouvrir les vannes. Ce que fit le roi en inondant le marché alors que tous les spécialistes, pour une fois, étaient d´accord - le président de l´Opep en tête - et soutenaient que le marché était correctement approvisionné et que l´envolée était due à la spéculation. Rien n´y fit, le marché n´était pas demandeur, mais l´Opep s´est exécutée ! Pourtant, même aux Etats-Unis d´après un sondage publié le 16 juillet par la coalition multisectorielle Stop Oil Speculation Now, 80 % des 800 Américains interrogés estiment que les spéculateurs jouent sur les cours du pétrole et plus des deux tiers d´entre eux s´expriment en faveur d´un renforcement de la réglementation dans ce domaine. Ce que tente de faire le Congrès américain en traînant les pieds...
 
Les prix ont atteint le 11 juillet plus de 147 dollars. Depuis, les mêmes analystes, qui avaient prévu un baril à 150 dollars ou même 200 dollars en fin d´année, ont surfé sur la dégringolade du baril qui a perdu, en un mois, plus de 35 dollars, c´est-à-dire 25 %. Et là, les informations concernant la chute du pétrole se sont faites de plus en plus rares. Il faut vraiment aller les chercher sur des sites spécialisés, il faut se souvenir que durant l´ascension il ne se passait pas d´heure sans que l´on annonce sur le ton de la catastrophe que le pétrole est en train de compromettre la croissance. Bref, le pétrole a perdu 25 % de sa valeur et aucun pays de l´Opep ne bouge, ne serait-ce que pour retirer les centaines de milliers de barils injectés par les Saoudiens et qui ont contribué à la chute. Les rentiers sont tétanisés et chacun revoit à la baisse ses achats ou ses placements sans essayer de défendre le prix pour arriver à le stabiliser.

Les raisons invoquées pour la chute des prix
 
Elles sont multiples ! Il y a d´abord, comme écrit plus haut, la contribution de l´Opep par l´Arabie saoudite en noyant un marché qui n´était pas demandeur. Naturellement, on trouve toujours des explications a posteriori : "La demande traditionnellement forte en été en Chine, au Proche-Orient et en Asie n´a pas suffi à contrebalancer l´énorme déclin de la demande de pétrole dans les pays de l´Ocde lors du deuxième trimestre (de 2008)", a encore noté le cartel. En ce qui concerne les récentes baisses du prix du pétrole, le cartel estime qu´il s´agit de la conséquence des prévisions économiques plus faibles que prévues dans les pays riches, qui vont peser sur la demande alors que les exportations de brut de l´Opep ont été augmentées et que le dollar américain s´est un peu ressaisi.
 
Le prix du panier des 13 bruts des pays membres de l´Opep a atteint son niveau le plus bas depuis trois mois, à 109 dollars le baril, le 12 août dernier. Sur les marchés vendredi 16 août, les prix du pétrole repartaient en direction du seuil de 110 dollars le baril, les modestes gains enregistrés en milieu de semaine ne résistant pas à la perspective d´une décélération de l´économie mondiale et d´un recul de la consommation mondiale d´or noir. Les tensions, qui restent patentes entre la Russie et la Géorgie, ne soutiennent apparemment plus le marché pétrolier, étant peut-être passées au second plan face aux considérations météorologiques. Pourtant, le président russe Dimitri Medvedev a promis une "riposte écrasante" à toute nouvelle agression contre des citoyens russes, faisant référence au conflit ossète. L´ouragan tropical Fay a fait son apparition dans le détroit de Floride lundi après avoir traversé Cuba sans avoir causé de grands dégâts.

 
Ce fléchissement s´explique par la prise en compte, par les acteurs du marché, de la réduction de la demande aux États-Unis, bien que la tendance reste à la hausse sur le long terme. Il semblerait que les opérateurs spécialisés dans le pétrole aient finalement conscience de la réaction du grand public face à l´augmentation des prix de l´énergie. Comme l´explique Joel Fingerman, président du cabinet de conseil Fundamental Analytics.com, "pendant toute une période, les investisseurs n´ont tenu compte que de ce qui sous-tendait la hausse et ont ignoré tout facteur pouvant motiver une baisse. Mais maintenant que les consommateurs renoncent à leurs Hummers et à leurs pick-up, ils commencent à se préoccuper du phénomène".
Si les opérateurs ont, jusqu´ici, parié sur la demande croissante des pays en développement comme la Chine ou l´Inde, la baisse de la consommation américaine commence à envoyer des signaux que le marché ne peut ignorer. De plus, les chiffres publiés le 16 juillet par le ministère de l´Énergie américain montrent que les stocks de brut atteignent 296,9 millions de barils, soit 3 millions de plus que prévu, alors que les analystes tablaient sur un déclin des réserves. Quant à Joel Fingerman, il s´appuie sur la réduction de 5 % de la demande d´essence enregistrée aux États-Unis par rapport à la même période l´an dernier pour évoquer "un changement structurel sur le marché de l´automobile" et insiste sur la chute des ventes des gros véhicules commercialisés par General Motors et Ford ainsi que sur la recrudescence de l´utilisation des transports publics. Ford a converti 4 usines de Hummer en usines pour la fabrication de petites cylindrées
 
Dans la mesure où la consommation quotidienne des Américains représente un quart de celle du monde entier, la baisse de la demande outre-Atlantique influence tout le reste du marché, ce qui commence à se refléter sur le marché. Le baril pourrait retomber à 80 dollars d´ici à la fin de l´année. "C´est le début de la fin, dit-il. Les données fondamentales pointent de plus en plus vers une baisse." Un autre opérateur du marché, Edward L. Morse, économiste chargé de l´énergie chez Lehman Brothers, estime que le cours du pétrole devrait se stabiliser autour de 90 dollars d´ici à 2009. "La chute de la demande est stupéfiante, notamment aux États-Unis", déclare-t-il. Nous y voilà encore des prévisions qui ne reposent sur aucun fondement !

Les professionnels estiment que, sur le long terme, la croissance de la demande des pays émergents comme la Chine et l´Inde, devrait prendre le pas sur le ralentissement constaté aux Etats-Unis et au Japon. Le dollar, passé mercredi pour la première fois depuis deux semaines sous le seuil d’1,57 dollar pour 1 euro, est d´abord soutenu par la baisse continue du pétrole, parvenu en dessous des 125 dollars le baril. "La force du dollar reflète les attentes en hausse d´une remontée des taux d´intérêt par la Fed et la baisse des prix du pétrole, et a également profité des profits que les marchés d´actions ont réussi à dégager", a encore expliqué M. Henderson, jeudi dernier.
 
Selon l´Agence internationale de l´énergie (AIE), dans son dernier rapport de début août, il est trop tôt pour annoncer la fin de la crise du pétrole qui s´est abattue l´année dernière sur les marchés énergétiques de la planète. L´Agence américaine d´information sur l´énergie (EIA) a fait savoir qu´aux Etats-Unis, la demande a chuté de 800 000 barils par jour pendant le premier semestre 2008. Il s´agit du plus fort recul enregistré depuis vingt-six ans. L´EIA l´explique par le ralentissement de la croissance économique et la hausse des prix du pétrole. "Il semble que le pétrole se dirige vers un prix à deux chiffres", a estimé Phil Flynn, d´Alaron Trading. Une décélération de l´économie mondiale risque de peser sur la demande pétrolière, qui a, d´ores et déjà, reculé aux Etats-Unis. Les automobilistes américains ont ainsi parcouru environ "vingt milliards de kilomètres" de moins dans le pays en juin qu´à la même période de 2007, soit une baisse de 4,7% de la consommation d´essence.
Pour conclure, il faut ajouter le fait que le dollar s´échange à 1,47 dollar pour 1 euro, un niveau plus vu depuis le 20 février. Le dollar a gagné environ 5 %. En perte sèche, le baril a perdu 20 %. Pourtant, parmi les matières premières, le blé a établi un nouveau record. Il a atteint un nouveau record lundi 12 août à Chicago. La tonne de blé cotée sur NYSE Euronext atteint actuellement 284 euros. Il y a deux ans encore, le cours de cette céréale s´établissait autour de 110 euros. On explique cela par la demande mondiale qui a fortement progressé depuis 2006. Elle est tirée par la croissance des pays émergents comme l´Inde ou la Chine. Un pays comme l´Algérie a vu sa facture alimentaire doubler en passant à 4,7 milliards de dollars. Et s´il n´y avait pas de pétrole ? comment aurions-nous fait ?

Que faire de cette manne ?
 
Beaucoup de pays, notamment les pays rentiers, ont pensé "placer" leurs excédents dans des fonds souverains. Emblèmes du rééquilibrage économique Nord-Sud, sources d´inquiétudes autant que de fantasmes, les fonds souverains confirment leur montée en puissance dans l´économie mondiale. Ce mouvement n´en est qu´à ses débuts. Ces géants de la finance, dont la puissance financière pourrait être multipliée par cinq d´ici cinq ans, passant de 3 000 milliards de dollars à 15 000 milliards de dollars, s´intéressent maintenant à d´autres secteurs de l´économie. Pour Alain Demarolle, il va falloir s´habituer à voir ces grands investisseurs s´installer durablement dans l´économie des "vieux pays développés". "Les fonds souverains constituent l´une des principales sources de liquidités. De plus en plus, la demande d´investissement au Nord va rencontrer l´offre au Sud". (1)
Avec 300 milliards de dollars, l´Arabie saoudite occupe la quatrième position, suivie du Koweït avec 250 milliards de dollars, de la Chine avec 200 milliards de dollars, de la Russie avec 158 milliards de dollars, et du Qatar avec 50 milliards de dollars. La Libye, le Canada, la Malaisie, l´Iran et le Kazakhstan ont créé également des fonds souverains. L’Algérie penche, elle, pour le bas de laine placé d’une façon frileuse et pépère dans les banques américaines.

Nécessité d’un développement soutenu des énergies renouvelables

Il est très probable comme annoncé plus haut que le pétrole descende à moins de 100 $. Reverrons-nous alors, les Hummers en circulation ? La baisse de vigilance qui amènerait à une augmentation de l’utilisation des énergies fossiles. Il faut savoir qu’en moyenne un Américain envoie dans l’atmosphère 20 tonnes de CO2 contre deux tonnes pour le Chinois - diabolisé à tort - et l’Européen est à 10 tonnes, la France rejetant un peu moins de CO2 du fait de l’utilisation du nucléaire (18 % de son bilan énergétique).

En fait, plus que jamais les énergies renouvelables devraient être développées concomitamment avec les économies d’énergie par une chasse impitoyable au gaspillage partout dans le monde et en premier lieu dans les pays pétroliers qui se doivent de donner le bon exemple. Apparemment, ils n’en prennent pas le chemin ; à titre d’exemple, un Emirati consomme en moyenne 13 tonnes de pétrole soit l’équivalent de 30 tonnes de CO2, l’achat des airbus A380 ne va pas arranger le bilan énergétique de ce pays. Heureusement qu’ils ne sont pas nombreux. L’Algérie consomme environ 1 tep/an. Des études ont montré que les économies d’énergie sont au moins de 20 %. Il est plus que jamais nécessaire en définitive que tous les pays consommateurs se dotent d’un modèle énergétique véritable "bouquet énergétique" où les énergies fossiles seront utilisées avec parcimonie et à bon escient. Seul un "modèle énergétique planétaire" qui rassemblerait les modèles énergétiques des pays consommateurs permettrait à la planète de pouvoir enfin respirer...



1. Anne Michel : "Les Fonds souverains s´installent durablement dans les pays occidentaux". Le Monde du 31.07.08.


Pr Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger
 

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