Energie : des pratiques de plus en plus douteuses

par Julien Masseau
vendredi 26 juillet 2019

Démarchage frauduleux, pratiques anticoncurrentielles, abus de faiblesse, usurpation d’identité… Tous les moyens sont bons aujourd’hui pour les entreprises du secteur de l’énergie de mettre la main sur de nouveaux marchés et sur de nouveaux clients. Gros plan sur la ville d’Angers où, comme ailleurs en France, ces pratiques sont devenues un véritable fléau.

 

Bienvenue à Angers. Sa cathédrale Saint-Maurice, ses bars étudiants, son château des ducs d’Anjou, son Ecole supérieure d’agriculture, son délicieux Cointreau, son équipe de Ligue 1 du SCO… mais aussi ses adeptes des pratiques illégales dans le secteur de l’énergie, distribution d’électricité et rénovation confondues. Aujourd’hui, certains administrés de la ville – outrés – voient même là une nouvelle spécialité régionale. Les oreilles du maire, le DVD Christophe Béchu en poste depuis 2014, doivent siffler très souvent. Explications.

D’un enjeu européen à l’échelon local

Prenons un peu de recul. A l’échelle nationale, le secteur de la fourniture d’énergie est devenu une véritable foire d’empoigne. Au début des années 2000, l’Union européenne impulse un nouveau mouvement : elle souhaite coûte que coûte ouvrir les marchés à la concurrence. En 2007 en France, ce secteur se libéralise avec la fin du monopole d’EDF et de GDF. Douze ans plus tard, difficile de comprendre qui fait quoi, qui prend des parts de marché à qui. Les Français n’ont qu’à allumer la télévision pour s’en rendre compte : les spots publicitaires font la part belle aux fournisseurs d’énergie… Engie, Sowee, Eni, Total, Vattenfall… La guerre commerciale est totale, tout le monde s’y est mis. Et dans ce monde de brutes, tous les coups sont permis.

Si bien que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a finalement mis son nez dans le dossier et a procédé, en juillet dernier, à treize perquisitions parmi les entreprises du secteur de l’énergie, soupçonnées de démarchage abusif. « Deux entreprises commercialisant des contrats de gaz et d'électricité et onze entreprises sous-traitantes réalisant pour leur compte des opérations de démarchage à domicile ont été visées dans le cadre de cette opération d'ampleur nationale  », explique alors un communiqué de la DGCCRF. Si cette dernière ne cite pas de noms, deux entreprises concernées par de très nombreuses plaintes de consommateurs sont dans le collimateur du ministère de l’Economie et des Finances qui chapeaute la DGCCRF : Engie et Eni. Deux poids lourds.

«  Les consommateurs font état d’un discours trompeur de la part de démarcheurs sur leurs attributions et sur l’objectif réel de leur visite, souligne la direction générale. Des contrats de fourniture d'électricité et de gaz seraient ainsi conclus sans avoir obtenu un accord éclairé des consommateurs. » Les perquisitions menées ont donc eu pour objectif de mettre en lumière ces pratiques, isolées ou non. En avril et en juillet dernier, le magazine Capital pointait du doigt les mauvaises pratiques d’Engie, comme celle consistant à anticiper la fin des tarifs réglementés, « sans avertir ses clients de cette nouveauté  » et en les « empêchant de faire jouer leur droit de rétractation  ». Un oubli volontaire qui en dit long sur la politique d’une entreprise que l’association UFC-Que Choisir a surnommé le « mouton noir du démarchage à domicile  ».

Selon le ministère, si l’ensemble de ces pratiques était confirmé, celles-ci relèveraient du « délit de pratique commerciale trompeuse susceptible d'être sanctionné par le juge pénal d'une peine de deux ans de prison et d’une amende d’un montant maximal pouvant atteindre 10% du chiffre d’affaire de l'entreprise  ». Les résultats de l’enquête sont attendus dans l’année à venir. En attendant, les fraudeurs continuent de « travailler ».

Professionnels de l’arnaque

Retour en terre angevine. Ici comme ailleurs, ces pratiques sont monnaies courantes. Alors que certains acteurs du marché comme Vinci mettent plutôt en avant le respect d’une charte de bonnes pratiques, certains prestataires ne semblent pas vouloir s’arrêter. D’autres poussent même jusqu’à usurper l’identité d’entreprises… A Angers, plusieurs plaintes ont ainsi concerné… des démarcheurs portant des badges d’Engie et qui abusent de la crédulité des gens. Cela a été le cas de Marie-Louise, citée par le Courrier de l’Ouest, qui affirme avoir vu le badge d’Engie sur l’uniforme d’un démarcheur qui lui a proposé un film isolant pour la coquette somme de 5600 euros (d’une valeur réelle de 500 euros). En cas de refus, cette dame de 72 ans s’exposait, selon le fraudeur, à une « amende d’EDF  ». Les grandes entreprises sous-traitent souvent le démarchage à des tierces parties peu scrupuleuses.

Mais il n’y a pas que les grosses entreprises sur le banc des accusés. S’y croisent aussi des entreprises locales, comme c’est le cas de BT Concept Eco, une entreprise de rénovation énergétique, pointée du doigt pour ses pratiques commerciales abusives, dupant principalement des personnes âgées. En mai dernier, la brigade de recherches de la compagnie de gendarmerie d’Angers avait déjà 76 dossiers de victimes sur son bureau, pour plus de 825 000 euros de préjudice. Le principe est toujours le même : convaincre les clients de faire des travaux de rénovation pour éviter des pénalités financières ou pour obtenir un éventuel crédit d’impôts. Premier contact par téléphone, visite dans la journée, contrat signé dans la foulée, le tour est joué. Certains commerciaux de cette entreprise se sont même faits passer pour des salariés de GDF Suez (ce nom commercial n’existe plus depuis 2008), ou pour des représentants de la mairie d’Angers. Christophe Béchu a dû être content de savoir que l’image de sa commune servait à ces professionnels de l’arnaque. Epilogue de cette histoire : les deux gérants de BT Concept Eco ont été placés en garde à vue pour explications. Le dossier a été transmis au parquet d’Angers, suite au prochain épisode. Qui sait, avec le temps, le marché s’assainira peut-être.


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