Création monétaire : sortir des idées reçues !

par Sam D.
mardi 8 juillet 2014

Les mécanismes de la création monétaire, grâce à la multiplication ces dernières années de nombreux contenus sur le sujet, sont de mieux en mieux compris par les citoyens, et il faut s’en féliciter. Il n’est plus un secret, aujourd'hui, que toute la monnaie que nous utilisons a été créée par les banques, sous forme de crédit ; et que sans dette, il n’y aurait plus de monnaie dans l’économie. Si cela est exact, de nombreuses idées reçues continuent à circuler, qui donnent une vision à la fois simplifiée et exagérée du problème monétaire, et tendent à une diabolisation à outrance du secteur bancaire. Il importe de les rectifier.

En finir avec l’idée d’ « intérêts manquants »

Une première idée fausse, assez répandue, voudrait que le système de création monétaire par la dette engendre un problème d’ « intérêts manquants ». Le système bancaire qui, dans son ensemble, prêterait par exemple 1M€ à l’économie (représentant dès lors toute la monnaie en circulation), demanderait en retour non pas 1M€, mais 1,2M€ en remboursement (1M de principal + 0,2M d’intérêts). Or, comme ces 0,2M€ supplémentaires n’ont pas été créés à l’occasion du prêt initial, la dette serait mathématiquement impossible à rembourser - sauf à emprunter de nouveau, et à entrer dans un cycle infernal d’endettement sans fin.

Cette vision ne tient pas la route. Car on ne peut pas considérer que le montant total (principal + intérêts) soit à rembourser en une seule fois, à l’échéance finale. Au contraire, les intérêts d’un prêt sont payables chaque mois, au gré des mensualités prévues (voir ici pour un exemple détaillé). Ils correspondent à la rémunération de la banque, qui les utilise pour couvrir ses engagements et ses charges, et sont réinjectés par elle dans l’économie. Ainsi en théorie, l’argent des intérêts a tout le temps, au gré des transactions, de revenir dans les poches des emprunteurs, permettant à ceux-ci de rembourser progressivement la totalité de leur crédit. Et s’il y avait des « intérêts manquants », cela fait longtemps que les économistes se seraient penchés sur la question.

Le niveau de profit réalisé par l'activité de banque de dépôt est à relativiser

Par ailleurs, contrairement à beaucoup d’idées véhiculées, les profits réalisés par les banques de dépôt (ou, s’agissant des banques universelles, par leur activité de crédit et de dépôt) ne sont pas démentiels comme on voudrait bien le croire. Ce fut sans doute le cas, historiquement, lorsque le système de réserves fractionnaires est apparu, et que les banques ne se faisaient pas concurrence entre elles autant qu'aujourd’hui. Mais, comme le faisait déjà remarquer l’économiste américain Irving Fisher dans son ouvrage 100% Monnaie (1935) : « L’avantage originel, inhérent aux banques, de pouvoir prêter jusqu’à dix fois la monnaie déposée chez elles, s’est depuis longtemps épuisé. Le très gros profit a été extrait il y a bien longtemps. La quête même de ce profit, par le jeu de la concurrence, a eu pour effet de le réduire – en offrant par exemple un intérêt sur les dépôts. » C’est pourquoi « les profits des banques sont moindres qu’ils n’apparaissent à première vue ».

Il semble encore que les taux d’intérêt pratiqués par les banques ne soient pas aussi excessifs qu’on le pense parfois. Le rapport Pauget-Constans sur la tarification des services bancaires (2010) fait même apparaître qu’en France, « les marges d’intérêt réalisées sur le crédit immobilier sont faibles, voire négatives dans certaines situations ou certaines périodes ». Certes, les banques se rattrapent par une tarification plus élevée sur d’autres services. Mais il est clair, encore une fois, que les activités de crédit et de dépôt ne sont pas une source de profits démesurés pour les banques, celles-ci réalisant plutôt l’essentiel de leurs gains via leurs activités de marché.

En France, les banques coopératives – qui appartiennent à leurs clients-sociétaires - représentent près de la moitié des dépôts

Enfin, il est intéressant de noter qu’en France, près de la moitié du marché des dépôts est détenue par les banques coopératives (45% selon un rapport de l’O.I.T.). Le principe d’une banque coopérative étant d’appartenir à ses clients-sociétaires, les profits réalisés sont en partie mis en réserve, en partie affectés à la (faible) rémunération des parts sociales ou au versement d’une ristourne coopérative, mais en aucun cas ils ne servent à enrichir des actionnaires. Si l’activité crédits et dépôts d’une coopérative bancaire donnait lieu à des profits gigantesques par le jeu des « intérêts manquants », il y a longtemps que cela se saurait !

En conclusion, s’il est évident que le système de création monétaire par les banques privées, basé sur le principe des réserves fractionnaires, est éminemment problématique, il importe de dépasser la simple vision de banquiers s’enrichissant de manière exponentielle par la magie d’intérêts manquants. Le biais majeur du système monétaire, comme l’a parfaitement exposé Irving Fisher, est qu’il génère de l’instabilité économique ; instabilité qui nourrit la spéculation et profite aux acteurs de marché, au détriment de l’économie réelle. C’est pour cela qu’il est aujourd’hui urgent de procéder à la séparation entre banques de dépôts et banques d’investissement, et d’instaurer un système de « 100% monnaie » comme Fisher le proposait.


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