Dette : en finir avec la malédiction de Sisyphe

par Henry Moreigne
vendredi 6 janvier 2012

C'est souvent dans les vieux pots qu'on fait les meilleures confitures. Que Michel Rocard ne se vexe pas de cette métaphore hasardeuse. Mais, la tribune qu'il a cosigné cette semaine dans les colonnes du Monde avec Pierre Larrouturou constitue un rayon de soleil à l'aube d'une année annoncée comme particulièrement sombre au plan économique. Les deux signataires proposent un dispositif alternatif à la fuite en avant dans l'austérité.

Si Sisyphe fut condamné à faire rouler éternellement, dans le Tartare, un rocher jusqu'en haut d'une colline dont il redescendait chaque fois avant de parvenir à son sommet, les gouvernements du vieux continent doivent eux, dans l'odyssée européenne, refinancer à un taux toujours plus élevé des dettes souveraines qui ne cessent de croître.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ça peut effectivement durer longtemps. Très longtemps. Déjà quatre ans d'ailleurs. Alors, que faire ? Se résigner en serrant jour après jour un peu plus la vis où, chercher à briser ses chaînes par des dispositions sinon révolutionnaires, au moins innovantes ?

Partants de l'exemple américain, Pierre Larrouturou et Michel Rocard proposent une solution de bon sens. Schématiquement, faire baisser le prix de la dette en permettant à la Banque Centrale Européenne (BCE) de prêter aux Etats à un taux voisin de zéro, via un intermédiaire, la Banque Européenne d'Investissement (BEI), pour respecter les traités de l'UE.

Pierre Larrouturou et Michel Rocard pointent le caractère incongru de la situation actuelle. "Est-il normal que, en cas de crise, les banques privées, qui se financent habituellement à 1 % auprès des banques centrales, puissent bénéficier de taux à 0,01 %, mais que, en cas de crise, certains Etats soient obligés au contraire de payer des taux 600 ou 800 fois plus élevés ?" écrivent-ils notamment. On ne saurait leur donner tort.

Il est surprenant que dans une campagne présidentielle aussi terne, cette suggestion ne retienne pas plus l'attention. Comme si, nos chicaillas internes avait plus d'intérêt que de sortir de ce que Paul Krugman définit comme, "la spirale de la mort".

On a maintes fois souligné, ici ou là, la médiocrité de la classe politique européenne. Avec raison. Les deux auteurs servent une esquisse de solution sur un plateau et, rien. Les caciques de la finance européenne reconnaissent la faisabilité juridique mais arguent de difficultés techniques. Leur scepticisme est essentiellement fondé sur la crainte de renouer avec l'inflation. Une position dogmatique de boutiquier qui équivaut à préférer mourir ruiné que de prendre le risque de vivre avec de l'inflation.

L'opposition de la BCE et de Berlin à la proposition semble acquise en raison du risque de hausse de l'inflation, mais également parce qu'ils préfèrent que les Etats adoptent leurs mesures d'austérité dans une approche punitive à l'égard des peuples cigales. Un tel constat interpelle sur le mode de gouvernance européen. On nous vantait hier la joyeuse cacophonie démocratique des institutions européennes. On découvre aujourd'hui que cette impuissance politique organisée nous livre pieds et poings liés aux trésoriers de l'UE, BCE et Allemagne avec, en arrière-plan, les marchés.

Or ces derniers facturent au prix fort l'inaction européenne. Les taux d'intérêt flambent chez nous mais pas aux Etats-Unis, malgré une dette abyssale de 15 000 milliards $, grâce à l'action du Trésor qui a fait le choix de la monétariser. A l'inverse en Europe, les déficits publics s'autoalimentent en raison de l'endettement et des taux d'intérêt de ces emprunts. Pour la seule France, la charge de la dette a augmenté de 55% en cinq ans et devrait friser les 2 000 milliards € fin 2012.

Dans ce cercle vicieux, les banques à l'inverse des peuples ont trouvé un bouclier. Les démocraties se trouvent aujourd'hui menacées par un cinquième pouvoir qu'elles n'ont pas vu venir : celui des banques. Ce qui nous renvoie à la citation de Roosevelt évoquée par Michel Rocard et Pierre Larrouturou dans leur tribune "Etre gouverné par l'argent organisé est aussi dangereux que par le crime organisé".


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