Endettez-vous, qu’ils disaient...
par Ceri
mercredi 16 avril 2008
Pour l’UMP comme pour le PS, il faut faire venir la croissance afin d’obtenir le plein emploi. Depuis plus de vingt ans, quelle que soit la majorité, nos politiques justifient la casse sociale par ce credo. Et pour avoir la croissance, il faut être flexible, travailler plus, oublier les retraites, oublier les services publics, oublier notre pouvoir d’achat, mais surtout il faut s’endetter. Sarko l’a dit : les Etats-Unis sont un exemple, eux qui ont 5 % de croissance. Mais à quel prix, au juste ?
La tendance
Quand
le directeur des Affaires économiques européennes, Klaus Regling, affirme dans
un rapport officiel que la commission va travailler
Il
y a deux types d’inflation : par les prix (les prix augmentent donc
tout augmente, y compris les salaires en principe) ou par les salaires (c’est
ce qu’avait fait le Front populaire en augmentant les salaires et, donc, les
prix augmentent). Là, on a l’inflation des prix, et on veut contrebalancer cette
inflation en diminuant les salaires pour que les gens consomment moins, et que
les prix ne montent pas trop. Super, ce sont donc les gens qui vont faire le
Pour DSK, ex-ministre (socialiste n’est-ce pas) de l’Economie aujourd’hui patron du FMI, grande institution sociale, la mondialisation est une très bonne chose et pour la « réussir » il a fixé des objectifs : « J’en distinguerai quatre. Trois sont classiques : les échanges, les financements, les changes. J’en ajouterai un quatrième, qui l’est moins : la gestion de l’environnement global. »
DSK,
on le sait, est libéral et atlantiste, il vient d’ailleurs de monter un European Council on Foreign
Relations, à l’image du CFR américain, plus ou moins piloté
par Georges Soros. Et c’est lui qui va incarner l’orthodoxie libérale.
Je
ne vais pas énumérer les sorties ultralibérales de nos
« socialistes » nationaux, ni les lois anti-sociales qu’ils nous ont
fait passer, du « tournant libéral » de Fabius en 83 au traité de
Lisbonne en passant par l’AMI
(Accord multilatéral sur l’investissement) ou l’AGCS (Accord général sur le
commerce des
La tendance, donc, c’est « faire des sacrifices », dixit Balladur à l’époque, ou subir des politiques de rigueur pour nous rendre « compétitifs ».
Pourtant, depuis toutes ces années de politiques allant toujours dans le même sens, on se retrouve presque en récession, du moins en stagflation (stagnation de la croissance et inflation), comme dans les années 30. De très mauvaises langues parlent même d’un risque de "récessflation".
Les conséquences de ces politiques sont donc claires :
- en vingt-cinq ans, la part des salaires dans le PIB (les richesses produites dans l’année) a baissé de 12 % (de presque 70 % en 1975 à 58 % aujourd’hui, soit près de 200 milliards d’euros qui sont passés directement au capital au lieu d’aller dans la poche des salariés. Avec ça, on aurait aussi comblé depuis longtemps le "trou de la Sécu"). C’est énorme. En France, comme partout dans le monde. Michel Rocard pourtant de tendance libérale, explique que cette nouvelle répartition du PIB "ne permet plus à la consommation de soutenir la croissance". D’où quelques problèmes à venir, car il serait plus logique de renforcer les salaires si l’on voulait une croissance par la consommation (eh oui, force est de constater que ce ne sont pas les entreprises, malgré les exonérations et autres avantages, qui tirent la croissance vers le haut. Il faut donc se rabattre sur la consommation et, pour des libéraux, ça fait mal...). Tout cela en grande partie parce que les fonds de pension et autres spéculateurs réclament leurs 15 % de bénefs chaque année quand le PIB mondial, lui, n’augmente que de 5 % ;
-
on exige de plus en plus de flexibilité des salariés, ça implique une augmentation des emplois précaires au détriment des emplois stables et convenablement rémunérés ;
- la dette du pays augmente beaucoup plus vite que le PIB ;
- le Cac 40 augmente ses bénéfices de plus de 50 % chaque année ;
- les salaires augmentent moins vite que l’inflation des prix, malgré une forte augmentation de la productivité horaire (qui contrebalance largement le fait qu’on travaille un peu moins chaque semaine en France qu’ailleurs). Certains expliquent même que le salaire réel (qui prend en compte le pouvoir d’achat du salarié, lié au salaire) a diminué dans tous les pays européens depuis le début des années 80. Les Irlandais auraient même perdu 2 % par an en moyenne.
Le modèle américain :
Dans un pays où les emplois précaires, à temps partiel (un Américain travaille en moyenne 33 heures par semaine) et mal payés sont légion, un pays où l’épargne est à son plus bas niveau historique, où les salaires augmentent moins que l’inflation, où seuls les 5 % des ménages les plus riches se sont enrichis ces cinq dernières années, où un habitant sur huit vit sous le seuil de pauvreté, comment maintenir une consommation élevée ? Les gens ne gagnent plus assez pour consommer et maintenir la croissance, alors on les pousse à s’endetter. En 2003, par exemple, on a inventé le crédit subprime pour ceux qui n’avaient normalement pas accès au crédit faute d’être solvables. Crédits très risqués, donc à taux élevés, mais très rentables pour les banques si les gens parviennent à rembourser ou la banque à saisir la maison (et si les prix de l’immobilier continuent à grimper)...
Le système est simple : la croissance américaine repose essentiellement sur la consommation intérieure (70 % du PIB), qui a été boostée ces dernières années par la bulle immobilière : comme les prix de l’immobilier augmentaient beaucoup (15 % par an ces dernières années), les ménages qui faisaient une hypothèque ne prenaient pas trop de risques et la banque qui prêtait non plus (et les spéculateurs qui achetaient des actions portant sur ces hypothèques non plus...). Mais la bulle s’est dégonflée, les prix ont commencé à baisser mi-2007, les hypothèques ont perdu leur valeur, les gens leur maison, et les banques, du fric.
Aux
Etats-Unis, avant le krach de 1929, la dette représentait 140 % du PIB.
Aujourd’hui, c’est 220 %. Et la dette des ménages en représente une importante
partie (10,3 milliards de dollars en 2005). Cette dette est peu viable surtout depuis que la bulle immobilière a explosé et que les ménages se retrouvent souvent dans l’incapacité de rembourser.
Et les risques ? Comme le dit Isaac Josua dans Solidarités : "Si l’économie américaine entrait en récession, elle le ferait dans un contexte particulièrement délicat, car elle a vécu jusqu’ici au-dessus de ses moyens, à crédit, en s’endettant à tout-va. Le taux d’épargne des ménages américains est pratiquement nul (ce taux compare l’épargne des ménages à leur revenu disponible), alors que, par exemple, celui des ménages français s’élève à 15,5 % en 2006. Le taux d’endettement de ces ménages américains atteint en 2006 l’extraordinaire niveau de 140 % (ce taux compare leur endettement à leur revenu disponible). Quant au déficit extérieur (financé jour après jour par le reste du monde), devenu abyssal, il représente 6,5 % du PIB des Etats-Unis en 2006. Autant de traits qui sont plus ceux d’une puissance finissante, qui tente coûte que coûte de se maintenir, que ceux de l’hyperpuissance habituellement décrite."
Dans le même ordre d’idées, d’autres se demandent comment Sarko et autres atlantistes libéraux ont pu fermer les yeux sur l’état réel des
Moralité : penser que l’endettement des ménages pourra indéfiniment tenir la croissance est complètement débile. Anton Brender, auteur avec Florence Pisani de Déséquilibres financiers internationaux explique que « l’endettement des ménages américains est arrivé au-delà des limites du raisonnable, et beaucoup ne vont plus pouvoir rembourser. C’est l’origine de la crise financière actuelle. Le risque est qu’elle débouche sur une récession aux États-Unis. »
Le grand ami de Sarkoléon, celui sur qui il voulait copier tellement la croissance américaine est géniale, j’ai nommé Bush junior, a un bilan
à la hauteur de la stupidité de ses réformes : le déficit s’est creusé
de près de 70 %, la balance commerciale est négative (comme en France
depuis Sarko), l’endettement des ménages a doublé pendant que leur
revenu moyen diminuait. La guerre en Irak est un fiasco qui a coûté
jusqu’à présent 2 000 milliards de dollars
(même s’il est difficile de faire une évaluation précise) selon
l’économiste Joseph Stiglitz. Le déficit budgétaire tourne déjà autour
de 500 milliards de
dollars (et, si Sarko continue, en France, on rentrera dans cette
compétition), et le déficit commercial, lui, ne serait que de 3 milliards.
En 2006, aux Etats-Unis, les
bénéfices des entreprises ont augmenté en moyenne de 40 %, quand les
salaires n’ont augmenté que de 0,3 %. Et voilà que la part des salaires
dans le PIB américain est au plus bas depuis... 1928.
Entre janvier et juillet 2007, un foyer sur 112 a perdu sa maison, et un "record historique"
d’expulsions a été atteint fin 2007, avec 0,8 % des hypothèques
saisies. 6 % des emprunteurs n’arrivaient plus à rembourser depuis au
moins trente jours. Et, en 2007, 1,3 million de logements ont été saisis, soit une augmentation de près de 80 % par rapport à 2006. Tout est normal...
Et, pourtant, c’est le credo de Sarkoléon.
Faisons comme les Américains : endettons-nous encore pour relancer artificiellement (et à court terme) la consommation. L’Institut Montaigne, think tank néo-libéral qui répand son idéologie dans les médias et surtout à BFM, disait encore l’hiver dernier que la croissance française était à la traîne (par rapport aux Etats-Unis), parce que les ménages français ne sont endettés que de 62 à 68 % environ quand les ménages américains le sont à près de 140 %. On prônait donc de développer le crédit hypothécaire, par exemple, en inventant un crédit qu’on rembourse, mais où on peut emprunter la somme qu’on vient de rembourser. C’est comme un crédit revolving, sauf qu’on risque sa maison. Magnifique.
Et puis, Sarko aime les hypothèques : aux Echos, il a dit fin 2006 « Je veux développer le crédit hypothécaire en France. C’est ce qui a permis de soutenir la croissance économique des Etats-Unis ».
Sauf qu’entre-temps, la bulle immobilière américaine a explosé, que les gens n’ont plus pu rembourser, et que les banques qui avaient spéculé sur ces crédits hypothécaires ont perdu des masses d’argent (du vrai, celui-là). C’est juste la crise subprime qui est passée par là. Mais soyons certains que s’il n’y avait pas eu cette crise, le processus pour développer l’hypothèque et donc l’endettement des ménages serait déjà bien enclenché.
Le même Sarko, toujours très inspiré, a aussi dit pendant la campagne (alors que la crise subprime avait commencé), que « Les ménages français sont aujourd’hui les moins endettés d’Europe. Or, une économie qui ne s’endette pas suffisamment, c’est une économie qui ne croit pas en l’avenir, qui doute de ses atouts, qui a peur du lendemain. C’est pour cette raison que je souhaite développer le crédit hypothécaire pour les ménages et que l’Etat intervienne pour garantir l’accès au crédit des personnes malades. Je propose que ceux qui ont des rémunérations modestes puissent garantir leur emprunt par la valeur de leur logement. »
Il
y a la dette publique, celle de l’Etat, qui est viable tant que l’Etat peut
rembourser. C’est sur cette dette-là que les libéraux crient haro, et qu’ils prônent
une politique de rigueur pour limiter la dépense.
Et
puis, il y a la dette privée. Dans le cas des Etats-Unis, avec la crise
subprime, cette dette pose un gros problème puisqu’elle pourrait ne jamais être
épongée. Les créanciers sont donc moins gentils, prêtent moins, et l’économie
se contracte. C’est cette dette-là que les libéraux veulent développer.
Ca tombe bien, l’Europe aussi. D’ailleurs, la dette des ménages européens a augmenté de moitié en neuf ans, pour arriver à 75 % environ. En Angleterre, l’endettement des ménages représente 100 % du PIB, en France environ 45 %, en Espagne et au Portugal, près de 80 %.
En fait, dans tous les pays européens le processus est le même : on pousse les ménages à s’endetter toujours plus, pour tenir la consommation sans augmenter les salaires. En Irlande et en Espagne, l’endettement des ménages augmente de 25 % par an. En France, en Belgique, en Finlande, aux Pays-Bas c’est autour de 10 %.
L’inflation des prix de l’immobilier est pour beaucoup dans cette augmentation de l’endettement, mais la multiplication des crédits revolving et des cartes de crédits est la 1re cause du surendettement. Depuis 2004, les ménages ont plus de crédits envers les banques que de dépôts.
Pierre
Larrouturou, dans Le Livre noir du libéralisme, cite Patrick Artus,
économiste à IXIS et auteur du "Capitalisme est en train de s’autodétruire" : « dans la zone euro, sur les dix
dernières
Evidemment, on évite de crier ce genre de vérités sur les toits aujourd’hui. Mais le Sénat a déjà fait un rapport sur la question. Car on avait remarqué qu’il y avait une certaine "déconnexion entre la forte croissance de la consommation des ménages américains et l’augmentation plus mesurée de leur revenu au cours du dernier ralentissement - qui s’est traduite par la chute du taux d’épargne des Américains", c’est-à-dire que les ménages américains consommaient plus quand leurs revenus augmentaient très peu (voire qu’ils diminuaient, pour la plupart) et qu’ils épargnaient moins (processus entamé depuis le début des années 80, en pleine période libérale avec Reagan). Paradoxal ?
Mais non : cet "endettement des ménages américains, et tout particulièrement leur endettement hypothécaire, a nettement augmenté favorisant ainsi la dynamique de leur consommation" et ce depuis 1996. Voilà la réponse. Ca explique donc la croissance américaine malgré une précarisation croissante des salariés.
Qu’on se rassure : la Fed (l’équivalent de la Banque centrale) a dit que seulement un quart de ces crédits hypothécaires a servi à la consommation, ça ne joue donc presque pas dans l’augmentation de la croissance qui est soutenue à 70 % par la consommation des ménages c’est-à-dire leur endettement (endettement favorisé par une politique de taux d’intérêts bas qui incite à emprunter). Seulement voilà : avec la crise subprime qui déferle d’Ouest en Est, cette consommation est fortement menacée. C’est pour cela que certains, à l’instar du FMI ou du président de la Fed, parlent de récession aux Etats-Unis. C’est donc cela que Sarko veut pour la France ?
Et, en Europe, c’est pareil : c’est encore le Sénat qui constate la "forte contribution du crédit aux ménages" dans la "croissance économique de quelques pays étrangers" (l’Angleterre et les Etats-Unis
sont cités en exemple, comme par hasard). Entre 2001 et 2002, les
crédits des ménages espagnols ont augmenté de 18,2 %, ceux des Portugais de 12 %, ceux des Anglais de 11,8 %, ceux des Néerlandais de
11,2 %, ceux des Suédois et des Finlandais de presque 10 %, ceux des Français de 6,4 %. Est-ce qu’aujourd’hui, alors que l’on sait les
conséquence de ce processus pour les Etats-Unis et bientôt pour le
monde, le Sénat ressortirait ce rapport ?
Eh bien, probablement pas, car en fait ce rapport est destiné à assouplir l’octroi de crédits, dénonçant l’exagération à propos du surendettement et affirmant que "toute phase d’augmentation de l’endettement ne débouche pas systématiquement sur une crise macro-économique". En effet, pour le Sénat, "les risques de l’endettement sont souvent exagérés tandis que ses avantages ne doivent pas être minimisés", d’ailleurs on utilise "trop peu" ce levier pour stimuler la croissance dans notre pays sclérosé et frileux (comparé à nos voisins, bien évidemment). No comment...