Emploi : passage par la case chômage, conditions de travail dégradées... quelles perspectives ?

par cza93
mardi 7 août 2007

Les études et rapports sur le sujet de l’emploi en France se suivent... et se ressemblent à travers le pessimisme général qui s’en dégage et traduit bien celui de la majorité de la population active de ce pays. De ces interrogations, de ces analyses, des pistes pour retrouver une situation de plein emploi sereine et pérenne se profilent timidement, mais, faute de volonté politique, elles ne sont pas prises en compte car elles ne correspondent pas ou peu au « dogme » officiel lorgnant vers un libéralisme « décomplexé » à l’américaine, et les quelques mesures prises, essentiellement au bénéfice du patronat, apparaissent inadaptées voire contre-productives par rapport aux conclusions des études réalisées...

Selon une étude Sofres de juillet 2007, pour 61 % de la population interrogée, les conditions de travail se sont dégradées ; 75 % se plaignent de stress au travail, 54 % de l’incertitude face à leur avenir (peur du chômage), 45 % regrettent un manque de reconnaissance. Bref, le monde du travail n’est plus un lieu d’épanouissement ! Et ce ne sont certainement pas les mesures de dérégulation et d’assouplissement du Code du travail promises par le président Sarkozy qui vont permettre un renversement de cette tendance côté salariés, car ce qui semble déjà le plus pesant pour cette catégorie d’actifs c’est :
- le stress provoqué par les méthodes de management du "toujours plus, toujours plus vite" et de la mise en concurrence permanente ;
- et son corollaire : la crainte de perdre son emploi et surtout de ne pas en retrouver un, dans un pays où le taux de chômage reste élevé, la protection sociale s’affaiblit, et où nombre d’entreprises jouent sur ce tableau pour mettre la pression sur des salariés ou postulants qui finissent par douter de leurs compétences.
Or, les mesures proposées par le gouvernement ne sont que des assouplissements en faveur du patronat : statut des heures supplémentaires, contrat unique, fin annoncée des 35 heures...
... Tout ceci avec en arrière-plan la médiatisation de suicides récents dans des grandes entreprises, dont il semble que nous vivons une véritable épidémie... Voilà qui ne risque pas de remonter le moral des troupes !...
Et sur fond également de craintes de nouvelles baisses du pouvoir d’achat avec les projets de TVA sociale, de franchise médicale, la hausse annoncée des prix du pétrole et de certaines denrées alimentaires à cause du renchérissement des prix des matières premières (céréales et lait notamment), de ceux de l’immobilier qui restent élevés, et indirectement les effets du bouclier fiscal dont il faudra bien compenser les largesses accordées à quelques-uns... N’en jetez plus, la coupe est pleine !
Une étude récente (Cereq) a suivi des jeunes issus de différents milieux, formations, expériences personnelles et familiales, dans le cadre de leur entrée dans le monde du travail.


Cette étude, menée sur du long terme, montre que le rapport au travail et le sens qu’on lui donne, évoluent au fil des expériences professionnelles, des opportunités, réussites ou échecs, qu’il y a interaction entre la sphère professionnelle et personnelle ; mais surtout, ce qu’il en ressort, pour une large proportion de la population étudiée, c’est un sentiment d’usure, de désillusion, de manque de perspectives et de peur en l’avenir (spectre du chômage), qui interviennent relativement rapidement et qui tuent l’audace et le désir d’entreprendre que l’on pourrait espérer trouver chez des jeunes actifs posant un regard neuf sur le monde du travail.
D’une façon générale, on peut dire que la situation du salariat se dégrade depuis quelques années.


Parallèlement à l’affaiblissement des protections sociales, on demande au salarié de développer son autonomie, sa capacité à faire face seul aux aléas de la vie et du monde du travail ; l’individualisme prôné par notre société finit par devenir solitude mortifère dans le sens où les moyens de gérer cette autonomie nouvelle ne sont pas conférés à l’individu.


Ainsi, les organismes chargés du suivi des chômeurs sont passés du rôle d’établissements de "placement", à celui d’"accompagnement" ; devenus moins directifs, ils ne servent plus d’intermédiaire entre offre et demande d’emploi ; ils proposent désormais à la place des bilans de compétence, des ateliers de rédaction de CV ou préparation aux entretiens, des projets de formation... mais sans disposer réellement des budgets nécessaires (... et tout cela étant conseillé, mais sans caractère d’obligation ni réel soutien ou tutorat)...


Le problème de cette mutation dans le suivi du chômage, c’est qu’on ne demande plus de garantie de résultat aux organismes d’Etat qui en sont chargés, cette responsabilité ayant été transférée sur le chômeur (ce qui explique sans doute l’image de profiteur, de « fainéant » et de parasite qu’une partie de l’opinion publique lui prête quand il tarde à "rebondir").


Par ailleurs, la qualité des services apportés est souvent médiocre, voire ils sont inadaptés car tous les chômeurs n’ont pas la capacité de s’autogérer ni d’évoluer en profondeur, ce qui leur est pourtant demandé ; on peut regretter le manque d’efficacité ou d’efficience du personnel de l’ANPE, qui n’a pas non plus été préparé à ces changements, qu’il subit sans bien les maîtriser, plus qu’il n’en fait la promotion (monter un dossier de VAE fin 2004 m’a demandé plus d’efforts et de persévérance, que cette VAE n’en a nécessité pour parvenir à son aboutissement !).
Une des conséquences de ce système, c’est précisément d’entretenir le chômeur dans son doute en ses capacités et son inquiétude face à l’avenir, ce qui ne le met pas en position de force ni de confiance en soi, sentiments nécessaires pour mener à bien une recherche d’emploi. Utiliser une période de chômage pour faire le point sur sa carrière, entreprendre des formations, des remises à niveau ou préparer une reconversion est non seulement très difficile à faire financer, mais demande en plus une grande pugnacité face à des structures d’accompagnement défaillantes ou dépassées. Il faut se déplacer en divers endroits, multiplier les contacts pour obtenir ne serait-ce qu’une information fiable sur ce à quoi on peut légitimement prétendre.


Le chômeur est aussi fragilisé par le système du PARE (Plan d’aide au retour à l’emploi), qui, s’il fige le montant des indemnités chômage durant toute la période d’indemnisation (il n’y a plus de dégressivité), réduit néanmoins celle-ci à 23 mois, sans possibilité de suspension de cette durée pendant une période de formation ; ce qui fait que la durée d’indemnisation est très courte, pour quelqu’un qui souhaite évoluer ou se former pour changer de filière (par exemple préparer un diplôme d’Etat qui nécessitera un ou deux ans d’études).
Passés les 23 mois d’indemnisation du PARE, si le chômeur n’a pas retrouvé d’emploi, il ne touche plus que l’ASS (Allocation de solidarité spécifique) ou le RMI dans le meilleur des cas !


C’est ce qui explique que nombre de chômeurs issus des catégories cadres - professions intermédiaires - employés qualifiés, effrayés par cette perspective de chute vertigineuse dont ils imaginent déjà la destination finale sur les bords du canal Saint-Martin parmi les SDF, choisissent de retourner dans la vie active coûte que coûte et au plus vite, même si pour cela ils doivent emprunter le fameux "descenseur social".

Sortir du chômage : où l’on constate un désajustement de plus en plus courant entre emploi recherché et emploi retrouvé... Illustration tragiquement concrète du descenseur social : le déclassement professionnel ou la mobilité descendante... Ces termes décrivent ce non-choix de chômeurs de plus en plus nombreux, qui, redoutant de ne pas retrouver un emploi et de se retrouver sans ressources, postulent et acceptent des emplois sous-qualifiés par rapport à leur formation ou leur expérience. Fait aggravant, en général, cet emploi retrouvé n’est pas pérenne, s’agissant essentiellement de postes en CDD ou intérim, ce qui multiplie les risques de retour au chômage... Mais dans l’esprit du chômeur cela rend plus acceptable cette situation car elle lui apparaît ponctuelle, réversible. Le danger de cette non-stratégie pensée dans l’urgence, c’est la succession d’emplois précaires, ne permettant pas d’enclencher un processus de mobilité ascendante ; le temps passant, il devient difficile d’obtenir la reconnaissance des qualifications et compétences initiales lorsqu’on postule pour un poste correspondant à son profil réel, non dévalué.
Au final, ce mouvement s’auto-entretient, et le déclassement devient irréversible.
Jusque dans les années 1980/85, le phénomène est rare, mais il tend à se développer depuis les années 1990.

On peut donc dire que l’acceptation d’emplois déclassés n’apparaît pas comme une stratégie efficace de sortie du chômage, qu’elle constitue plutôt un enlisement dans la précarité, aboutit à une perte de ses compétences initiales, à une dégradation de la perception de soi, à une perte de confiance, au fur et à mesure que la personne s’éloigne durablement de son métier de référence. Côté employeur, cette situation pose le problème d’un manque d’adéquation grandissant entre la qualification des emplois à pourvoir (grille des salaires, descriptifs de postes...) et la qualification de la personne recherchée (formation et expérience requises par rapport à l’utilisation réelle des compétences). Sur un marché (tertiaire notamment) où l’offre (demandeurs d’emploi) surabonde, les employeurs vont avoir tendance à demander plus de compétences que nécessaire au nom de la sélection, et à faire jouer la concurrence en termes de salaire revu à la baisse (cela me rappelle le scandale en 2006 autour d’un site internet d’emploi en Allemagne, où les emplois se négociaient aux enchères à l’envers, le poste revenant au moins disant). Actuellement, un chômeur sur deux sort du chômage avant un an, mais plus d’un inscrit au chômage sur deux avait déjà connu un ou des épisodes de chômage dans les trois ans précédant son inscription à l’ANPE.
Et 4 personnes sur 10 s’inscrivent à l’ANPE suite à une fin de CDD ou de contrat d’intérim.
Enfin, 30 % des chômeurs (40 % pour les jeunes) déclarent que l’emploi retrouvé ne correspond pas à ce qu’ils recherchaient.
Pour nombre de ces chômeurs, la priorité a été de sortir du chômage au plus vite, quitte à accepter des conditions d’emploi, de salaire, de statut, de lieu de travail, difficiles ou peu concordantes avec leur parcours.

Découragement ?
Résignation liée au contexte économique ?
Toujours est-il que cette stratégie gomme l’expérience professionnelle en mettant à égalité de conditions d’embauche des séniors expérimentés et des jeunes entrant sur le marché du travail, des diplômés et des non-diplômés ; elle met aussi un frein à toute perspective d’évolution de carrière...

Pour la période 2005/2006, on considère que 18,5 % des sortants de l’ANPE sont professionnellement déclassés, 32 % ayant retrouvé un CDI, contre 59 % étant embauchés en CDD ou en intérim.
Enfin, avec l’ancienneté dans le chômage, on constate que le déclassement progresse.

Globalement, un individu sur cinq connaît au moins un épisode de chômage durant sa carrière ; c’est un chiffre considérable.
Même si l’on sait que l’évolution de la situation économique a banalisé et multiplié les risques de passage par le chômage durant une carrière, il faut que cet épisode soit le plus court possible et cesse de constituer dans les faits une rupture lourde de conséquences dans les trajectoires professionnelles.

La majorité des créations d’emploi est actuellement constituée par celle de postes non qualifiés et avec des conditions de travail contraignantes (temps partiels, horaires décalés...) ; ce sont des postes qui présentent peu de perspectives d’évolution de carrière (ex : emplois dans l’hôtellerie et la restauration, ou services aux personnes). Il est donc difficile de fidéliser des salariés sur ces profils, ce qui explique le recours massif à l’intérim. Pour une personne prise dans cet engrenage qui consiste à enchaîner sur du court terme des postes sous-qualifiés, dans des conditions difficiles, avec des salaires et des fonctions dévalorisées, il devient de plus en plus dur d’inverser la tendance et cette situation tend à l’irréversibilité.

Pour espérer retrouver une vision positive de la "valeur travail" dans ce pays, et contrecarrer le mouvement actuel de mobilité descendante et d’enlisement dans le chômage de longue durée, il faut donc se poser la question de la place du travail dans l’esprit de la population active, sa vision du monde du travail, ses attentes, ses craintes... et engager une réhabilitation en profondeur du système tendant vers plus de sécurité pour les travailleurs, plus de possibilités pour continuer à se former en cours de carrière ou faciliter les « passerelles » entre filières professionnelles, tout en restant suffisamment flexible et attractif pour les employeurs.


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