Du protectionnisme, des réactions des marchés et de Keynes

par Laurent Herblay
samedi 23 juin 2018

Depuis mars, les annonces protectionnistes de Trump font baisser les marchés. Mais la faiblesse des mesures prises les a fait remonter, jusqu’à ce que les Etats-Unis annoncent des taxes sur 200 milliards de produits chinois, faisant retomber les bourses mondiales. L’occasion de revenir sur le sens de ces mouvements, mais aussi sur un remarquable texte de Keynes déniché récemment.

Des marchés et de l’intérêt général

Les cris d’effroi de la majorité des éditorialistes sont tout de même effarants. Ils répètent comme des perroquets que la baisse des bourses reflèterait les conséquences malheureuses qu’auraient les mesures protectionnistes de Trump. Comme si les indices boursiers indiquaient la bonne santé d’une économie, eux qui ont démontré leur exubérance irrationnelle en de multiples occasions depuis 20 ans, au tournant du siècle en valorisant de manière ridicule les entreprises de la nouvelle économie d’alors, qui n’avaient pas vu la pyramide de paris financiers fous en 2008, et qui valorisent Tesla bien plus que des entreprises qui savent fabriquer des millions de voitures de manière rentable.

Pire, comment ne pas comprendre que les intérêts de ces marchés financiers ne représentent que les intérêts d’une toute petite minorité, ceux des 1% au mieux, devant l’immensité grandissante des inégalités, et que leurs intérêts divergent de plus en plus de ceux de la grande majorité, comme le montrent Piketty ou Stiglitz. Bref, le sens indiqué par les marchés a toutes les chances de ne pas être le sens de l’intérêt général mais seulement des grands actionnaires des multinationales. Ce faisant, on serait tenter de conclure que ce qui les fait baisser peut parfois simplement indiquer des mesures économiques qui vont contre leurs intérêts parce qu’elles vont dans celui de la très grande majorité…

Et c’est bien ce dont il s’agit aujourd’hui avec les mesures annoncées par Trump. Bien sûr, les ayatollahs du libre-échangisme ne manqueront pas d’affirmer, comme des perroquets oligo-libéraux que cela pénaliserait les plus pauvres qui paieront leurs produits faits en Chine plus cher. Raisonnement ridicule pour qui étudie l’évolution du pouvoir d’échat des classes populaires aux Etats-Unis depuis 45 ans, ou les études qui soulignent l’impact désastreux sur l’emploi. Le libre-échange ne sert que les intérêts des multinationales et de quelques pays, la pression qu’il met sur les salaires et l’emploi faisant plus que compenser les gains bien illusoires et temporaires de prix sur quelques produits.
 
L’occasion de relire un texte incroyable de Keynes de 1933, publié sur le très recommandable site d’Olivier Berruyer, Les Crises, que Jacques Sapir avait déjà exhumé en 2006, dans l’Economie Politique. Un texte où celui qui est probablement le plus grand économiste du siècle dernier plaide pour une relative « autosuffisance nationale  » et défend le protectionnisme. Il appelle à « produire chez nous chaque fois que c’est raisonnement et pratiquement possible, et surtout faisons en sorte que la finance soit nationale  ». De manière très actuelle Il y dénonce « la place extravagante des résultats financiers (et) la ruine des paysans pour gagner quelques centimes sur une miche de pain  ».
 
Keynes n’est pas pour autant pour l’autarcie et dans ce texte, il appelle à lutter contre la bêtise du doctrinaire, la précipitation et l’intolérance. Ce faisant, il remet à sa place la critique superficielle et à courte vue des annonces protectionnistes de Trump, dont on sait déjà qu’il est tout sauf sûr qu’elles trouveront une traduction concrète, tant il semble prêt à tout

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