Crise dans l’automobile : les constructeurs sont responsables et les aides de l’Etat inutiles

par Bernard Dugué
mercredi 17 décembre 2008

General Motor, Chrysler, et peut-être Ford, ces fleurons du 20ème siècle industriel américain, seraient au bord de la faillite, ou du moins, en si mauvais état que les chaînes de production sont arrêtées pour un moment. C’est la crise ! En France, en Europe, même cas de figure, sauf que le dépôt de bilan n’est pas à l’ordre du jour. Quelques semaines de chômage technique suffiront. Mais au vu de la chute des immatriculations européennes, un quart, la situation est inquiétante pour tout le secteur. C’est la récession ! Et la dépression ?

Non, il ne faut pas dramatiser. Le secteur n’est pas aussi menacé qu’on ne le dit, car les gens utilisent leur véhicule et ont besoin des services de l’atelier pour les réparations et l’entretien. Et puis certains conduisent mal, alors des véhicules vont à la casse. Le seul et grave problème, c’est la production. En ce sens, le sort de l’industrie automobile résume à lui tout seul les impasses de l’économie et l’ineptie des programmes d’aide de l’Etat. Pourquoi cette crise ? D’abord la conjoncture mondiale et cet excès de mauvaises nouvelles n’incitant pas les consommateurs à acheter. Ensuite, la saturation du marché, les gens ayant les moyens ont tous un véhicule, excepté BHL et JFK qui n’ont pas le permis. La seule marge de manœuvre, ce sont les hésitants, ceux que la pub s’efforce d’attirer chez le concessionnaire, puis le banquier pour ceux qui on un crédit. Or, le crédit est plus cher, les gens ont peur de l’avenir. Voir un huissier débarquer pour des créances n’est pas une idée très sexy. Alors, ceux qui n’ont pas un besoin urgent d’un véhicule neuf préfèrent repousser leur achat. Et pareil pour ceux qui auraient pu le faire en disposant d’une épargne, livret A plus LDD par exemple. La prudence est de mise, la frugalité aussi. La chute des ventes s’explique ainsi. 


Et l’Etat ? On ne voit pas comment l’Etat pourrait aider le secteur en proposant des prêts réduits ou des avantages. Ce serait inefficace et coûteux, d’autant plus que les ventes de véhicules français comptent pour la moitié. Le contribuable français sera alors choqué de constater qu’en cas d’une aide de deux milliards, un milliard ira améliorer la santé de constructeurs italiens, allemands et japonais. En plus, ce même contribuable sera irrité de voir l’Etat dépenser de l’argent pour que des gens qui n’en n’ont pas vraiment besoin achètent un joujou neuf, alors qu’on réduit tous les postes publics, y compris dans l’éducation. Luc Ferry venant de déclarer avec une effrayante froideur que deux heures de cours supprimées permettent de se passer des 10 000 professeurs en moins prévus par le programme du gouvernement. Carlos Ghosn, le hussard des nouveaux modèles de chez Renault, en appelle à l’aide de l’Etat, jugeant la situation pire qu’en 1993, période similaire de récession qui vit le marché baisser de 17 points mais à cette époque, le crédit avait permis de relancer la machine. Sauf qu’en 2008, le parc automobile est saturé. Enfin, si le sauvetage des constructeurs peut sembler à l’opinion désinformée comme moral, c’est tout de même une manière de reculer le problème que de relancer le crédit alors que la crise financière est due pour une part à ces crédits intempestifs octroyés pour faire surconsommer des classes moyennes dont les revenus n’augmentent pas. Le fordisme est supplanté par le « crédisme ». Si Sarkozy se dirige dans cette voie, autant dire que ses conseillers sont de fieffés incompétents, comme du reste les dirigeants des groupes industriels.


Car le fin de mot de l’histoire, c’est que le marché n’y est pour rien dans toute cette crise. Les causes sont à la fois globales et propres au secteur. Les gens, les financiers ont abusés des possibilités du marché et de la finance. Imaginons une mongolfière, avec des gens qui soufflent dans le ballon, une mongolfière avec une nacelle de financiers qui prennent dans les arbres imaginaires des paquets de billets de dollars liés au travail des gens qui soufflent. Pour monter plus haut, il lancent par-dessus bord des passagers, en font monter d’autres. On appelle cela politique des bas salaires. Mais à un moment, la mongolfière ne monte plus, elle descend de quelques mètres, alors on débarque des passagers sans en faire monter d’autres ou du moins, pas autant qu’avant. On appelle cela l’augmentation du chômage. La crise de l’automobile vient du fait que les constructeurs n’ont pas vu la saturation du marché et le contexte économique. Incompétence ou aveuglement ? Pourtant, on se dit bien que dans les équipes de direction, il y a des comptables, des hauts gestionnaires, des polytechniciens, des analystes économiques sortis de nos meilleures HEC et ESSEC de part le monde. Eh bien non. Les PDG, Ghosn le premier, ont semble-t-il pratiqué une politique à l’aveugle.


Ce qui nous conduit à entrer dans la psychologie de la toute puissance et de l’appréhension des réalités. Une chose est certaine, parvenus à ce niveau, ces hauts dirigeants ont perdu le sens de la morale citoyenne et de la valeur de l’argent. Salaires mirobolants, stocks options, parachutes dorés. Comment alors ne pas penser que dans leurs délires de croissances et toute puissance, ils ont poussé la production, le nombre de modèle, croyant que le monde des consommateurs allait se plier à cette vente fortement incitée, notamment par la séduction de la pub. Nous comprenons bien que le marché n’est qu’un arbitre neutre, censé équilibrer offre et demande, production et solvabilité. Nos constructeurs automobiles ont cru passer outre les règles du marché, un peu comme un gosse qui croit pouvoir gravir une paroi et finit par dévaler la pente, puni par son audace juvénile.


Les dirigeants de l’automobile n’ont pas voulu voir la saturation du parc automobile. Pourtant, les Français ordinaires, ceux qui vendent par petite annonce leur vieille caisse, savaient, en discutant avec les employés de ces journaux gratuits, que le marché de l’occasion était saturé et que, seuls les petits modèles anciens, genre Corsa ou 205, vendus entre 1000 et 2000 euros, partaient rapidement. C’était il y a trois ans. Apparemment, les constructeurs n’ont pas su développer des études de marché fiables. Ils en ont fait qu’à leur tête, le nez dans le guidon, comme du reste les banques. Et pourtant c’était facile à prévoir que les ventes allaient fléchir et que l’embellie depuis 1993 n’aura plus lieu. A cette époque, le marché était soutenu parce que les jeunes entraient sur le marché et les seniors dotés de bonnes retraites pouvaient acheter de quoi mettre un peu de piment dans leurs vieux jours. Actuellement c’est fini. Il se dit même qu’il y a pas de place pour tous les constructeurs. La solution la plus sage est donc d’écouler les stocks avec des fortes remises, ne serait-ce que pour concurrencer le marché de l’occasion récente qui lui aussi, a des stocks. Et de réajuster les productions pour assurer le renouvellement du parc en adéquation avec les disponibilités des acheteurs. L’Etat n’a pas à intervenir dans ces mécanismes de réajustement. C’est clair et net. Il y a d’autres priorités. Alors l’expérience du bassin lorrain sous Mitterrand devait servir de leçon, avec toutes ces aides dilapidées et finissant dans quelques poches d’individus bien placés. Sans compter la récente affaire HP à Grenoble. Alors les aides et les promesses, on sait bien ce qu’elles deviennent.



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