Comment donner de la mesure à la démesure de la financiarisation de l’économie ?

par Luigi Chiavarini
mercredi 16 mai 2007

Dans cette folle course individuelle au toujours plus, plus vite, ne faudrait-il pas parfois s’arrêter et se poser la question de la finalité de cette dynamique aveugle et remettre à plat les valeurs à défaut de la valeur ?

Il y a longtemps que l’activité de survie de notre espèce n’est plus la chasse et la culture mais l’accumulation sous toutes ses formes : posséder pour ne plus être possédé, posséder pour exister. Comme si le meilleur synonyme du mot liberté était propriété, comme si nous ne pouvions pas être sans avoir. En soi, le principe de l’accès à la propriété pour chacun n’est pas désavouable, loin de là, puisqu’il a affranchi la majorité de l’humanité, mais la façon dont le système met en œuvre son accessibilité, aujourd’hui, est inéquitable.

Le capitalisme c’est l’exploitation du travail collectif (production de valeur ajoutée) à des fins d’enrichissement personnel sous l’alibi de la propriété des moyens de production (le capital).

La finance c’est la promesse de transférer le capital dans le temps en le faisant croître en ayant pour seul allié la confiance des acteurs dans le système (financier).

Le néolibéralisme est la doctrine politique qui rend applicable l’existence des deux réalités précédentes avec pour objectif de les développer à l’excès voire jusqu’au suicide environnemental et social.

Il découle de ces définitions que les trois piliers du temple libéral sont Capital, Croissance, Confiance si l’un d’entre eux vient à faillir : l’édifice vacille. Il semble évident que le seul pilier sur lequel nos contemporains ont une possibilité d’agir, s’ils en avaient conscience, est la confiance. Tant que cette confiance existe, les apôtres du temple feront en sorte d’affiner l’équation leur permettant d’optimiser la croissance du capital.

Cette équation pouvant s’exprimer de la façon suivante : maximisation de la rentabilité des fonds investis sous la double contrainte que la somme des coûts de production tende vers 0 et que la productivité des moyens de production (humain et matières premières) tendent vers l’infini ... c’est-à-dire jusqu’au néant.

Dans cette équation, il n’est fait aucunement mention de la dimension nécessairement solidaire et précaire de notre condition d’humain, et c’est cette fonction que l’idéologie de gauche devrait permettre de raisonnablement pondérer. Si cette solidarité se fait réalité le pilier Confiance pourrait faire vaciller le temple... mais pour le remplacer par quoi ?

Un modèle d’échange équilibré basé sur la coopération plutôt que la compétition : par exemple au niveau national et comme le préconisait un des textes des accords de la Havane : un pays ne pourra vendre à un autre pays que l’équivalent de ce que cet autre pays lui vend, à moins qu’il n’en soit décidé autrement entre ces deux pays (et non par l’OMC ou autre organisme supranational). Ce simple principe garantira l’équilibre de la balance commerciale et tout ce que cela implique en matière de protection de l’emploi dans chacun de ces pays.

Comment y parvenir ?

En donnant de la mesure à la démesure des conséquences du système financier actuel.

Une des raisons majeures de la démesure de l’exploitation des ressources de production humaine et naturelle est la cupidité aveugle et non régulée des propriétaires du capital et surtout de leurs conseillers. Le réflexe absurde qui implique que ce qui est exceptionnel aujourd’hui devienne la règle demain entraîne la financiarisation de l’économie qui exige, « légitimement », des retours sur investissement irraisonnable. Lorsque le capital était encore industriel (détenu par le propriétaire entrepreneur de l’entreprise) un retour sur investissement de 3 à 6 % était considéré comme honorable, aujourd’hui le capital étant devenu essentiellement financier (détenu par les fonds de pension ou autres intermédiaires financiers banque-assurance) un taux de 15, 20 voire 30% est considéré comme "minimum olympique”. Il est dès lors évident que cette pression a pour effet d’obliger les patrons d’entreprises (à la solde des actionnaires par l’entremise des stock-options, golden parachutes ou prime de licenciement honteuse) de mettre sous tension leurs ressources, jusqu’à des degrés de maltraitance comparable à celle subie par les contemporains de « Germinal » ; la solidarité en moins....

Ceci étant posé, l’avidité non normée étant la cause des excès suicidaires de cette oligarchie actionnariale, ne pensez-vous pas qu’il serait souhaitable, pour le bien du plus grand nombre, de légiférer sur l’application d’une marge actionnariale limitée, plafonnant le retour sur investissement à un pourcentage soutenable (5-6% par exemple : taux intérêt placement sans risque 3%+ prime de risque 2-3%)[1] ?

Tout surplus pourrait être versé au Trésor public afin de financer des opérations d’utilité sociale (barrière à la paupérisation, logement pour tous, caisse maladie, éducation, recherche, retraite, rémunération des mères ou pères ayant choisi d’éduquer leurs enfants, augmentation du niveau de vie des populations moins nanties..) et environnementale (piège à CO², énergie renouvelable, stockage énergie thermonucléaire...).

Pourquoi nos représentants ne peuvent- ils pas défendre cette façon de concevoir les politiques nationales dans le long terme permettant de solutionner à court terme les problèmes de précarisation de nos concitoyens et d’envisager la viabilité de l’humanité comme étant possible à l’horizon de ce siècle ?

En ont -ils encore les moyens, dans une économie de marché mondialisée ? Dans la négative, il serait légitime de se poser la question de savoir à quoi sert une politique nationale là ou les règles de fonctionnement sont dictées par des organismes supranationaux n’ayant aucune légitimité démocratique ou constitutionnelle ? Cette réflexion est nécessairement incomplète mais puisse-t-elle élargir le débat politique afin qu’il sorte des ornières de la doctrine du « politiquement correct » et de la pensée unique.



[1] Cette idée est développée par l’économiste Frédéric Lordon


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