Entreprises et développement durable
par jean charles espy
mercredi 3 mai 2006
L’entreprise est-elle là pour surfer sur un phénomène de mode générateur de profits, en se donnant bonne conscience, ou à l’inverse, doit-elle consacrer une partie des profits générés pour servir le développement durable, au détriment de son compte d’exploitation ?
« Le monde de l’entreprise doit réagir selon 3 facteurs clés : intégration d’une vision, action et communication. En premier lieu, les entreprises doivent formuler une stratégie claire de comportement responsable... L’entreprise doit intégrer sa contribution au développement durable dans ses activités ordinaires... Sur le long terme, les performances en matière de développement durable ne peuvent provenir de la seule proclamation d’un code de conduite, elles doivent naître de sa mise en action au quotidien. » Cette longue introduction fait partie du Guide PricewaterhouseCoopers du développement durable (édité aux Editions d’Organisation). Restent les questions fondamentales qui se posent entre la « vitrine » et le quotidien. L’entreprise est-elle là pour surfer sur un phénomène de mode générateur de profits, en se donnant bonne conscience, ou à l’inverse doit-elle consacrer une partie des profits générés pour servir le développement durable, au détriment de son compte d’exploitation ? En somme, accepte-t-elle de gagner moins au service d’une meilleure équité entre les hommes ou de la lutte contre la dégradation de l’environnement ? Il est évident, une nouvelle fois, que la réponse se situe entre les deux extrêmes, et le problème se pose différemment pour une société cotée en Bourse ou pour une société non cotée.
Pour une société non cotée, seuls le PDG, ses administrateurs et ses salariés sont aptes à décider.
Pour une société cotée, le profit fait partie des incontournables. Mais imaginer une stratégie liée à un plan d’actions de développement durable en lien avec la préférence d’achat de marque ne me gêne en aucune manière, s’il n’y a ni tromperie ni démagogie. Prenons deux exemples concrets et actuels.
L’opération menée par Volvic en partenariat avec l’Unicef « Un litre pour 10 litres » (volvic-unicef.fr) permet le forage de puits dans le Sahel nigérien. La mécanique est simple, chaque fois qu’on achète un litre d’eau Volvic, la société verse une somme servant à forer des puits au Sahel. Selon les estimations fournies par Volvic sur son site et confirmées par l’Unicef, 16 000 habitants des régions désertiques devraient avoir réglé le problème vital de l’eau. Un nombre certes dérisoire, comparé au milliard d’êtres humains n’ayant pas accès à une eau propre, mais imaginons qu’une telle opération serve d’exemple aux 10 000 entreprises françaises produisant des produits de grande consommation ! Ne soyons pas dupes, l’opération Volvic a pour finalité de créer une préférence de marque. Est-ce dérangeant ? Je ne le pense pas, l’objectif humanitaire est défini, la caution Unicef rassurante et les résultats palpables. A l’inverse, j’ai envie de dire au marketing de Volvic de ne pas s’arrêter là, de continuer, de transformer cette action ponctuelle en véritable stratégie.
Un seul reproche cependant, le nom de l’opération « un litre pour 10 litres » ne donne aucune information sur la somme versée par bouteille à l’association. On peut supposer que, vu les volumes vendus par Volvic, cette somme soit insignifiante, ramenée à la bouteille.
A l’opposé, je reste très dubitatif sur l’action menée dans l’univers du café par la récupération faite par Jacques Vabre, et dans une mesure moindre, par le torréfacteur Malongo.
Tout d’abord, Malongo (www.malongo.com) est précurseur et partenaire historique de Max Havelaar dans le domaine du café équitable. Pas question de mettre en doute la bonne foi de son DG, Jean-Pierre Blanc est l’exemple même du chef d’entreprise porteur de valeurs nobles bien avant que le développement durable n’émerge des cabinets de marketing. Mais on peut reprocher un certain amalgame, dans la communication de la marque. Celle-ci laisse entendre que l’ensemble des produits de la marque sont issus du commerce équitable, ce qui est loin d’être le cas.
La stratégie menée par Jacques Vabre est à mon sens plus grave. Après avoir critiqué de manière véhémente la notion même de commerce équitable, voilà que le groupe américain lance, à grand renfort de publicité, « Un café pour agir ». Il est vrai que le leader français ne pouvait être absent du seul marché porteur tant en terme de volume (3 à 4% du marché du café) que de valeurs.
Sur la forme, on a droit au rouleau compresseur marketing, charte graphique, choix des mots responsable, éthique, durable, communication, site internet (uncafepouragir.com), rien n’est fait dans la finesse, dans la réserve, de la vraie récupération, ou comment s’offrir à bon prix une image éthique !
Sur le fond, des questions se posent :
- Pourquoi s’associer avec un organisme certificateur spécialiste de la biodiversité, Rainforest Alliance, tout à fait respectable certes, mais totalement absent du commerce équitable ?
- Pourquoi ne pas respecter les fondements mêmes du commerce équitable, qui visent à améliorer la situation des producteurs du Sud en garantissant un prix minimum d’achat, ce que ne fait pas le groupe Kraft ?
- Pourquoi ne pas se reposer sur le principal modèle économique du commerce équitable et travailler mondialement aux côtés de Fairtrade (Max Havelaar en France) qui a réussi à fédérer plus de 450 groupes de producteurs dans 50 pays, soit plus d’un million de personnes ?
Il faut savoir que le groupe Kraft Foods a été, aux côtés de Nestlé, le premier à attaquer le commerce équitable sur le principe du prix d’achat minimal fixé aux producteurs, contraire à la libre fixation des prix par le jeu du marché (articles 81 du Traité CE et L420-1 code du com.). Dans cette guerre de gros sous entre producteurs, organisations de commerce équitable et importateurs, le gouvernement, via le Conseil de la concurrence, tape en touche : « L’existence de conditions d’achat harmonisées peut certes résulter d’une entente anti-concurrentielle. Toutefois, compte tenu des principes et des mécanismes du commerce équitable, les restrictions immédiates de concurrence peuvent être raisonnablement localisées dans les pays en développement, échappant ainsi aux règles françaises et communautaires ». A suivre ...