Crise économique et financière : prévoir l’imprévisible !
par Denis Szalkowski
lundi 5 janvier 2009
La violence du ralentissement de l’activité a semblé surprendre les salariés de Renault par son ampleur et sa soudaineté alors que le constructeur produisait encore à plein régime. Au mois de décembre, certains sites haut-normands ont fonctionné à 30% de leurs capacités.
La brutalité de la crise économique et financière nous amène à nous poser la question de son aspect imprévisible. La question est de savoir si cette crise s’insère dans la logique de la réflexion de Nassem Nicolas Taleb : le cygne noir, la puissance de l’imprévisible. Tous les éléments de la crise étaient là. Mais qui peut encore les voir, les comprendre et être écouté des Princes ?
L’usine du monde
Dans leur grande sagesse (parlons plutôt de grands délires), les docteurs néo-conservateurs ont sculpté la carte économique du monde sur le fait que la Chine serait l’usine de la planète. On en mesure aujourd’hui toute la bêtise.
Ne disposant d’aucun stock, entre la commande émanant des "commerçants-industriels" du Nord et la livraison des produits fabriqués en Chine, il s’écoule au minimum un délai de 3 mois. La plupart de la marchandise est acheminée en bateau pour des raisons de coûts. Autrement dit, quand vous avez affaire à un renversement de tendance en terme de consommation, vous êtes quasiment obligés de fabriquer durant 3 mois à partir de la marchandise qu’on continue à vous livrer. Il ne faut pas aller bien plus loin pour comprendre le mécanisme de la constitution des stocks dans l’automobile.
Vu la masse des stocks, la machine n’est pas prête à repartir dans la mesure où les fabricants vont chercher, en premier lieu, à les écouler. Quand la demande va à nouveau repartir, il faudra alors compter sur des délais de livraison de plus de 3 mois.
Gestion des stocks et secteur de la logistique
Les professionnels du transport s’attendent en ce début d’année à la disparition de plusieurs milliers de transporteurs en France. Le secteur de la logistique a su s’adapter dans les dernières années et semble ne pas avoir souffert particulièrement de la hausse du prix du gazole. Car, en plein choc pétrolier, les poids lourds n’ont jamais été aussi nombreux sur nos routes françaises et européennes.
Face à la concurrence des pays de l’est intégrés désormais à l’Europe, les transporteurs ont su varier leurs activités en louant leurs bâtiments pour permettre aux entreprises d’y gérer leur stockage. Face à la pression immobilière et aux complications à s’étendre en milieu urbain, les entreprises ont fait appel aux transporteurs qui se sont rués sur les terrains des zones économiques défiscalisées qui fleurissent partout en France. Échange de bons procédés ? Le développement de ces zones engendre un appauvrissement considérable des finances des collectivités locales qui transfèrent la charge de l’impôt vers les ménages. Les politiques, de surcroît, du fait de l’absence du contrôle citoyen, s’enorgueillissent d’avoir créé ou maintenu l’emploi là où ils ont permis avant tout l’emploi de maîtres-chiens et de quelques conducteurs de clarks. A Evreux, dans l’Eure, la nouvelle zone économique, en face de la base militaire, est exempte de toute vie "humaine" alors qu’elle est remplie de hangars.
Face à un crédit redevenu très abordable pour les entreprenants, attendons à voir tous ces hangars se vider de leurs marchandises dans les mois qui viennent. Comme les règlements de zone ne prévoient pas de récupérer les exonérations fiscales, il s’agit de pertes sèches extrêmement lourdes pour les finances publiques. Les collectivités locales et leurs décideurs sous l’emprise de techniciens hors sol comprendront bientôt leur "vision" à courte vue soufflée par des industriels qui savent exercer quelques pressions amicales et autre chantage à l’emploi.
Discount et solderies
Après la crise de 1929, l’industrie automobile à la sortie de la seconde guerre mondiale a cherché, par le développement des options, à entretenir l’illusion d’une offre individualisée. La crise de 2008 devrait être l’occasion du retour aux productions de masse et à bas prix. Renault avec la Logan a ouvert la brèche. A l’opposé, les soldeurs et les discounters mettent sur le marché une production uniforme et bon marché sans qu’ils aient à la stocker en dehors des enceintes de leur magasin. Mais quelle est la situation financière de toutes ces solderies ? On pourrait aussi parler de ces enseignes de magasins discount qui fleurissent dans la grande distribution. Certes, la rotation leur permet de disposer de trésorerie du fait du décalage entre le paiement au comptant par le consommateur et un délai de paiement auprès du fournisseur entre 60 et 120 jours. Dans ce contexte, certaines entreprises n’hésitent pas alors à recourir à des dépréciations de stock afin de limiter le résultat fiscal. Certaines entreprises, dans le secteur du négoce, utilisent même le commissionnement sur produits à perte.
Une économie sous perfusion
L’intelligence adaptative des commerçants et industriels pose toute une batterie de questions. Même si elle est indispensable, la réforme du délai de paiement en vigueur depuis le 1er janvier 2009 risque, au final, de mettre en avant des modes de fonctionnement artificiels. La bouffée d’oxygène attendue par les PME et TPE risque de s’accompagner d’une longue liste de dépôts de bilan et de suppression d’emplois dans le secteur de la distribution.
Cette loi apparaît comme une loi à contre-temps soufflée par un Jacques Attali qui, en expert du Prince, n’a pas vu venir, par son niveau en tout cas, ce que Nassim Nicolas Taleb a théorisé dans son ouvrage Le cygne noir, la puissance de l’imprévisible. Rendons grâce au moins à Jacques Attali qui avait prévenu dès février 2007 de l’imminence d’une crise financière. Mais, pour la plupart des acteurs du monde économique dans les TPE et les PME, tous les mécanismes endogènes à la crise économique étaient connus. La question est de savoir comment nous sommes amenés à théoriser ce qui est prévisible en imprévisible. La réflexion de Nassim Nicolas Taleb me semble souffrir d’un biais majeur, celui de la "qualité", la position et le statut de l’observateur.
N. B. : Cet article m’est très largement inspiré de mon expérience d’acteur économique, d’élu local et de ma discussion alors que nous chargions du bois avec mon ami Bertrand, par ailleurs responsable d’une TPE.
Crédit photos : Wikipedia, les Belles Lettres