Contrats libyens : l’arnaque des 10 milliards

par Olivier Bonnet
jeudi 13 décembre 2007

Toutes les réticences droit-de-l’hommistes devant le tapis rouge déroulé pour le dictateur libyen ne seraient qu’irresponsables divagations de traîtres à la patrie, qui n’applaudissent pas les 10 milliards d’euros de contrats qu’aurait rapportés sa visite à Paris. L’argument est déjà contestable en soi. Mais pire, les 10 milliards ne sont en fait que des plans tirés sur la comète, du vent ! Explications.

Passent encore les critiques sur la faible véhémence officielle de la France concernant le problème des droits de l’homme : on a laissé deux sous-fifres - la potiche et le potichon des Affaires étrangères - exprimer une désapprobation de façade, tandis qu’on déroulait le tapis rouge au dictateur libyen. On l’a reçu sans ciller une deuxième fois à l’Elysée, après qu’il a traité son hôte, le président Sarkozy, de menteur, avant de dénoncer les violations françaises des droits de l’homme des immigrés devant l’Unesco (lire Kadhafi Circus : french Tour 2007). Mais il faudrait tolérer l’humiliation infligée à la diplomatie française et le reniement de ses principes par l’ex-patrie des droits de l’homme pour une bonne raison : les contrats. Ces fameux milliards. Une dizaine, estime l’Elysée. Qui ne craint pas d’annoncer la création de 30 000 emplois sur cinq ans ! Et tous les médias en boucle de ressortir le chiffre : "ont été signés des contrats pour un montant de 10 milliards". Dame, 10 milliards, t’entends Marcel ? Et 30 000 emplois ! Il est fort quand même ce Sarkozy !

Sauf que lorsqu’on se penche sur le détail des contrats, ce qu’a fait Grégoire Biseau dans les colonnes de Libération, on s’aperçoit vite que cette somme n’est qu’une monstrueuse exagération. Détaillons, en commençant par les contrats militaires : « Là c’est le grand flou puisque l’Elysée se contentait, hier, de répertorier une liste de matériels d’un "montant potentiel de 4,5 milliards d’euros". Mais aucun contrat ferme, juste "un mémorandum sur la coopération en matière d’armement", dans lequel l’Elysée espère fourguer notamment 14 Rafale, une cinquantaine de blindés et 35 hélicoptères Eurocopter, filiale d’EADS. "Mais aujourd’hui, on n’a aucun élément précis sur les volumes, les types d’appareil et donc les montants d’un contrat. On ne sait pas très bien ce qui va remonter de cette négociation globale", relève un cadre d’Eurocopter  ». Autrement dit, on ne sait rien de ce que va réellement rapporter ce volet des accords franco-libyens et avancer la somme de 4,5 milliards, même en précisant que le montant est "potentiel", est une escroquerie !

La coopération nucléaire ? Deux milliards, avance l’Elysée. Pour "la fourniture d’un ou plusieurs réacteurs pour le dessalement de l’eau de mer", à laquelle s’ajouterait un soutien "à l’exploration et à l’exploitation de l’uranium". Mais Grégoire Biseau nuance : "Pour Areva, la vente d’une telle centrale, si elle se réalise, mettra au minimum plusieurs années avant d’être concrétisée". Voilà donc deux nouveaux milliards hautement hypothétiques. On nous parle aussi de l’extension de l’aéroport de Tripoli, contrat obtenu par Vinci, et d’un autre de gestion d’eau potable, signé par Veolia. Pour deux milliards, là encore. Et toujours du vent, comme l’explique implacablement Libération  : « Hier, il suffisait d’interroger les industriels concernés, pour mesurer leur embarras. "On n’a rien signé du tout. Sur l’annonce de l’Elysée, on ne souhaite pas faire de commentaire" (un cadre de Veolia). "L’extension de l’aéroport de Tripoli ? Oui, on en a entendu parler, mais aujourd’hui, ce n’est qu’un projet comme on en a plein dans d’autres pays" (un cadre de Vinci)  ». Et les Airbus alors, voilà de vrais bons milliards, non ? Certes, mais les 21 appareils achetés par les deux compagnies aériennes libyennes ne représentent que la confirmation d’un accord signé en juin dernier au salon du Bourget, soit avant la libération des infirmières ! Les 2,17 milliards d’euros de ce contrat (et pas 2,7, l’Elysée s’est "trompé" de 530 millions dans son estimation, d’après Airbus) sont donc bien réels, mais il est parfaitement malhonnête de les mettre au crédit de la visite de Kadhafi à Paris.

Alors que reste-t-il finalement ? "Le seul contrat commercial ferme signé (en dehors des 21 Airbus qui de toute façon auraient été vendus) était à mettre à profit d’Areva pour du matériel de transmission et de distribution d’électricité, pour un montant de 300 millions d’euros", assène la conclusion de Grégoire Biseau. De 300 millions à 10 milliards : le sarkozisme n’est décidément pas à un mensonge près, fût-il si grossier.


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