Dubai Inc, ou la première faillite d’un fonds souverain

par Renaud Bouchard
mercredi 9 décembre 2009

Fonds souverains, dettes souveraines et richesse des nations.

Les problèmes de dette de Dubaï hérités d’une frénésie de programmes immobiliers ont suscité de vives inquiétudes parmi les investisseurs occidentaux qui s’étaient tournés vers la région du Golfe pendant la crise financière mondiale, convaincus qu’il existait encore un havre à jamais préservé des contingences à court terme de l’incendie économique né en 2008.


Beaucoup plus qu’un incident de parcours venu corriger une erreur de gestion, le séisme financier dont l’épicentre est la capitale économique de la fédération des Emirats Arabes Unis n’a pas fini d’engendrer des répliques en fragilisant une situation largement obérée depuis plusieurs années.


 Peu importe que les créanciers de Dubaï et de son fleuron économique Dubaï World acceptent ou non la décision de l’émirat de repousser à mai 2010 l’échéance d’une dette exigible de 26 milliards de dollars. Chaque opérateur n’a plus désormais en vue que la perspective de sauver ses investissements en tentant de se joindre au partage des dépouilles lors de la grande braderie internationale d’actifs immobiliers bientôt réduits à leur valeur d’usage parce que devenus incapables de garantir aussi bien les engagements que la signature financière internationale des conglomérats de « Dubai Inc. », ce gigantesque promoteur aujourd’hui en état de cessation de paiements. 


 Les mesures de sauvegarde initiées par le richissime voisin Abu Dhabi et la solidarité de place des Emirats Arabes Unis ne laisseront pas Dubaï indemne des conséquences de cet événement majeur qu’aura constitué la première faillite conjointe d’un fonds souverain (Dubai World) et d’une dette souveraine née des activités de cette entité. La faute impardonnable - quoiqu’en la matière la perspective d’un retour au profit soit souvent signe d’indulgence - aura été de leurrer des partenaires financiers sur la validité du service d’une dette souveraine tangible artificiellement soutenue par la dynamique d’une bulle dont l’expansion continue encore d’être nourrie par l’exaltation d’une croissance fallacieuse.


 C’est qu’en effet l’inauguration du Burj Dubai, le plus haut gratte-ciel du monde, par le Sheikh Mohammed bin Rashid Al-Maktoum , Premier ministre des Émirats arabes unis et vice-président et gouverneur de Dubaï, ne saurait être gâchée, même si la question qui se pose désormais est de savoir, non pas si la croissance de Dubai va continuer, mais plutôt si ses dirigeants auront la capacité - et paradoxalement les moyens financiers - d’enrayer son déclin et de capitaliser sur les fruits futurs générés par cette bulle économique.


 Même pour des acteurs investisseurs habitués à l’accumulation brutale du capital, l’image de ces mêmes dirigeants qui, dans un cadre juridique des plus incertains, ont parfaitement intégré le mécanisme de privatisation des bénéfices en période de forte expansion et de socialisation des pertes après retournement conjoncturel, est désastreuse. Il n’est pas sûr en effet que les établissements bancaires étrangers les plus exposés souscrivent sans réagir à la déclaration du Sheikh Mohammed bin Rashid Al-Maktoum affirmant son intention de dissocier les engagements propres à l’Etat de ceux de conglomérats tels Nakheel et Limitless…Aujourd’hui, même l’accumulation sauvage du capital obéit à des règles, de telle sorte que plus aucun créancier n’accepte de perdre quoi que ce soit, pas plus les banques occidentales que la clientèle de l’Asie musulmane sensible aux produits financiers islamiques, notamment les sukuks.


  Le vrai problème de Dubaï et des membres du Conseil de Coopération des Etats arabes du Golfe (la Fédération des sept émirats, l’Arabie saoudite, Koweit, Qatar, Bahrein et Oman) réside dans leur incapacité de renoncer de manière immédiate à la perpétuation d’un modèle économique intrinsèquement dangereux et toxique à très court terme, comme vont le montrer les difficultés de l’émirat à honorer le service de sa dette souveraine dans les deux prochaines années, respectivement à hauteur de 13 milliards de dollars en 2010 et 19,5 milliards en 2011.

 

 Une entité, l’EIA (Emirates Investment Authority) semble avoir pourtant perçu les dangers d’une progression sur les sables mouvants. Premier fonds souverain fédéral créé en novembre 2007 avec mandat de gérer les intérêts et participations des Emirats Arabes Unis (Abu Dhabi, Ajman, Dubai, Fujairah, Ras al-Khaimah, Sharjah et Umm al-Quwain) dans les Etats membres du CGC, l’EIA a en effet très paradoxalement compris - sagesse ou opportunisme ?- la nécessité de dépasser les errements et excès de ce fameux « Stade Dubaï du capitalisme » décrit par Mike Davis et François Cusset (1). 

 

 Face à des agences de notation désormais prêtes à cribler sévèrement les émissions de produits financiers, attentive à la question de la contribution des émirats à leurs fonds souverains respectifs et à leur politique d’investissement de leurs excédents budgétaires, l’EIA a ainsi très discrètement mais fermement rappelé à certains de ses membres la nécessité de construire enfin une architecture de flux financiers redistributive de richesses, en adéquation avec les marchés intérieurs et internationaux, et surtout moins exposée aux déséquilibres générés par des programmes démentiels dévoreurs de finances publiques à l’image de ceux dont Dubaï, mais aussi Abu Dhabi et à moindre degré Qatar, sont devenus les parangons à l’échelle de l’économie-monde (2) et de la ville-monde(3).

Références :

(1) Mike Davis, Le stade Dubaï du capitalisme, Paris, Les prairies ordinaires, collection Penser/Croiser, 2007.


(2) Mike Davis, Au-delà de Blade Runner. Los Angeles et l’imagination du désastre, Paris, Allia, 2006.

(3) Mike Davis et Daniel B. Monk (dir.), Paradis infernaux. Les villes hallucinées du néo-capitalisme, Paris, Les Prairies ordinaires, 2008.

 

 

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