Comment décrédibiliser « tous » les patrons : l’affaire Forgeard

par Francis BEAU
lundi 16 avril 2007

Laurence Parisot, en défendant le système permettant aux patrons de « très grandes entreprises » de disposer d’indemnités de départ « gigantesques » lorsqu’ils sont mis à pied par leur conseil d’administration, nous fait l’exacte démonstration du théorème dit « de l’argent fou », qui veut que l’argent, au-delà d’un certain seuil de « gigantisme », isole les individus qui y ont accès à un point tel qu’ils en perdent tout sens des réalités. Chefs d’entreprise, il est urgent de rappeler votre patronne à la réalité si vous ne voulez pas que ce soit la rue qui le fasse pour vous en vous mettant dans le même sac.

« (...)Il est important d’expliquer ce qu’est le job d’un chef de très grande entreprise ; je crois que personne ne sait exactement ce que ça veut dire : c’est une pression gigantesque ! » Laurence Parisot, France Inter, dimanche 15 avril 2007, 8h50-8h59.

Mais de quelle pression parle-t-on ?

Dans cette interview réalisée par Roland Mihaïl sur France Inter, la présidente du MEDEF se reconnaît, non pas choquée, mais "très étonnée" par le montant des indemnités de départ touchées par M. Forgeard, et nous fait surtout part de sa "stupéfaction" devant "le déferlement d’anathèmes d’ignorance et de démagogie qui a suivi la révélation de l’affaire". Elle déclare quant à elle ne pas savoir si ces indemnités sont ou non justifiées, et estime que seuls le conseil d’administration et l’assemblée générale des actionnaires disposent des éléments permettant d’en juger. Cela s’appelle bien perdre tout sens des réalités.

En effet, la question n’est pas véritablement de savoir si M. Forgeard a été un bon ou un mauvais PDG d’Airbus, s’il est ou non responsable des milliers de suppressions d’emplois qui ont suivi son départ et s’il est ou non impliqué dans un délit d’initié. Elle est bien plus de savoir si l’énormité du montant de ses indemnités est, non pas seulement justifiable, mais tout simplement tolérable. Un simple petit calcul élémentaire aurait dû permettre à madame Parisot de savoir : 8,5 millions d’euros, c’est l’équivalent de 100 ans de salaire à plus de 7 000 euros par mois, c’est également environ 1 000 fois plus que l’indemnité de licenciement d’un salarié payé environ 1 500 euros par mois qui aurait plus de vingt ans d’ancienneté ; cherchez l’erreur !

Quelle est donc cette pression gigantesque qui serait susceptible de justifier des indemnités aussi monstrueuses ? Qui peut croire que la pression à laquelle est soumis un grand patron puisse être 1 000 fois supérieure à celle à laquelle est soumis couramment un individu moyen ? Si le commun des mortels a du mal à imaginer la "pression gigantesque" à laquelle est soumis un grand patron au point qu’il faille lui "expliquer le job", Laurence Parisot semble quant à elle totalement incapable d’imaginer la pression quotidienne à laquelle peuvent être soumis un grand nombre de ses contemporains.

Imagine-t-elle par exemple la pression à laquelle peut être confrontée une mère célibataire payée au SMIC, avec un jeune fils dont elle n’a pas le temps de s’occuper autant qu’il le faudrait, qui est en train de sombrer dans la délinquance, tandis qu’elle risque de perdre son travail parce qu’elle y manque de disponibilité ? Harcelée par le collège qui la convoque à chaque nouvelle incartade de son fils, harcelée par sa banque pour des fins de mois qu’elle n’arrive pas à boucler et par de nombreux autres créanciers, harcelée par son chef d’atelier qui lui reproche un absentéisme en hausse et une assiduité en baisse, harcelée par ses voisins d’immeuble qui lui reprochent les incivilités de son fils, harcelée bientôt par la police et la justice avec lesquelles son fils commence à avoir des ennuis, harcelée enfin par son propre fils qui lui reproche inconsciemment son manque de disponibilité et ne respecte plus aucune autorité, encore moins celle d’une mère que la société ne respecte plus. Madame Parisot imagine-t-elle vraiment que la pression à laquelle cette femme est quotidiennement soumise sans aucune chance de trêve soit mille fois moindre que celle subie par un grand patron qui peut, lui, régulièrement s’évader en vacances dans de nombreux paradis dorés grâce à un argent dont on finit par se demander ce qu’il peut bien en faire ?

Imagine-t-elle également la pression à laquelle peut être soumis un patron de PME aux revenus très inférieurs à ceux de M. Forgeard, dont les conditions financières et la situation familiale peuvent aussi parfois être très difficiles, confronté à une menace de faillite et conscient de sa responsabilité vis-à-vis des dizaines de collaborateurs dont l’avenir dépend de sa capacité à sortir l’entreprise du marasme ? Imagine-t-elle aussi la pression pluriquotidienne à laquelle est soumis un chirurgien qui tient au bout de ses doigts la vie de son patient ? Imagine-t-elle encore la pression à laquelle peut être soumis un commandant de bord lorsque son avion est soumis à des conditions météorologiques dangereuses et que la vie d’une centaine de passagers dépend de la rapidité et de la qualité de ses réactions ? Imagine-t-elle enfin le job de millions de gens qui vivent dans le monde réel ? Son incapacité avouée à juger de la justification du montant des indemnités allouées à M. Forgeard et sa stupéfaction face aux réactions qu’il a suscitées permettent d’en douter.

Chefs d’entreprise révoltez-vous ! Oui, votre patronne semble bien avoir perdu tout sens des réalités. Vous qui pour la plupart êtes restés dans le monde réel, en deçà du seuil d’application du théorème de l’argent fou, ressaisissez-vous ! Débarquez vite cette présidente qui dans son incapacité à savoir si 8,5 millions d’euros d’indemnités de départ sont justifiés (et donc justifiables) vous décrédibilise tous ! Et faites-le vite avant que ce ne soit Olivier Besancenot et la rue qui le fassent pour vous car ils vous mettront sans aucun doute dans la même charrette !


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