Et si Eric Besson était dans le ton

par Anne-Caroline Paucot
jeudi 24 mai 2007

Nommé sécrétaire d’Etat à la prospective, Eric Besson a en charge de conjuguer la France au futur. Si des esprits lucides ou chagrins peuvent sourire à l’annonce de cette nomination, récompense de bons et déloyaux services, un grattage deuxième degré montre que l’homme a quelques atouts pour réussir sa mission.

Gauche, droite... Notre nouveau secrétaire d’Etat aux affaires de demain a l’habitude de retourner sa veste. Concernant le futur, nous ne pouvons avoir aucune certitude. La seule chose que l’on peut prévoire est qu’il faudra gérer de l’imprévisible. A cause des interactions entre différents éléments du système aussi complexe que l’est un pays, un froissement d’aile peut provoquer en quelques heures un tsunami sociétal. Le phénomène a été illustré la semaine dernière par une chute spectaculaire de l’action Apple suite à un article sur un blog consacré aux gadgets (Engadget.com) annoncant le retard de sortie de deux produits de la gamme. L’information a été rectifiée très rapidement mais la rumeur s’était déjà répandue. Dans ce contexte délicat, un individu doté d’une capacité à la reversibilité de ses propos peut avoir plus de facilité pour manoeuvrer.

Le chambellan du futur sait faire des grands écarts de pensée. La preuve, il écrit un brûlot anti-Sarkozy dans lequel il le qualifie de "néoconservateur américain à passeport français" et vient quelques temps plus tard se jeter dans ses bras. Dans l’exercice, il a sans doute acquis une souplesse neuronale qui lui sera bien utile pour mener une réfexion prospective. Pour réfléchir à l’avenir, il lui faudra en effet intégrer et croiser des données émanant de différents domaines. Il devra mettre dans la casserole pas moins que le vieillisement de la population (en 2030, 30 % de la population aura plus de 60 ans), le réchauffement climatique (vu les dégats annoncés, on ne peut plus l’ignorer), l’épuisement des ressources naturelles, le développement et le croisement des nano-bio-cogno-info-technologies (avec les NBIC de vastes horizons de progrès s’ouvrent), les habitudes de la génération Internet (élevés au haut débit, les « djeunes » surfent, cliquent, zappent, chattent de manière quasi instinctive). Pour eux, il n’y a pas de frontière entre le virtuel et le réel. Autre nouveauté, ils sont habitués à consommer de la gratuité, la mondialisation (Quand les frontières sont de plus en floues, la glocalisation- penser global, agir local- s’impose) et bien entendu les jeux, enjeux et rapports de force politiques, économiques, religieux...

Eric Besson a préparé et raté l’ENA. Outre confiner des esprits dans un rationalisme totalement en inédéquation avec la démarche prospective, cette école faconne des individus qui, dès la sortie, filent sur les autouroutes professionnelles au volant de bolides. Grisés par la vitesse, ils n’ont pas l’habitude de prêter attention aux signaux faibles. Son ratage est donc un atout, car il a peut-être appris à observer ces détails qui peuvent provoquer d’importants changements.

Perdant de luxe, il a publié un tiers de page dans le Monde pour dire qu’il allait réussir. Cette épisode montre qu’il n’ignore pas que les échecs peuvent être transformés en succès. On peut donc supposer qu’il leur accordera autant, voire plus, d’attention qu’aux réussites souvent aussi clinquantes qu’éphémères. C’est un incontestable bon point car de nombreux accidents et erreurs ont permis des découvertes révolutionnaires (par exemple, la péniciline).

De plus, si l’on s’en référe à son parcours d’élite programmé, cette sortie de piste témoigne d’une notable imagination. Un nouveau bon point pour notre futurologue en chef car la réflexion prospective en exige un maximum. Si on ne peut prédire l’avenir, on peut l’inventer. La méthode est simple. On imagine différents scénarios futuristes et on choisit ceux qui sont en adéquation avec nos aspirations.

Si ces égratignages souriants, et sans doute pour beaucoup pas assez sérieux pour être pris au sérieux, peuvent me valoir d’être clouée au pilori par quelques commentaires d’ennemis de l’humour, j’en ajoute une couche en ayant l’outrecuidance de donner quelques conseils au nouveau secrétaire d’Etat à la prospective.
- Vulgarisez la réflexion sur la futur. L’avenir étant l’affaire de tous, il est essentiel que le plus grand nombre participe à son élaboration.
- Incitez les entreprises, les institutions à se poser la question de leur futur. Quand le progrès les fait rouler à 574 k/h, continuer à conduire son entreprise en regardant dans le rétroviseur est déconseillé. Il est aussi préférable d’avoir de l’horizon si on ne veut pas partir dans le décor au premier virage.
- Ne laissez pas la prospective dans les mains de ces experts qui vendent une méthode pour prédire l’avenir dont la seule efficacité est de remplir généreusement leurs tiroirs-caisses.
- Faites appels aussi à des artistes, des créatifs, des rêveurs de talent pour imaginer le futur. L’imagination étant la meilleure compagnie de transport du monde, ils vous aideront à aller plus loin dans la réflexion.
- Allez revoir le Cercle des poètes disparus et comme les élèves du professeur Kiti montez sur votre bureau. Eh oui, la prospective se résume à adopter une attitude qui permet d’une part d’avoir un regard à 360° sur l’existant et les tendances et d’autre part de mettre ces éléments en perspective. |left>


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