Crise des « subprimes » et pêcheurs en eaux troubles
par Roland Verhille
vendredi 21 mars 2008
D’innombrables discours traitant des banques sèment la terreur au moyen de noires prévisions truffées de rares chiffres astronomiques. Le tout ne nous éclaire pas vraiment sur ce qui est arrivé et laisse perplexe les incrédules, trop peu nombreux à vrai dire car cela nourrit la panique.
On nous explique que les banques des États-Unis ont consenti sans trop y regarder des prêts à trois millions et demi d’Américains appâtés pour acheter leur maison. Une hypothèque en garantissait le remboursement. Puis, ces banques ont reconstitué leurs caisses en revendant à des spéculateurs, dont beaucoup de banques, ces actes de prêts ouvrant droit à des intérêts fort rémunérateurs, de manière à pouvoir continuer à faire de tels prêts. Trop de ces emprunteurs ne pouvant plus honorer les échéances de leur prêt pour diverses raisons, les banques ont fait jouer leur hypothèque, puis ont commencé à offrir à la vente à d’autres leur maison pour se rembourser de leur prêt. Cet afflux de vendeurs de maisons a provoqué une baisse de leur prix, les banques et spéculateurs n’en obtenant plus le nécessaire pour récupérer l’argent prêté. D’où des pertes d’argent apparemment monstrueuses. Personne ne sachant précisément qui a acheté et combien, ces actes de prêts produisant du déficit au lieu du profit au point de l’acculer à la faillite, les banques ne s’accordent plus réciproquement la confiance nécessaire à leurs opérations financières réciproques ainsi gelées. Par un effet de domino, tout le système bancaire est dit être menacé de s’écrouler. Pour l’éviter, les Banques centrales y injectent des quantités apparemment astronomiques d’argent frais en rachetant aux banques leurs « instruments financiers » (bons du Trésor et autres).
Le premier mystère porte sur le montant des pertes encourues. L’été dernier, on nous les disait se monter à quelques dizaines de milliards de dollars. Maintenant, il s’agirait de centaines de milliards. 250, 500, 2 500 ? Prenons quelques repères, d’abord ici mardi 18 mars chez Charles Dereeper. Les crédits hypothécaires résidentiels s’élèveraient à environ 11 000 milliards. La baisse des prix de l’immobilier serait d’environ 10 à 12 %. La valeur des 11 000 milliards d’hypothèques perdrait donc entre 1 100 et 1 320 milliards, pouvant arriver selon certains à 2 750 milliards (25 %). C’est à peu près ce dernier montant qui serait calculé par l’institut Mody’ cité ici le 14/01/2008 par Michel Santini. Seulement 20 % de ces 11 000 milliards de crédits hypothécaires résidentiels comporteraient des couches subprimes, soit 2 200 milliards de dollars de prêts. Et, selon Bernanke, au 31/12/2007, seulement 20 % de ces emprunteurs seraient insolvables, soit 440 milliards de crédits irrécouvrables. La perte de valeur de leur bien hypothéqué repris par les banques se situerait donc entre 44 milliards (taux de 10 %) et 110 milliards de dollars (25 %) selon ces calculs. Quelle cacophonie donc à propos du montant des pertes mystérieuses auxquelles s’exposent les banques.
Le deuxième mystère porte sur la circulation de l’argent dit manquer aux banques. Leurs fameux prêts ont permis aux emprunteurs de verser leur montant à ceux qui leur ont vendu leur maison. Ceux-ci ont encaissé l’argent maintenant perdu par les banques et, au total, il existe donc toujours dans l’économie le même montant d’argent en circulation qu’avant ces opérations. Alors, qui expliquera pourquoi une récession économique se produirait faute d’argent suffisant ? Qui nous expliquera où est passé cet argent encaissé par les vendeurs de ces maisons hypothéquées ?
Les mystères couvrent encore les mécanismes qui provoqueraient inéluctablement l’effondrement du système bancaire. Outre cet argent des vendeurs de maisons qui ne se retrouverait pas dans les banques (ils l’auraient caché dans leurs bas de laine ou sous leur matelas ?), comment ces pertes les acculeraient-elles à la faillite ?
D’abord, ces pertes se concrétiseront en manque d’agent en caisse des banques seulement au fur et à mesure des échéances de ces prêts, soit peut-être au long d’une vingtaine d’années. C’est moins d’une dizaine de milliards ou une quinzaine ou, au pire, une trentaine de milliards de perte par an. La valeur boursière des banques américaines oscillerait entre 1 500 et 2 000 dollars (Charles Dereeper) produisant peut-être un profit annuel d’environ 10 %, soit 150 à 200 milliards de dollars. Cette poignée de milliards (5 ?, 15 ?, 30 ?) de trou en caisse chaque année ne constitue donc qu’une perte réelle de quelques pourcents de leurs profits annuels (0,3 % à 2 % au plus), ce qui est dérisoire.
Ensuite, le total des pertes s’élève à environ 0,3 % ou 1 % ou 2 % au plus de la capitalisation boursière. Cela ne leur permettrait pas de survivre ? Et ce total de pertes (entre 110 milliards et 500 milliards) ne se monte qu’à un nombre très réduit d’années de profit (moins d’une année à moins de quatre).
Citées à elles seules, les milliards de pertes mystérieuses encourues par le système bancaire effraient. Rapprochées des pourtant maigres informations publiées, l’anxiété s’apaise déjà. Rapprochées du montant de tous les actifs gérés par les mille plus grandes banques mondiales où se sont disséminées ces pertes, elles ne sont que goutte d’eau (au plus, moins d’1 % des 74 200 milliards de dollars).
En conclusion, il reste encore beaucoup à éclaircir dans cette affaire de la crise financière éclatée aux États-Unis. Dans cette attente, plutôt que de craindre que le ciel ne nous tombe sur la tête, peut-on se demander si le puissant système bancaire n’est pas en train de crier au loup, à la catastrophe imminente, à seule fin de transférer à d’autres, au public, les pertes occasionnées par ses propres turpitudes alors qu’il est en état de les supporter lui-même.
Roland Verhille, 20 mars 2008