Crise financière mondiale : quelles leçons pour l’Afrique du XXIème siècle ?

par Conrad B.
jeudi 8 janvier 2009

Aujourd’hui, l’Afrique est à la croisée des chemins avec des résultats économiques en demi-teinte. Et, pendant que le monde se mobilise pour pallier les aléas de la crise financière mondiale, une certaine opinion continue de penser que l’Afrique n’est pas directement concernée. Qu’en est-il exactement ?

Le monde vit aujourd’hui l’une des pires crises financières de l’histoire du capitalisme. Bien sûr, il y a eu avant cela la crise financière en Asie en 1997, l’effondrement du LTCM (Long Term Capital Management) en 1998, la crise Internet et le scandale d’Enron en 2001, etc.... Ces événements furent partiels et peuvent être considérés comme des signes avant-coureurs, voire des signes annonciateurs de la situation actuelle qui a commencé par la crise des « subprimes », prêts à taux variables à l’intention d’une clientèle de particuliers peu solvables (étudiants américains, ménages). La hausse des taux d’intérêt à lfinaa fin de l’année 2006 et l’effondrement du marché immobilier en aout 2007 aux Etats-Unis entrainent une augmentation des défauts de payement et une dévalorisation des créances immobilières qui avaient été entre temps titrisées. Ces titrisations sont alors devenues des créances « toxiques » dont la toxicité s’est répandue au-delà des subprimes. La faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 constitue la goutte d’eau qui fera déborder un vase déjà trop plein.
 
Les conséquences de la crise sont de 3 ordres. En premier lieu, elle se traduit par la chute vertigineuse de la valeur de ces titres en bourse et la faillite des banques qui les détiennent. Deuxio, la perte de confiance des différents acteurs du système financier entraine le dysfonctionnement de l’ensemble du système car il est bien connu que l’économie capitaliste ne peut fonctionner sans le crédit. Enfin, la demande globale a chuté et par ricochet la baisse de l’activité économique conduit à des faillites et des fermetures en série d’entreprises.
 
Les différents plans de sauvetage et de relance adoptés de part et d’autres, intégrant notamment des injections massives de liquidité, ne semblent pas pouvoir régler le problème dans un futur immédiat et l’on est bien en mesure de penser que la crise va bel et bien perdurer, du moins jusqu’à après 2009, suivant les dernières prévisions. Mais quel est le rôle de l’Afrique dans ce nouvel état de fait ? Quelles sont les conséquences de l’actuelle crise pour le continent noir et qu’est-on en droit d’attendre des mois à venir en ce qui concerne le développement des pays africains ?
 
A l’Assemblée annuelle des Conseils des gouverneurs du Fonds Monétaire International (FMI) et du Groupe de la Banque mondiale le 19 septembre 2006,  Lee Hsien Loong, Premier ministre de Singapour constatait que l’Afrique change car on y dénombre de plus en plus de gouvernements élus et de moins en moins de guerres civiles. A son avis, « des entreprises se créent et se développent progressivement, en particulier dans le secteur bancaire, le commerce de détail et les télécommunications mobiles. La situation est même devenue très prometteuse dans certains pays de la région qui ont libéralisé leurs échanges commerciaux, stimulé l’investissement et développé le secteur privé. » Tout n’est donc pas si négatif en Afrique. Le nombre de guerres civiles à reculé, la démocratie progresse puisque les deux tiers des pays ont connu des élections et l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) existe et s’implique en faveur de la paix, sous la houlette de l’Afrique du Sud, encore que trop timidement (Eric Le Boucher, 2005). L’essor des technologies de l’information et leur présence dans la plupart des secteurs de production offrent une chance à l’Afrique de mettre en place une " nouvelle économie" et de jouer un nouveau rôle plus intéressant dans l’économie mondiale.
 
L’espoir renaît donc peu à peu malgré les multiples forces de frottement que représente l’absence de politiques efficaces d’éducation, de bonne gouvernance et d’infrastructures de base.Par le fait de ces mêmes freins, l’Afrique n’a jusque-là pas su attirer les investisseurs et est demeurée largement en dehors du flux d‘investissements extérieurs : A la fin des années 90, elle n‘a reçu que 1 % des investissements directs étrangers dans le monde dans le temps où l‘Asie en recueillait 20 %. Faute de trouver sa place dans la mondialisation en cours, l’Afrique s’est résolue à trouver sa voie dans l’aide publique au développement qui est devenue l’élément central des programmes de développement des pays africains.L’Afrique cherche à se faire une place dans la nouvelle économie en comptant donc sur l’aide publique au développement et en prenant appui sur ses exportations de matières premières. Telle se trouve résumée toute la stratégie de développement de ces trente dernières années sur le continent.
 
Mais la crise financière actuelle risque de faire très mal à ses deux axes majeurs des politiques de développement en Afrique. Avec elle, le crédit devient de plus en plus rare. Paradoxe inouï dans cette ère de globalisation, au moment où les taux d’intérêt baissent dans les pays capitalistes dominants, c’est le contraire qui s’observe pour l’instant en Afrique. Si ce phénomène perdure, il est évident qu’il aura des conséquences graves pour le développement africain tant sur la survie des entreprises nationales que sur le financement même du développement car les états africains, on le sait bien, ont besoin de grands flux de capitaux pour augmenter et maintenir leur produit intérieur brut à un niveau de croissance suffisant. Or, si des pays européens commencent à demander et à obtenir l’aide du FMI comme l’ont récemment fait l’Islande, la Hongrie et l’Ukraine, il va de soi que la part réservée à l’Afrique s’amenuise et qu’elle ne pourra plus vraiment compter à terme sur les institutions de Bretton Woods comme c’était le cas dans un passé récent. Encore que l’on ne saurait exactement prédire au moment actuel le sort réservé à ces institutions car le Sommet extraordinaire sur les marchés financiers et l’économie mondiale tenu à Washington le 15 novembre 2008 et rassemblant les membres du G20 [1] a adopté un plan d’action pour lutter contre la crise financière et parmi ces mesures, il est notamment question de leur réforme. La crise financière risque donc fort de devenir pour l’Afrique une crise de l’aide au développement. De plus, lorsque l’on sait que la plupart des états sont déjà particulièrement endettés, il convient de noter les difficultés de remboursement de la dette extérieure qui pourraient également découler d’une telle situation.
 
Les PPTE ont, semble-t-il, assez tôt compris les risques et les ministres chargés des finances de ces pays se sont réunis à Washington le 10 octobre 2008 autour de la question. Ils ont formulé plusieurs recommandations dans le but de « réduire l’impact de la crise financière internationale sur leurs économies, améliorer la fourniture de l’allègement de la dette, assurer la viabilité à long terme de la dette, financer les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), et poursuivre le renforcement de leurs capacités en gestion de la dette ». De son côté, l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) a lancé un appel, le 30 octobre, aux principaux pays donneurs d’aide dans le monde « afin qu’ils honorent, en dépit du ralentissement économique, les engagements qu’ils ont pris à l’appui du développement ». Dans une lettre adressée aux chefs d’État et de gouvernement des pays membres du Comité d’aide au développement, l’OCDE invite notamment ces nations à souscrire à une « Déclaration sur la politique d’aide » qui aurait pour effet de confirmer les promesses d’aide antérieures et d’éviter des coupes dans les budgets d’aide au développement[2].
 
La crise financière entrainera sans nul doute (nous en sommes déjà aux premières manifestations) une dépression économique conséquente. Ceci entrainera assez vite une réduction de la demande mondiale de production primaire donc de la demande de matières premières. La conséquence pour l’Afrique sera une baisse des revenus d’exportation qui sera le premier signe annonciateur d’une récession économique. Dans un environnement africain où le secteur informel est assez important et où les programmes d’ajustement structurel et la crise alimentaire ajoutée aux enjeux climatiques ont déjà très largement affecté les politiques, une récession économique aurait des conséquences catastrophiques qui réduiraient à néant tous les efforts jusque-là consentis par les états. Car s’il est vrai qu’actuellement, une quinzaine de pays environ en Afrique s’en sort plutôt bien comme l’Ouganda et le Mozambique, ces pays le font dopés par l’aide internationale et par la hausse des cours des matières premières récemment constatée et sont pour cette raison « vulnérables » comme le reconnaît le rapport annuel de 2005 de l’OCDE et de la Banque Africaine de Développement.
 
L’Afrique n’est pas responsable de la crise actuelle du capitalisme. Pourtant, elle pourrait en pâtir très sérieusement si elle reste sans réagir et se complait dans le simple rôle de variable d’ajustement jusqu’ici joué. Les mesures clés du plan d’action adopté par le G20 pour lutter contre la crise consistent notamment à :
- « prendre toutes les mesures supplémentaires nécessaires » pour maintenir élevée ou relancer l’offre de crédit des banques, en sachant qu’il s’agit là du moteur de la croissance économique et de l’investissement ;
- stimuler la consommation par des stratégies coordonnées ;
- mettre sur pied d’ici au 31 mars 2009 un « collège de superviseurs » comprenant tous les principaux régulateurs de la finance dans le monde ;
- renforcer les attributions du forum sur la stabilité financière et de l’élargir aux puissances économiques émergentes pour légitimer son rôle et accroître sa représentativité ;
- réformer le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale dans le but de prendre en compte la nouvelle donne économique internationale qui fait des puissances émergentes les principaux moteurs de la croissance économique ;
- lutter contre le protectionnisme et relancer de cycle de Doha afin d’empêcher une contraction globale des échanges et des flux commerciaux ;
 
Même si l’Afrique du Sud était invité à ce sommet, l’on se rend compte aisément que les mesures sont loin de prendre en compte les besoins et les spécificités des pays africains car si la relance du cycle de Doha est évoquée, rien n’est pensé pour l’heure afin de lui garantir plus de succès que dans un passé un peu trop récent. Marginalisée dans l’économie ancienne, l’Afrique est entrain de l’être dans la nouvelle. L’appel de l’OCDE et celui des PPTE seront-ils entendu et pourront-ils se traduire en des faits concrets ? Rien n’est moins sûr car pour l’heure, chaque État ou regroupement d’États cherche des solutions pour la survie de sa propre économie. Les états africains doivent faire de même. En effet, face à cette situation il devient urgent que l’Afrique s’unisse pour mieux porter ses aspirations et pour être plus forte. L’Union Africaine (UA) telle qu’elle existe aujourd’hui ne suffit plus. Il faut désormais un « collectif qui survalorise l’addition des pays. » Il est désormais temps que naisse une Afrique politico-économique capable de définir solidairement des priorités et s’y tenir à défaut de quoi, ils devront périr chacun de son côté, lentement mais sûrement, soumis qu’ils ont trop longtemps été déjà par les quatre cavaliers de l’Apocalypse à savoir la Conquête, la Guerre, la Famine et la Mort. Il s’agit de trouver un équilibre juste entre le social et la concurrence car si le « social » ne peut plus se défendre au niveau d’un pays et qu’il faut passer à l’échelle du continent (l’Europe version française), il est aussi nécessaire d’organiser une compétition mutuelle entre les pays afin d’en dégager les effets bénéfiques (l’Europe version britannique). L’article 4 de l’acte constitutif de l’Union Africaine, relatif aux principes de son fonctionnement, mentionne en son alinéa (d) la mise en place d’une politique de défense commune pour le continent africain mais il n’est en aucun moment question d’une union économique. Même s’il existe un « Conseil économique, social et culturel », ce dernier est tout simplement un « organe consultatif composé des représentants des différentes couches socioprofessionnelles des États membres de l’Union » et ses attributions sont loin d’être claires.
 
Le monde change. La mondialisation provoque une séparation complète de l’économie des autres institutions, en particulier sociales et politiques, qui ne peuvent la contrôler. La crise financière, qui en est une bonne illustration, augure de bien sombres présages. Et les grandes nations se mobilisent pour s’en sortir. Mais que fera l’Afrique ? Saura-t-elle mettre en place une représentation économique efficace pour mieux défendre ses intérêts ou bien sera-t-elle une fois de plus, tout simplement écartée, reléguée au rang de simple variable d’ajustement du fait de son inaction caractérisée ? La question est posée. Il revient aux jeunes élites d’apporter les réponses. Il y va de leur responsabilité. Il y va de leur avenir.


[1]Le G20 rassemble le G8 (Etats-Unis, Canada, Japon, Russie, Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie), l’Afrique du Sud, l’Arabie Saoudite, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique et la Turquie. Siègent par ailleurs au G20 les dirigeants du FMI, de la Banque mondiale et de la Banque centrale européenne. L’Espagne et les Pays-Bas étaient conviés à cette rencontre.
[2]Source : www.oecd.org

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