EADS, « DGS » et dépénalisation du droit des affaires

par Rage
mardi 9 octobre 2007

Faites ce que je dis, mais surtout pas ce que je fais. Cet adage pourrait trôner sur le fronton du MEDEF et de bon nombre des membres du gouvernement tant il est d’actualité. A l’heure où certains parlent de « dépénalisation du droit des affaires », force est de constater qu’il est plus que jamais un maigre outil de régulation au sommet de la société. En effet, comment ceux-là même qui animent des rencontres sur le droit du travail, ceux-là même qui affichent la « faillite » de l’Etat pourraient-ils être les mêmes acteurs des détournements de fond et des délits d’initié en masse ?

Deux affaires pour une même réalité : au sommet de la société, le pillage de l’Etat par l’Etat et ses succursales est en cours.

Mais ce n’est pas tout. L’Etat devient un outil « neutre » d’un jeu de plateau où des intérêts privés s’affrontent :

- M. Breton, pas forcément proche de M. Sarkozy, fait un bouc émissaire idéal pour attirer le regard autre part que sur MM. Lagardère, Forgeard, etc., sinon pourquoi Le Figaro aurait-il laissé filtrer ce scandale ?

- Quant à l’affaire « parallèle » du bras droit de la présidente du MEDEF, il s’agit ni plus ni moins que de la traduction concrète de l’opacité syndicale, des sources de financements au suivi effectif de l’affection des sommes conséquentes maniées.

Dans les deux cas, ce sont les contribuables, et seulement eux, qui paient l’addition.

Travailler plus pour... faire gagner plus aux autres alors ?

L’affaire EADS

Je l’avais déjà souligné dans mon article « EADS : l’entreprise au-delà du système » que les délits d’initié sentaient à plein nez.

L’équipe à Forgeard, de ses enfants au groupe direction, en passant par Lagardère savaient tous que les retards de production allaient pénaliser le cours de bourse gonflé par les carnets de commande.

Les employés, eux, se taisaient sur le terrain par peur d’être identifiés comme étant les responsables boucs émissaires de tout retard de livraison, retards issus de délais trop courts affichés par des « administrateurs » déconnectés du réel et bien plus empressé à regarder leurs cours de rentabilité plus que de suivre sur le terrai l’appareil industriel.

Ces grands financiers savaient, sinon qu’administraient-ils ?

Ils savaient, et l’Etat savait aussi du fait de sa participation au conseil d’administration.

La justice peinera sans doute à prouver l’évidence et l’on fera en sorte de noyer l’affaire pour ne pas éclabousser énormément d’intérêts à de hauts niveaux, qu’ils soient politiques ou financiers.

Sur le terrain, j’imagine que les salariés contraints à la vache maigre et au serrage de ceinture du plan Power 8 apprécieront le fait qu’ils soient tous en train de trinquer pour rincer des intérêts de quelques grands argentiers partis avec la caisse le sourire aux lèvres.

Mais ce n’est pas tout.

L’Etat, via son ministre de l’Economie et des Finances de l’époque, Thierry Breton, n’a pas joué son rôle.

Pire, le ministre a fait en sorte de couvrir ses ex-collègues d’école pour reproduire ce qu’il avait si bien manié dans ses passages à France Telecom puis à Thomson : prendre les commandes à des cours bas, gonfler les chiffres, vendre à l’Etat et aux petits actionnaires au plus haut, laisser partir les « amis » ensuite avec la caisse.

Thierry Breton avait déjà du passif, de France Telecom après privatisation en passant par Thomson (54 € à l’appel de capital et 14 € aujourd’hui), on pouvait imaginer que M. Breton ne s’arrêterait pas en chemin.

Chantre de l’Etat qui vit plus haut que ce qu’il devrait, M. Breton ne pouvait qu’être au courant pour EADS. Mais était-il le « cerveau » ou bien l’interface incompétente de l’affaire ? Est-ce que Forgeard, Lagardère & co n’ont pas utilisé cet Etat « passif » pour mieux régler leurs comptes et faire trébucher d’autres têtes ?

Lorsque les nouvelles des retards étaient connues, les gros actionnaires se sont empressés de vendre. Afin de ne pas avoir un scandale lors des élections, M. Breton a demandé/suivi /ou fait réalisé par la Caisse des dépôts et consignations - bras armé financier de l’Etat - l’achat massif des actions que vendaient avec empressement une bonne centaine de cadres d’EADS : on ne vend pas des millions d’actions sans qu’il y ait d’un coup d’un seul des vendeurs en face.

Grossièrement et sans voile, la CDC a couvert l’effondrement des cours, consacrant l’adage d’un Etat qui est présent pour mutualiser les pertes et pour grossir la concentration financière dans certaines mains.

Christine Lagarde a raison : l’Etat n’a pas vendu une action. Pire que cela, il en a acheté à des cours au sommet : il a donc perdu de l’argent. Nous avons tous payé pour Forgeard & associés.

L’affaire Denis Gautier Sauvagnac dit « DGS »

Confirmé par la présidente du Medef, Laurence Parisot, dans ses fonctions de négociateur en chef, Denis Gautier Sauvagnac a emmené, vendredi 5 octobre, la délégation patronale (Medef, CGPME et UPA) sur le dossier "sortie de l’emploi" dans le cadre de la négociation avec les syndicats sur la modernisation du marché travail qui doit s’achever fin 2007.

L’affaire des « liquidités » est fort mal venue pour M. « DGS » alors même qu’il devait être le pivot de l’assouplissement du droit du travail et plus exactement le bras armé de son démantèlement.

Manque de chance peut-être, une perquisition à la puissante UIMM découvre la modique somme de 350 000 € en liquide. Il n’est pas nouveau que les instances syndicales aient des financements occultes et peu transparents, mais de là à conserver sur site des liquidités dans de tels volumes, on est en droit de se demander pour quels usages ?

Par ailleurs, DGS venait tout juste d’être mis en cause dans l’affaire de retrait en liquide de 5,6 millions d’euros - somme conséquente dont on peut imaginer le volume en valises - ce qui ne fait qu’affirmer qu’il n’y a pas de fumée sans feu.

On peut là encore imaginer à la sources les salariés à qui l’on demande plus d’efforts et de sacrifices le type de réaction que l’on peut avoir quand on sait que l’on subit des licenciements en masse pour alimenter ce type de caisses noires et de personnages.

Le plus insolent étant au final de retrouver autour d’une table cruciale pour tous les salariés de France, celui-là même qui représente toutes les manigances financières et jeu de « gros sous » les plus scandaleux.

Pire encore, à l’heure de l’alignement de Nicolas Sarkozy sur la ligne du Medef, à l’heure où Mme Parisot est en position de force et souhaite imposer à tous les salariés une cure d’austérité, le bras droit de cette dernière est mise en cause dans une affaire de gros sous, sans doute la face émergée de l’iceberg.

Car sous cette affaire se cache deux questions-clés :

- les modalités de financements occultes des syndicats et donc d’une réforme profonde tant de la représentativité syndicale que des modes de financements (voir les « trous noirs » des cotisations à la formation professionnelle) ;

- les modes d’affectation de ces financements et donc d’une réforme sur les suivis comptables et techniques des fonds à disposition des syndicats.

Dans ce cas comme dans le précédent, il s’agit ni plus ni moins que de centaines de millions d’euros qui partent dans la « nature » au moment où l’on nous revend encore une cure d’austérité, une faillite, un Sécu plombée... sans aucun doute, mais par qui et pourquoi ?

Une fâcheuse contingence

Nicolas Sarkozy a promis d’agir sur tous les fronts. En effet, pour mieux imposer sa vision, diversifier les fronts permet d’éviter une mobilisation massive.

Tous les fronts, sauf un : la criminalité en col blanc, car c’est de cela dont il s’agit.

A l’heure des peines planchers où l’on coffre un petit voyou pour avoir cassé un pot de fleur, au sommet de la société, on souhaite faire le « blanc justice » pour ceux - ministres ou PDG - qui brassent des sommes colossales, fruits du travail et de l’épargne de tous.

Peut-être n’en ont-ils plus conscience, mais les sommes brassées correspondent à la consécration de la production d’un pays, de personnes, d’outils.

Si certains partent avec la caisse en toute impunité, comment dire à ceux qui commettent des petits larcins qu’ils doivent se conformer à une justice à géométrie variable ?

Justice attaquée par les « placements » de Mme Dati, justice amaigrie par les idéologies, mais justice qui fait encore son travail dans des conditions difficiles, et de plus en plus restreintes : à quand M. Tapie à la tête du Conseil supérieur de la Magistrature ?

M. Sarkozy applique exactement les règles qui régissent son milieu, à savoir beaucoup de belles paroles, des actions à l’inverse des dires et surtout une vision très parcellaire de la réalité avec une immunité totale d’une caste dominante qui souhaite avoir tous les droits sans aucun devoirs, et surtout aucune régulation. Sinon pourquoi notre agité de président ne serait-il pas encore monté au créneau ? Son silence en dit long.

On affiche une cure d’austérité déguisée sous des formes qui frappent l’inconscient naïf collectif puis on déplace les problèmes et enfin on termine la boucle en déplaçant les richesses collectives vers des intérêts privés ciblés. Plus c’est opaque, mieux ça marche.

Tous irréprochables, jamais responsables, encore moins coupables.

La tactique est claire, elle se démontre par exemple avec les heures supplémentaires qui vont grever la Sécurité sociale de ressources, cette même Sécu sera alors montrée du doigt comme étant déficitaire. On inventera alors des franchise médicales, qui ne serviront pas à la Sécu, mais à alimenter le plan Alzheimer, plan Alzheimer qui alimentera les caisses de la recherche... privée de Sanofi-Aventis et autres en plus des perfusions d’argent public via pôle de compétitivités.

Il s’agit ni plus ni moins de détourner en masse de l’argent public vers des pôles privés concentrés (Bouygues, Vinci...) : la manne publique enrichit ces entreprises et portent à leur tête de puissants appuis financiers qui viendront ensuite remercier le camp politique qui aura alimenter leur caisse.

La boucle est bouclée. Parfois il y a des « fuites » comme dans les affaires EADS, Clearstream, Crédit Lyonnais...

Mais certains en veulent plus, car la compétition est mondiale, et les Français veulent jouer avec les grands, ce qui induit d’avoir le niveau.

Or le pays ne l’a plus, parce que la base ne l’a plus.

Il faut donc tirer sur la masse, la pressuriser avec un peu de « travailler plus pour gagner plus », distendre la classe moyenne et porter au firmament des personnes dont l’éthique, le goût du travail et le respect des personnes sont pour le moins douteux, si ce n’est condamnable.

Dépénalisation du droit des affaires ?

Dans ce contexte, on imagine bien que la priorité - non affichée à la présidentielle - soit de dépénaliser le droit des affaires pour ces « pauvres » patrons qui vivent dans la peur permanente de passer devant un tribunal : mais n’est-on pas patron pour assumer des responsabilités et faire du travail proprement ?

Le groupe de travail programmé sur la dépénalisation du droit des affaires est une provocation technique et éthique - on n’est plus à cela près ces derniers temps - qui aura des répercussions fortes à tous les étages :

- - Au plus haut niveau, car déresponsabiliser c’est se donner la garantie de dérapages ;

- - Au plus bas niveau, car dépénaliser le haut du panier revient à casser l’effet d’exemple et à déresponsabiliser la base par effet de cascade ;

- - Au milieu du tas, car si les uns et les autres ne respectent plus les règles, pourquoi les assumer pour tout le monde ?

Le simple fait d’énoncer ce genre de groupe de travail en dit long sur la manière de voir les choses de M. Sarkozy, non seulement sur son éthique propre, mais aussi sur sa vision des réalités : avec des scandales tels qu’on les entends, dépénaliser le droit des affaires revient à faire rentrer les loups dans une bergerie déjà bien endommagée et déjà infestée.

La guerre tacite menée par l’Etat contre l’Etat constitue une idéologie destructrice par laquelle Mme Thatcher et M. Reagan ont mis à sac leur pays : peut-être est-ce cela la rupture ?

Réformer le syndicalisme, sanctionner les patrons voyous, donner de la transparence et réguler le système est certes plus difficile, mais n’est-ce pas l’ambition que nous devrions avoir ? A moins que notre système ne soit à un tel point vérolé qu’il ne soit déjà trop tard...


Lire l'article complet, et les commentaires