Dévaluations : une guerre des devises durant les fêtes ?

par Aimé FAY
vendredi 19 décembre 2008

Lors de son premier New Deal, Roosevelt avait dévalué le dollar de 59 %, pour disait-il : "transformer le recul en une progression vers l’avant". Ce fut l’une des clés de sa réussite. Apparemment exemplaire, puisqu’aujourd’hui beaucoup parlent de faire un New Deal. Ainsi, par le passé, aucun plan majeur de relance n’a omis d’utiliser l’instrument monétaire comme électrochoc pour accentuer son efficacité et sa rapidité d’impact sur l’économie. Dans cet esprit, comment utiliser l’arme monétaire et quel(s) pays pourrai(en)t la mettre en œuvre rapidement ?

D’abord, cela commencera indispensablement par une forte baisse du taux directeur de la banque centrale pour relancer l’investissement des entreprises et la consommation des ménages. Puis, afin d’enfoncer profondément le clou pour relancer les exportations tout en freinant les importations en les renchérir … on dévaluera le cours de la monnaie. C’est aussi simple que cela et, on le fera nuitamment durant un week-end, bien sûr !

 
Les mots d’investissement, de consommation, d’exportation, d’importation … nous ramènent totalement dans les discours ambiants et actuels de tous les gouvernements de la planète, notamment occidentaux et asiatiques.
 
Aujourd’hui, où les plans de relance se succèdent à la queue leu leu, ici et ailleurs, souvent à hue et à dia, les Etats peuvent-ils faire l’économie d’une utilisation massive de l’instrument monétaire, c’est-à-dire d’une dévaluation, sinon de sa réflexion ? Si oui, qui tirera le premier ? La Chine ? Les Etats-Unis ? Le Royaume-Uni ? L’Euroland ?
 
Tout d’abord, il convient de rappeler que l’on ne parle de dévaluation monétaire que dans le cadre d’un système de changes fixes ou concertés entre monnaies de différents pays. Ce système n’est plus celui opérant aujourd’hui. En effet, depuis la fin du système de Bretton Woods à Kingston en janvier 1976 et sauf à de très rares exceptions, le cours des monnaies fluctue au gré de l’offre et de la demande sur les marchés des changes internationaux. Dans ce cas, quand le cours d’une monnaie baisse par rapport à une ou plus autres devises, on parle de dépréciation. Cette monnaie étant plus vendue qu’achetée, son prix diminue, comme le fait toute marchandise sur laquelle l’offre est supérieure à la demande. En sens contraire, son cours augmente et l’on parle alors d’appréciation de la dite monnaie par rapport à une ou plusieurs autres devises.
 
Donc, aujourd’hui, il faut parler de dépréciation plutôt que de dévaluation. Ainsi, si un pays ou groupe de pays émetteur d’une monnaie via leur banque centrale, souhaitait la déprécier pour accompagner un plan de relance, il lui faudrait passer par le marché de l’offre et de la demande et, amener les opérateurs à se débarrasser de la dite monnaie au profit d’autres. Comment procéderait-il ?
 
Pour cela, toute banque centrale dispose d’au moins quatre leviers :
 
- D’abord, baisser fortement son taux d’intérêt et annoncer clairement à l’avance qu’il sera bientôt proche de zéro pourcent. De fait, les possesseurs de la dite monnaie – et même ceux qui ne la possède pas, les vendeurs à découvert par exemple – vont l’arbitrer au profit d’autres devises mieux rémunérées et donc plus rentables. Cette action, très simple, aura aussi l’avantage de provoquer des anticipations tout en relançant le crédit à l’économie de la zone monétaire en question.
 
- Ensuite, vendre elle-même massivement sa monnaie contre d’autres devises sur les marchés internationaux. Cette action doit être affirmée dans la continuité. Elle ne souffrira d’aucun relâchement qui pourrait faire douter de la volonté politique des autorités de la zone monétaire concernée.
 
- Puis, battre monnaie, c’est-à-dire faire tourner sa planche à billets pour inonder les marchés de sa monnaie. Tous les marchés, même le sien. Monnaie rapidement baptisée "monnaie de singe", car ne valant plus grand-chose pour cause d’inflation, si la planche à billets est utilisée sans discernement. Cette option a la particularité d’être uniquement à la disposition des pays autonomes, c’est-à-dire qui ont le droit de battre monnaie comme ils le souhaitent, tels : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, pour ne citer que les plus intéressants conjoncturellement. Pour ne pas être provocateur, ne n’avons naturellement pas cité le Zimbabwe qui, chaque jour, fait chauffer au rouge sa planche à billets en imprimant des millions de grosses coupures pour faire face, non pas à un plan de relance sans précédent … mais à une inflation de plusieurs millions de pourcents par an. Eh oui, cela existe encore aujourd’hui !
 
Quant à l’Euroland, il pourrait battre monnaie, mais il faudrait pour cela qu’il renie ses statuts et qu’il ait l’accord de tous les pays qui le composent.
 
- Enfin, ultime levier, mener une politique budgétaire dispendieuse et suicidaire, en faisant craindre la faillite prochaine de l’Etat concerné, provoquant irrémédiablement une fuite devant sa monnaie, elle aussi bientôt nommée "monnaie de singe". Cet outil, bien que dangereux s’il est utilisé de manière irresponsable, est à la disposition de tout pays automne en matière de politique monétaire (cf. supra).
 
Le décor est planté. On voit ses nombreuses limites. La question finale peut maintenant être posée : quel Etat pourrait demain avoir la volonté politique – et malfaisante – de choisir comme scénario de relance massive, celui qui le conduirait à utiliser concomitamment les quatre outils cités ci-dessus, pour faire en sorte que sa monnaie soit durablement dépréciée sur les marchés internationaux – ce qui reviendrait à une dévaluation de fait, mais donnerait un bon coup de booster à son économie ?
 
Si le premier outil, celui des taux, est relativement acceptable et donc utilisable comme premier outil d’une politique de relance, les trois seraient une véritable déclaration de guerre économique et peut-être … de guerre tout court.
 
Il convient cependant de noter que vendre et brader sa monnaie sur les marchés des changes est une action heureusement parfaitement visible, dès les premières transactions d’ampleur et récurrentes.
 
Par contre, mener une politique budgétaire dispendieuse et irresponsable, peut échapper durant plusieurs semaines à beaucoup de personnes, même aux organismes internationaux chargés de scruter les politiques conjoncturelles des pays adhérents.
 
Quant à battre monnaie, c’est la même chose. En effet, cela peut être parfaitement discret dans un premier temps et donc échapper aux organisations internationales chargées des statistiques. Mais, une fois découvert, plusieurs mois après, le mal étant fait, les autres pays seraient alors devant le fait accompli et … totalement impuissants.
 
Donc, comme on le voit, le pays qui voudrait utiliser l’arme monétaire pour accompagner ses plans de relance à répétition, pourrait facilement le faire. Les outils, plus ou moins voyant, ne manquent pas. A court terme, ils ont souvent montré leur efficacité. A moyen et long terme, ils peuvent être catastrophiques s’ils ne sont pas accompagnés de politiques structurelles visant à équilibrer la quantité de monnaie émise avec le volume de production et le niveau des prix - c’est léquation quantitative de Fisher : MV = QP.
 
Si un Etat est amené à utiliser aujourd’hui l’arme de la dépréciation massive de sa monnaie c’est, soit qu’il est incompétent, car il n’aura pas su mettre en œuvre le bon plan de relance au bon moment, soit qu’il se moque totalement de ses partenaires économiques, soit les deux en même temps … soit qu’il ne craint personne à quelque niveau que ce soit.
 
Alors, quid de Roosevelt en 1933 ? Roosevelt avait à cette époque le devoir de sauver les Etats-Unis d’Amérique du gouffre de la grande dépression. Il l’a fait. Il a réussi et, l’once d’or qu’il a dévaluée à 35 dollars est restée la référence mondiale durant quarante-trois ans, exactement.
 
L’exemple de Roosevelt est-il encore valable aujourd’hui ? Quand il s’agit de sauver son pays de la récession, voire d’une amorce de dépression, des fermetures d’usines à la chaîne, des files de chômeurs qui s’allongent … aucun Etat ne peut, en conscience, renoncer à utiliser tous les outils à sa disposition sous prétexte qu’il porterait atteinte à ses partenaires économiques. La raison d’Etat prime !
 
Alors, une fois la chose décidée, celle de procéder à une dévaluation compétitive, il faudra agir vite et surtout sans préavis. Quand ? Peut-être durant les fêtes, période très propice à l’action masquée et surprise ? Le premier Etat qui tirera, prendra un avantage concurrentiel et compétitif déterminant pour le salut de son économie. Ben Bernanke a prévenu : "Je suis prêt à utiliser tous les instruments à ma disposition pour sauver le pays de la récession". A bon entendeur … ! Il est déjà passé à l’action. La Fed a baissé son taux cible close to zero (proche de zéro), mercredi 17 décembre 2008. Jusqu’où ira-t-elle ? La BCE va-t-elle réagir, avec la même ampleur, si elle ne veut pas être distancée de manière irréversible et plonger la zone euro dans une catastrophe récessionniste qui marquera son histoire et la présidence Trichet ?
 
Les prochains jours ou tout au plus les prochaines semaines, devraient être porteurs de décisions très fortes, cette fois-ci non conventionnelles et donc vraiment sans précédent.
 
La décision ultime de déclarer une guerre des devises viendra-t-elle d’un grand pays tel que la Chine, des Etats-Unis d’Amérique … ou tout simplement d’un petit royaume comme celui de Grande-Bretagne, pas vraiment intégré à l’Union européenne et à ses solidarités de façade ?
 
A suivre ! 

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