Des taux, des marchés, de la dette, des Etats et de l’intérêt général
par Laurent Herblay
samedi 13 octobre 2018
La proximité du cap des 100% de PIB de dette publique en France et l’annonce du premier budget de la nouvelle majorité en Italie ont réveillé les éditorialistes oligo-libéraux. Avec la remontée des taux aux Etats-Unis, la menace des marchés se fait de plus en plus concrète, comme l’expérimentent les Italiens depuis la victoire du mouvement 5 étoiles et de la Ligue. Une situation révélatrice.
Du centre de gravité de notre monde
Bien sûr, le discours des éditorialistes des Echos est assez ridicule. Jean-Marc Vittori oublie un peu vite qu’il y a des précédents historiques pour des niveaux de dette plus élevés, comme le notait David Graeber dans son livre. Il feint d’ignorer que les marchés continuent de prêter à la France à largement moins de 1% d’intérêt par an sur 10 ans. Et il ferme les yeux sur l’expérience Japonaise, où la Banque Centrale, aux ordres de Shinzo Abe, a purement et simplement racheté l’équivalent de 75% du PIB de dette publique en seulement cinq ans. Ce faisant, son discours a quelque chose de théologique, se plaçant davantage dans le registre de la morale religieuse que du débat politique.
Malgré tout, il faut reconnaître que, dans le cadre de la zone euro, ce raisonnement n’est pas totalement faux. En effet, les Etats sont bel et bien à la merci des humeurs des marchés, comme l’a bien montré la crise de la zone euro du début de la décennie. Une envolée des taux, et un pays peut se retrouver pris dans une course sans fin à l’austérité, comme l’expérimente la Grèce depuis près de 9 longues années, et dont le Premier ministre a accepté la bagatelle de quatre décennies d’austérité supplémentaires ! Sans banque centrale, dans un ensemble économique, où les capitaux circulent à leur guise, échappant à la taxation, et à la recherche de la meilleure rémunération, c’est la loi.
Le principe même de la monnaie unique européenne est une véritable calamité pour les pays qui ne font pas partie de la zone mark. Un pays qui accumule plus d’inflation que les autres pouvait simplement dévaluer auparavant. Maintenant, il doit procéder à une dévaluation interne, baisser les salaires puisqu’on ne peut plus baisser la valeur de la monnaie. C’est ce qui a conduit la Grèce à baisser le salaire minimum de 760 à 580 euros. Le procédé est infiniment plus violent qu’une dévaluation, qui ne provoque qu’une hausse des prix des produits importés. Pire, pour sauver l’euro, l’UE a sauvé les créanciers, qui empochent la prime de risque de taux plus élevés, sans assumer le risque.
Et parce qu’il est délicat de racheter la dette publique de plusieurs Etats, la zone euro est une des zones du monde où la monétisation a été la plus faible. Bref, l’euro n’a apporté que des inconvénients depuis sa création, n’apportant aucun avantage, si ce n’est aux détenteurs de dette souveraine, et éventuellement aux commerçants, encore qu’ils ont pâti d’une croissance plus faible qu’ailleurs. Plus globalement, l’architecture de l’UE et notamment de la zone euro, soumet plus qu’ailleurs les Etats aux mouvements d’humeur des marchés, puisque les pays ont renoncé à tout moyen d’action, se contentant désormais de leur faire la cour pour les attirer chez eux, au nom de la sacro-sainte compétitivité.
Le renouveau du discours austéritaire en ce moment est proprement extravagant. Si certains excès sont dangereux, comme le montre le Vénézuela, en revanche, s’échiner à réduire les déficits et la dépense publique ne fera que peser plus encore sur la croissance. Le plus triste est de voir des dirigeants se soumettre à ce point aux désidérata des marchés, sans se demander si cela est normal.