Consommateur heureux, ou individu malheureux ?
par Hélène Mugnier
lundi 12 juin 2006
Dans son dernier essai, Gilles Lipovetsky analyse notre société « d’hyperconsommation » et ses conséquences sur le bonheur. Qu’en attendons-nous ? Comment le trouvons-nous ? Pourquoi le bonheur et la consommation sont-ils devenus aujourd’hui structurellement indissociables ?
Sans doute fallait-il le regard non seulement d’un philosophe-sociologue, mais d’un insatiable curieux pour pouvoir embrasser les multiples facteurs de construction du bonheur. Le premier mérite de cet ouvrage est de montrer les vertus, aux côtés des effets pervers, de l’hyperconsommation. Refus d’une diabolisation manichéenne qui permet de voir enfin à quel point la consommation, et même « l’hyperconsommation », est devenue une des conditions majeures du bonheur !
Scrutant l’évolution de l’économie et de la notion de « progrès », le sociologue démonte le paradoxe de cette quête du bonheur. Les « hyperconsommateurs » que nous sommes font un grand écart inédit et permanent entre l’appétit et le rejet de la consommation. « Une page est tournée : nous sommes devant les limites et les contradictions du tout hédonisme ».
Si le bonheur est un bien-être, alors l’offre de produits et services dont nous disposons est pléthorique. Jamais nous n’y avons eu, aussi nombreux, et aussi facilement, accès. Les hyperconsommateurs en sont d’ailleurs avides et cèdent même parfois à la compulsion de l’achat. Matérialistes pour autant ? Évidemment non ! Alter mondialisation, développement durable, commerce équitable, ONG, jamais les sujets éthiques n’ont autant mobilisé. Qui plus est, l’hyperconsommateur n’est plus dupe des procédés du marketing et se rebiffe même contre eux. Nos temps de loisirs sont pour l’essentiel passés dans le repli de l’intimité, chez soi, devant la télévision, ou à écouter la radio.
Sceptique malgré tout, Gilles Lipovetsky souligne les symptômes d’un malaise ambiant, d’une insatisfaction permanente. Toujours plus exigeant, l’hyperconsommateur est aussi toujours plus frustré. Surtout, il décortique les ambiguïtés de son hyperindividualisme : « Dans un temps marqué par l’affaiblissement des encadrements collectifs et par l’exigence partout martelée partout de devenir soi, acteur de sa vie, responsable de ses compétences, la tâche d’être sujet devient harassante, dépressive, de plus en plus difficile à assumer [...] Atomisé, réduit à ses seules forces, porté à étendre indéfiniment le cercle de ses désirs, l’individu n’est plus préparé à supporter les misères de l’existence ».
Bref consommation et bonheur vont aujourd’hui, et iront encore plus demain, de pair. Il n’en est pas moins évident que l’ère de l’hyperconsommation dans laquelle nous sommes entrés est dangereuse et génère du malheur. Comment dépasserons-nous ce paradoxe dans les décennies à venir ?
Le mieux est de s’armer de la lecture jubilatoire du Bonheur paradoxal. Paradoxal, certes... mais pas impossible pour autant !
Référence :
Gilles Lipovetsky, Le Bonheur Paradoxal : essai sur la société d’hyperconsommation, Gallimard.
L’auteur a précédemment publié notamment L’ère du vide, L’empire de l’éphémère, La troisième femme... (toujours chez Gallimard).