Chypre, l’Europe et le krach de la financiarisation sur l’économie réelle
par Dan
vendredi 22 mars 2013
Les récents évènements portant sur la crise Chypriote sont encore instables et les responsabilités sont multiples donc complexes à décrypter. Néanmoins, il s'agit d'un cas d'école d'une plaque tournante financière attirant des capitaux apatrides par une fiscalité très favorable.
L'imposition sur les plus-valus mobilières est nulle et l'impôt sur les sociétés a été très longtemps à 5%. Il est question de le porter à 10% à présent ce qui reste très insuffisant donc anormal en zone euro et constitue une concurrence déloyale.
En première partie on examinera la question financière proprement dit. La deuxième moitié portera sur les ressorts imbriqués avec l'économie réelle.
PREMIERE PARTIE
1/ Chypre a besoin d'environ 17 milliards pour recapitaliser ses banques et l'U.E. et le FMI sont solidaires financièrement. Mais... l'offre est conditionnelle pour un prêt de 10 milliards et demande à Chypre de relever sa fiscalité pour atteindre la zone de tranquillité. L'Etat Chypriote devra donc s'acquitter de 6,8 milliards en propre. A priori c'est équitable, sauf qu'il est difficile de ramasser ces 6,8 milliards près des déposants tout azimut Chypriotes, que l'on ne peut confondre avec les titulaires étrangers cherchant l'évasion fiscale.
Remonter le coût à 100 000 euros de placement pour taxer est une première réaction pour desserrer l'étau de la ponction bancaire. Mais tout le monde râle quand même. En outre, avec ce quota relevé, impossible d'arriver à 6,8 milliards de fonds nécessaire à la recapitalisation des banques. Les banques qui, en accueillant autant de placements ont créé un appel d'air, une bulle qui n'a plus rien à voir avec les accords de Bâle III, lesquels n'étaient pourtant pas bien élevés, à savoir s'imposer 9 % de capitaux propres en ressources permanentes. Autrement dit, en dessous de ce seuil, les banques n'ont plus que leurs bureaux et ordinateurs comme valeur patrimoniale intrinsèque. Voilà le résultat des effets pervers de la finance dérégulée. Contrairement à une société industrielle qui a un véritable patrimoine par se immobilisations d'actifs : terrain, bureaux, machines, brevets, titres, stocks et fonds de commerce (good will).
En plan B, l'Etat pourrait aussi porter de 9,9% à 15% minimum la ponction sur les titulaires de gros portefeuilles mais l'oligarchie (surtout Russe) crie au scandale... comme d'habitude. Cependant, entre une fiscalité proche de zéro et un impôt de 15% il n'y aurait rien à redire en comparaison des Etats sérieux qui appliquent ces règles. Le problème c'est la fulgurance de l'application, car l'argent tourne déjà depuis longtemps et que cela va bouleverser les placements successifs sur les autres places, avec des échéanciers qui vont explosés. Cela a été vu avec le cas d'école Lehmann Brother qui en faisant faillite à déstabiliser l'ensemble des écritures de la Planète Finance. Ils ont bonne mine. Ils ont bénéficié depuis des années d'une imposition proche de zéro pour attirer leurs capitaux. Chypre est une espèce de paradis fiscal et cela ne serait pas "immoral" qu'ils prennent le bouillon. Première observation.
2/ Mme Merkel, qui n'est pas sentimentale, veut faire jouer la loi du système, fidèle à Adam Smith (théorie Darwienne) à savoir que les casseurs seront les payeurs, ils doivent mettre de l'ordre pour s'éviter la faillite. Cela se tient. Sauf quel système dit "libéral" n'est libéral qu'à son propre profit, navigable en période prospérité de croissance. L'intérêt c'est que tous ce petit monde en croque (beaucoup de placements étrangers, avec trading donc spéculation) et qu'il faut pousser le bouchon du pas vu pas pris avant la bulle spéculative.
Cette économie financière dérégulée s'exerçant durant des années, les gros portefeuilles se font garants de reprendre leurs billes à temps... A terme, il se passe une secousse systémique à l'instar du cas Lehmann Brother en 2008 lorsque la Fed à dit Niet pour les renflouer. Et comme les placements sont mondialisés, toutes les banques -ou presque- avaient des billes chez Lehmann. Résultat : après la dite "crise des subprimes" issus de la bulle immobilière et du trading sur produits dérivés : c'est la crise bancaire américaine.
Et la crise bancaire américaine provoquera la crise systèmique mondialisée. Résultat les gros porteurs à Chypre sont coincés dans un même scénario quasi identique aux contours tropicaux. Deuxième observation.
3/ Le cas de Chypre est de moindre importance bien entendu d'avec la crise américaine. Chypre ne représente que 0,2% du P.I.B. européen. Néanmoins, il faut se rendre compte que la demande de Chypre de 17 milliards à l' U.E. équivaut à un prêt de 90% de son PIB ! Tout comme si la France demandait à l'U.E. 1800 milliards équivalent à... sa dette, ce qui doublerait celle ci- en 24 H. Impensable.
Forcement ce système s'écroule tout seul un jour. On a eu le cas de l'Irlande grand instigateur de dumping fiscal pour attirer les capitaux étrangers avec un impôt sur les bénéfices de 3% environ, idem l'Islande, idem Chypre à présent. Les "vrais" paradis fiscaux n'ont pas d'Etat proprement dit (Iles anglo-normandes, Iles Caïman, Bermudes, Liechtenstein, Andorre, Monaco, Luxembourg, etc...). Le problème est tout autre lorsque il existe un Etat avec des services publics et des résidents citoyens comme à Chypre. Troisième observation.
DEUXIEME PARTIE
L'entende du partenariat Economie réelle et Financiarisation de l'économie, le couple hybride.
Bien entendu les gouvernants Chypriotes qui ont établis ce système sont les responsables de cette situation (défaillance bancaire et dette explosive). Faut-il les "punir" ? certainement, sauf... qu'au passage les plus faibles- on dira "le peuple" vont payer dur avec des plans de rigueur drastiques...
Et eux, ils n'avaient pas les moyens de spéculer. Bien entendu le système est perfide de bout en bout car, comme en Grèce et en Italie, le jeu préféré de TOUS c'est l'économie au noir, donc ne pas payer le fisc. Pas de fisc, pas de recettes, donc déficit, donc aggravation sans cesse de la dette car il faut bien payer les victimes du jeu de massacre (les chômeurs, les retraités, les fonctionnaires de l'Education et des Hôpitaux, etc...).
4/ L'Europe se servait de ces entités exotiques de façon additionnelle pour sur-dimensionner le marché européen, "bluffer" les marchés de capitaux flottants, pour soit disant "rivaliser" avec les Chinois et les Américains dans un monde dérégulé de contraintes et d'homogénéité aux niveaux des membres. La fiscalité ne peut pas être harmonisée car les standards économiques sont différents, les niveaux de vie aussi, la protection sociale aussi. Chacun veut garder ses règles car personne ne peut faire autrement. L'U.E. est une chimère.
Le dessein a été de favoriser sans cesse l'ouverture des marchés en accumulant les importations en échange. Double avantage pour les bénéficiaires du système sous l'égide de l'OMC. Celle-ci est le logiciel d'application du système néo-libéral. Ouverture des marchés veut dire dérégulation. Dérégulation veut dire abandon des droits de douane.Et aussi, surtout, mise en concurrence des entreprises y compris avec les pays low-costs de l'Asie.
On assiste impuissants à des plans de fermetures d'usines. On est dans la vitesse grand "V". C'est pas grave, Bayrou et Montebourg nous disent de viser les produits "made in france" dans les magasins... Bien senti.
Conséquence à moyen terme : il n'y a plus de rentrées fiscales conséquentes. Diminution drastique des rentrées fiscales veut dire aggravation des déficits car les charges ne peuvent pas suivre le rythme, sauf à licencier à la pelle les fonctionnaires. Autre solution : privatiser. Moins de sécurité d'emploi mais surtout cela nécessite une croissance élevée. Donc un jeu très risquée qui tourne en l'occurrence au jeu de massacre.
5/ Le bénéfice du "jeu sans frontières" était de bloquer l'indice des prix à la consommation. Comment ? par l'import des produits low-costs, venant d'Asie ; revendus avec d'immenses marges. Ainsi on "bloquait" artificiellement l'inflation comme le souhaitait la B.C.E. Surtout on bloquait les salaires et les avantages sociaux. Avec des délocalisations ou des sous-traitances pour faire usiner à l'extérieur les 80% d'une production. L'assemblage ne représentant plus que 20% à l'image de la production automobile de l'Allemagne, dont les 3/4 sont des pièces fondues dans les ex-pays de l'Est, l'ancienne RDA, Pologne, Roumanie, Slovaquie, etc...
Mais, à force, les productions nationales visant l'export n'agissaient que sur des niches. L'Allemagne grâce a son positionnement qualité bénéficie d'un avantage concurrentiel indéniable. C'est aussi du marketing pur par l'efficience de la publicité (mondialisée) qui induit des comportements "moutonniers. Les consommateurs fabriquent la demande d'une certaine façon.
La réputation (réelle d'ailleurs) de la qualité allemande produit un effet spéculatif et cumulatif qui rentabilise sa production. Les prix élevés de sa production vont accéder naturellement aux consommateurs à pouvoir d'achat élevé, tels les riches des pays émergents (Chine, Inde, Russie) en plus des USA, de l'Europe, du Japon et des Emirats. Ainsi une économie de niche de qualité peut-elle devenir rentable par les économies d'échelle d'un marché mondialisé. Loi de l'économie.
L'Allemagne qui a habilement camouflé son taux de chômage officiel en sortant des statistiques les équivalents R.S.A par des mini-job (par centaines de milliers) au salaire de 450 e /mois pour une vingtaine d'heures/semaine par une réforme du droit du travail, il y a dix ans. Mais le taux de précarité n'a rien à envier à la France... Le taux réel de chômage en Allemagne est proche du notre (11%) si l'on met en comparable les durées d'allocations (ils sont sortis plus vite des statistiques). A inclure également qu'ils ont une forte immigration de Turcs pour satisfaire les bas salaires du patronat allemand. Sinon dans l'industrie de pointe ils ont un coût salarial équivalent au notre.
6/ Pour en finir avec le "miracle allemand", celui-ci va obligatoirement décliner bientôt avec la croissance anémiée de la zone euro. Laquelle ne peut plus acheter grand chose (baisse du pouvoir d'achat généralisé dans 14 pays). Par ailleurs, l'Allemagne est le premier garant (avec la France) en tant que caution solidaire des Etats défaillants européens dont la liste augmente...Ce qui fragilise les banques allemandes et sa dette souveraine, égale à la notre, proche de 100% de son PIB. Pourquoi l'U.E. se bat-elle à ce point pour renflouer sans cesse les pays défaillants ? ce n'est en rien charitable.
C'est l'anticipation de l'effet d'une défaillance d'un pays tiers qui sera est systémique de par les imbrications des placements inter-bancaires rengorgeant des fonds de pension américains. Fonds de pension américains qui ne savent plus ou aller d'ailleurs( Singapour ? Tokyo ? Hong Kong ? la City ?..). Et surtout c'est le maintien sous perfusion de la monnaie : l'EURO. La monnaie européenne est attaquée par les possédants du dollar donc par les marchés spéculatifs qui sont insatiables. Les Fonds Spéculatifs ont besoin de ronger l'os sans cesse.
7/ Les grandes banques sont les courroies de transmissions du système (activités de dépôts et spéculation d'affaires étant confondues par capitalisation au sein des entités juridiques). Pour exemple la B.N.P/Paribas a une capitalisation boursière (créances) équivalente au PNB... de l'Etat français, c'est à dire près de 2000 milliards d'euros... ! C'est dire l'édifice. Il est donc pratiquement impossible de laisser tomber le système bancaire qui fait son marché de trading, sinon tout s'écroule. Dans un cas de défaillance comme Natextis on renfloue y compris en capital. Mais on ne devient jamais majoritaire pour ne pas "traumatiser" la profession. Ce que pourtant l'Angleterre de Gordon Brown ne s'était pas gêner de faire en 2008/2009.
8/ D'où la formule réelle et célèbre : privatisation des profits et collectivisation des pertes pour le système bancaire, l'accouchement d'un monstre tentaculaire, au dessus des règles et des lois. Résultat : la parité de l'euro est anormalement élevée, du fait de la planche à billets de la Fed américaine qui injecte sans arrêt de nouvelles liquidités pour placer des Bons du Trésor américain en Chine, principal créancier de sa dette...
C'est une véritable partie d'échecs globalisée, le capitalisme n'ayant pas de frontière dans ce jeu hautement spéculatif et monopolistique. Ce qui est profitable dans un premier temps (les années 80/90) pour l'empire globalisé, à la baguette de Wall Street, la City, et Hong Kong nouvel entrant. Conséquence sur l'Euro : cela pénalise presque l'ensemble de la zone avec des coûts d'échanges monétaires bien trop élevés. Le Yen lui, reste bas car il n'est pas question de le faire réévaluer sans l'accord des Chinois, lesquels se planquent sous la table du jeu Atlantiste sans régulation efficiente. En préservant du même coup sa compétitivité monétaire sous évaluée.
Fin de la première analyse.