De qui se moque-t-on ?
par Olivier Bach
jeudi 17 juin 2010
Une dépêche de l’AFP du 14/06/2010, reprise par tous les médias, a donné une information de première importance sur la générosité des plus riches pour aider les pauvres.
Son titre et son contenu ne laissent aucun doute :
« LES DEUX HOMMES LES PLUS RICHES DU MONDE S’ALLIENT CONTRE LA PAUVRETE :
Les deux hommes les plus riches du monde, le Mexicain Carlos Slim et l’Américain Bille Gates, ont annoncé lundi qu’ils investiront, avec l’Espagne, 150 millions de dollars pour améliorer la santé des plus pauvres d’Amérique Centrale et du Mexique.
« Je suis très ému de créer une société avec l’Institut Carlos Slim. C’est vraiment la première société que nous montons ensemble mais je suis sûr que ce ne sera pas la dernière », a déclaré à Mexico Bill Gates, pendant la présentation du projet en présence de l’Infante Cristina d’Espagne...
« La santé est pour moi la première priorité », a dit Bill Gates... L’argent servira à financer des projets pensés et exécutés par la Banque interaméricaine de développement (BID), dans les soins maternels, la nutrition, la vaccination, le paludisme ou la dengue, qui devraient bénéficier à 10 millions de personnes. »
Cette dépêche montre ainsi que les hommes les plus riches du monde sont sensibles aux difficultés des pauvres et n’hésitent pas à investir des sommes très importantes pour les aider. N’est-ce pas un bel exemple d’humanité de la part de ces hommes qui sont tant décriés pour l’importance de leur richesse ?
Cette annonce mérite pourtant d’être analysée pour vérifier si l’on peut réellement parler d’une alliance contre la pauvreté.
On peut constater en premier lieu qu’une somme de 150 millions de dollars répartie sur 10 millions de personnes, représente un investissement de 15 dollars par individu. Si en plus, on sait que cette somme sera donnée sur cinq ans, cela fait 3 dollars d’investissement par an et par individu pour améliorer sa santé. Peut-on raisonnablement penser que c’est suffisant compte tenu du dénuement de ces populations ? De qui se moque-ton ?
Aider les pauvres grâce à la création d’une société dont l’objet est de financer des projets qui sont eux-mêmes initiés par une banque dont l’objet est aussi de financer des projets d’aide au développement est pour le moins paradoxale. Faut-il rappeler qu’une société a pour vocation d’être bénéficiaire et de distribuer des dividendes à ses actionnaires ?
Il faut savoir que la dépêche indiquait aussi que Carlos Slim avait une fortune estimée de 53,5 milliards de dollars et Bill Gates 53 Milliards, mais également que cet investissement se faisait sur cinq ans à parts égales avec l’Etat espagnol. Pourquoi créer une société et ne pas faire un simple don à la BID pour lui permettre d’améliorer le financement de ses projets ?
De plus, un rapide calcul permet de constater que les 100 millions de dollars sur 5 ans, investis par Carlos Slim et Bill Gates représentent pour chacun d’eux un investissement de 0,0189% de leur capital chaque année. Cet investissement, qui n’est même pas un don, est donc équivalent à l’effort que ferait un Français ayant un patrimoine de 265.000 euros en faisant un don de 50 euros. De qui se moque-ton ?
Peut-on s’étonner qu’aucun français faisant un don de 50 euros à une association caritative n’ait le privilège d’une dépêche spéciale de l’AFP afin de montrer l’importance de sa générosité au monde entier ?
En conclusion, cette aide contre la pauvreté en Amérique Centrale de Carlos Slim et Bill Gates pour les pauvres d’Amérique Centrale est, relativement à leur niveau de patrimoine, inférieure à ce qu’un Français moyen donne régulièrement aux associations caritatives. Non seulement cela ne mérite pas une dépêche de l’AFP mais cela procède d’opérations de communication particulièrement indécentes.
Certes, leurs apports ne se limitent pas à cette opération. Bill Clinton estime que Carlos Slim est un des plus grands philanthropes du monde et Bill Gates a annoncé en 2007 qu’il va donner 95% de sa fortune à sa fondation. Toujours est-il que malgré toutes ces annonces, ils restent, aujourd’hui, les plus riches du monde.
La grosse majorité des français est sans aucun doute, beaucoup plus généreuse que ne le sont les plus riches du monde. Par leurs impôts et cotisations, ils sont les champions du monde de la générosité avec quelques pays scandinaves, compte tenu de la part relative de leurs revenus et capitaux qui servent à la redistribution aux plus démunis, même si ce n’est volontaire. Toujours est-il qu’ils ne sont jamais remerciés et encore moins mis en avant pour cette réalité.
Quand verra-t-on en France, une étude annuelle donnant l’importance de la part de leurs revenus et capitaux consacrés à la redistribution aux plus démunis sous forme de prestations sociales et aides multiples ?
L’objet de cet article n’a pas pour but de faire le procès des riches mais de leur communication. Car contrairement à une idée reçue, en France, la suppression des milliardaires n’améliorerait en rien les conditions des plus pauvres. En effet, le patrimoine des milliardaires dans le monde est d’environ 3.500 milliards de dollars. La confiscation pure et simple de ces fortunes permettrait au maximum de générer un revenu de 140 milliards par an (hypothèse d’un placement à 4%).
Cette somme est à comparer aux 3 milliards de pauvres dans le monde, vivant avec moins de 912 dollars par an, suivant les données de la Banque Mondiale.
Si l’on partageait entre tous les pauvres le revenu annuel de la confiscation du patrimoine de tous les milliardaires da la planète, le revenu annuel de ces pauvres augmenterait de 46 dollars soit 0,12 dollar par jour.
Il n’est nullement besoin de rajouter à cette démonstration les effets d’une telle confiscation sur l’emploi et l’économie, pour montrer que ce n’est pas en dépossédant les milliardaires de leurs biens que le sort des pauvres serait amélioré.
Certains diront qu’il vaut mieux ces investissements que rien. Certes, mais j’aurais aimé lire qu’il s’agissait de dons et non d’investissement qui vont produire des bénéfices. Sait-on que la fondation Bill-et-Melinda-Gates investit 95% de ses fonds dans des investissements rémunérateurs sans lien avec son objet et gérés par des financiers ?
On est face à ce qu’on appelle le « charity business », avec ses opérations de communication dont le but est de mettre en valeur la philanthropie des milliardaires et améliorer leur image. On oublie trop souvent que leurs fortunes ont été démultipliées par l’accès aux paradis fiscaux.
Doit-on mettre à l’honneur ceux qui ne donnent qu’une partie des profits qu’ils ont fait illégalement ?