« Est-ce bien raisonnable ? » - Réflexion à propos de la réforme de l’ISF

par Christophe Coupé
samedi 21 mai 2011

Pendant ma scolarité, mes professeurs ont beaucoup insisté sur l’importance du « bon sens » et des « ordres de grandeur ». Si j’ai oublié la plupart de leurs enseignements, j’ai cependant retenu ce conseil : garder le sens de la mesure, à travers l’usage du bon sens et la maîtrise des ordres de grandeur.

A partir d’aujourd’hui, j’ai décidé d’apporter ma contribution aux débats démocratiques, sous la forme d’une chronique intitulée « Est-ce bien raisonnable ? ». Il s’agira pour moi de réagir à l’actualité en utilisant ces deux clés de lecture : le bon sens, les ordres de grandeur. Ni plus, ni moins. Le ton ne se veut ni péremptoire, ni dogmatique. Mon intention est d’alimenter le débat et les échanges d’idées. Cette première réaction est consacrée au projet de réforme de l’ISF.

Dette de la France : ordres de grandeur et bon sens

Ce n’est un secret pour personne, la France est endettée. Cette dette s’élevait à 1.591,5 milliards d’euros au 30 juin 2010[1]. Pour rembourser cette dette, la France versera aux investisseurs qui lui prêtent de l’argent des intérêts estimés à environ 45,4 milliards d’euros[2] en 2011.

Plus de mille cinq cent milliards… Bien difficile d’appréhender un tel montant. En réalité cette dette de la France représente une dette de 23.264 euros par habitant[3]. Voilà qui est plus parlant !

Est-ce beaucoup ? Est-ce peu ? Pour un smicard, qui gagne (depuis le 1er janvier 2011) 1.365 € bruts mensuels, cela représente un peu plus de 17 mois de travail. Pour rembourser « sa dette », il devrait consentir à travailler gratuitement environ un an et demi. Pour Michel Rollier, dirigeant de Michelin et plus haut salaire en 2010 des patrons du Cac 40, cela représente un peu plus d’une journée de travail. En effet, avec une rémunération 2010 de 4,5 millions d’euros[4], Michel Rollier touche en moyenne un salaire mensuel d’environ 375.000 euros, ce qui représente un salaire de 18.750 euros par jour. Pour le smicard, cette dette est abyssale ; pour un grand patron du Cac, elle peut sembler négligeable.

Que faire quand on est endetté ? Le bon sens voudrait que l’on cherche, d’une part, à augmenter ses revenus et, d’autre part, à réduire ses dépenses. Est-il dès lors judicieux de réformer l’ISF. Peut-être, mais pour augmenter les revenus de l’Etat, c’est-à-dire pour augmenter l’impôt. Il revanche, il peut sembler moins judicieux de réduire l’imposition et donc les recettes de l’Etat.

Projet de réforme de l’ISF : quelques ordres de grandeur

Dans les grandes lignes, le projet de réforme[5] consiste à supprimer la première tranche (entre 800 k€ et 1.300 k€ de patrimoine net imposable), à très légèrement surtaxer les contribuables dont le patrimoine net imposable se situe entre 1,3 et 1,4 M€ et à réduire l’impôt au-delà de 1,4 M€.

Quelques exemples permettront d’apprécier l’effet possible de cette réforme :

- Avant la réforme, la détention d’un patrimoine net imposable de 1,3 M€ conduit à payer un impôt de 2.750 € au titre de l’ISF ; après la réforme, cet impôt serait réduit à 0 €.

- Avant la réforme, la détention d’un patrimoine net imposable de 1,4 M€ conduit à payer un impôt de 3.480 € au titre de l’ISF ; après la réforme, cet impôt deviendrait 3.500 €.

- Avant la réforme, la détention d’un patrimoine net imposable de 5 M€ conduit à payer un impôt de 36.555 € au titre de l’ISF ; après la réforme, cet impôt deviendrait 25.000 €.

- Avant la réforme, la détention d’un patrimoine net imposable de 20 M€ conduit à payer un impôt de 282.265 € au titre de l’ISF ; après la réforme, cet impôt deviendrait 100.000 €.

Dit autrement, plus on est riche, plus on « profite » de la réforme de l’ISF. Pour l’heureux détenteur d’un patrimoine net imposable de 20 M€, la réduction d’ISF représente plus de 11 années de revenus d’un smicard, ou presque 8 fois la dette française par habitant.

En guise de conclusion : est-ce bien raisonnable ?

Très franchement, je m’interroge sur l’opportunité et l’intérêt de ce projet de réforme, c’est-à-dire de réduire les recettes de l’Etat, alors même que la dette continue à augmenter.

Est-il bien raisonnable pour un pays endetté de vouloir réduire les revenus liés à un impôt ? Est-il bien raisonnable pour un pays de modifier les règles d’imposition en « faveur » des riches ? L’argent non perçu en raison de cette réduction, il faudra bien aller le chercher ailleurs ? Enfin, si quelqu’un doit payer les impôts, ce sont bien les plus riches…

En première approche, cette révision de l’ISF me semble fortement discutable : je ne vois pas l’intérêt de réduire un revenu ; les principes de réduction ne me semblent pas socialement acceptables.

Le débat est ouvert…



[1] Guillaume Guichard, « La dette publique culmine à 1591 milliards d’euros », Le Figaro, 30/09/2010.

[2] Cyrille Lachèvre, « En 2013, la France versera 55 mds par an pour sa dette », Le Figaro, 29/08/2010.

[3] « Découvrez qui sont les contribuables les plus endettés de la planète », La Tribune, 30/12/2010.

[4] Mathilde Golla, « En 2010, un patron du Cac 40 a gagné 24% de plus en moyenne », Le Figaro, 26/04/2011.

[5]« Dossier Fiscalité – Une réforme a minima », Investir Magazine, mai 2011.


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