Et si la BCE oeuvrait pour une remontée des taux d’intérêt

par alain-desert
mardi 4 juin 2013

Face à la crise, un consensus demeure dans les milieux économiques et les cercles restreints de nos banquiers centraux, celui du maintien des taux directeurs à un niveau très bas ou de l’ajustement toujours orienté à la baisse. Je propose dans cet article une petite rupture avec ce consensus en suggérant qu’une remontée des taux serait loin d’être aussi néfaste qu’on pourrait le croire.

Depuis le début de la crise, la Banque Centrale Européenne (BCE) n’a cessé de baisser ses taux directeurs excepté en 2011 où ils ont légèrement remonté au dessus de 1%. Récemment, elle a une nouvelle fois baissé son taux de refinancement de 25 points de base l’amenant ainsi à 0,5% dans un contexte où les autres banques centrales (Japon, Angleterre, FED) pratiquent également une politique monétaire dite très accommodante. Mais qu’est-ce qui motivent les grands argentiers à poursuivre la baisse des taux, alors qu’étant déjà particulièrement bas, au mieux les effets bénéfiques ont quelque peine à se faire sentir, au pire ils engendrent des effets pervers que l’on devra assumer et traiter plus tard.

Pour essayer de se faire une idée de la réussite et du bien fondé ou non de ces politiques monétaires, regardons brièvement un passé récent :

  1. JAPON : Ce pays pratique cette politique des taux bas depuis déjà près de 20 ans dans une période déflationniste dont ils ne sont pas encore sorti. Les taux directeurs ont presque toujours frôlé ou atteint le 0% sans pour autant que cette spirale déflationniste soit interrompue. On peut déjà s’interroger sur l’efficacité !
  2. ETATS-UNIS : La FED a baissé fortement ses taux directeurs après les attentats du 11 septembre 2001 craignant une brusque récession suite à cet évènement majeur. A la suite de cette baisse continue, des bulles immobilières et financières se sont formées. Je ne vais pas revenir sur les causes premières ou secondes de la crise actuelle, avec les Subprime et les opérations acrobatiques de titrisation diffusées comme un poison (une folie financière !), mais on peut légitimement en déduire que les taux d’intérêts très bas ont conduit à des excès qui participèrent fortement au déclenchement de la crise en 2007-2008 : en bref, les bulles créées par l’argent bon marché ont éclaté comme une bombe à fragmentation, et on connaît la suite !
  3. EUROPE : La BCE a également diminué ses taux depuis le déclenchement de la crise pour parvenir aujourd’hui à des niveaux jamais atteints. A priori cette politique des taux bas a beaucoup de mal à diffuser dans l’économie dite réelle. Les résultats en première observation ne sont pas davantage concluants.

Ces 3 exemples pris dans un passé récent me laisse assez perplexe quant à l’efficacité de la baisse continue des taux directeurs, un des outils majeurs pour essayer d’enrayer le processus de crise et faire repartir les économies en panne de croissance. Alors pourquoi persister dans une voie qui apparemment ne débouche pas sur des horizons éclaircis  ?

A première vue, il est assez facile d’admettre que la baisse des taux participe à la relance de l’économie grâce au crédit qui devient plus accessible aux différents acteurs économiques et en particulier aux entreprises qui peuvent (et qui veulent) encore investir, et facilite la gestion de trésorerie de celles qui à un instant T ont un besoin ponctuel de financement. Incontestablement les taux bas leurs sont profitables aussi bien pour l’investissement que pour gérer une période difficile.

Seulement voilà, tout n’est pas si simple. Cela se complique lorsque l’on observe les phénomènes non plus de manière locale ou réductionniste mais globalement. On revient alors à l’étude de la complexité, tout simplement parce nous sommes dans un système globalisé, comportant de nombreux éléments et sous-systèmes en interactions et où opèrent de nombreuses boucles de rétroaction. La complexité ne fait pas bon ménage avec l’évidence et l’évidence des taux bas peut être mise facilement en défaut.

Les politiques monétaires fixant les taux à courts termes et les marchés de capitaux déterminant le niveau des taux longs, font appel à des mécanismes assez complexes (comme par exemple les anticipations inflationnistes, l’étude des effets des politiques dites non conventionnelles) desquels il est difficile d’en déduire des théories simples. Il n’y a pas une corrélation évidente entre taux courts et taux longs (les banques centrales n’ayant pas de levier pour fixer directement les taux à long terme). Cependant lorsqu’on regarde les deux courbes de taux, elles évoluent souvent parallèlement. Il se peut que sur une courte période on observe une courbe dite inversée où les taux courts sont plus élevés que les taux longs. C’est état de fait est bien évidemment une anomalie, une aberration temporaire qui automatiquement se corrige, car la logique veut évidemment que des prêts sur le long terme soient mieux rémunérés à cause des incertitudes plus grandes (incertitude sur l’évolution des taux, la reprise de l’inflation, les rendements anticipés des autres actifs etc…), et d’une renonciation plus marquée à l’argent prêté. A priori la propagation d’une hausse des taux courts sur les taux longs se fera logiquement sur une période plus ou moins longue.

Je vois beaucoup d’avantages à l’augmentation progressive des taux en général (avec bien entendu raison gardée).

  1. On pourrait entrevoir un message de prudence ou de raison à l’adresse de nos gouvernants qui se satisfont aujourd’hui des taux très bas sur la dette française. Effectivement, un taux à 10 ans inférieur à 2% et des taux négatifs sur du très court terme allègent sensiblement la charge de la dette. Cela est bénéfique sur le court terme pour les finances publiques et les états gagnent du temps pour procéder aux ajustements, un temps que la France ne met pas à profit autant qu’il le faudrait pour engager les réformes structurelles indispensables à la reprise économique. A contrario, lorsque le coût de la dette augmente, les dirigeants et les comptables de Bercy se doivent évidemment d’être plus vigilants. Un taux bas peut ne pas les inciter à procéder à la réduction des déficits et c’est une manière d’encourager la fameuse fuite en avant qui opère son œuvre dévastatrice depuis plusieurs décennies ! Des taux bas ne devraient donc pas dédouaner les gouvernements à procéder aux réformes sans cesse repoussées ou remises à l’agenda du jour faute d’avoir été suffisamment travaillées (cas du serpent de mer des retraites !)

     
  2. Cela favoriserait un rééquilibrage des marchés actions et obligations où règne actuellement un certain déséquilibre dû au taux d’intérêts bas qui forcent un rendement obligataire réduit au profit des investissements en actions. Aujourd’hui on observe une santé arrogante des principales places financières (record du Dow Jones, S&P500, envolée du Nikkei, un CAC40 ragaillardi, etc..), alors que les obligations d’état ou d’entreprises offrent un piteux rendement au vu des risques encourus. Car contrairement à ce que « dit » le marché en proposant des taux d’intérêts toujours plus bas, le risque est loin d’être nul. N’oublions pas qu’aux yeux des mêmes marchés le risque était nul pour la Grèce avant les multiples opérations de sauvetage à plusieurs centaines de milliards d’euros accompagnées des actions de restructurations de dette. Preuve s’il en fallait une que les marchés ne sont pas très visionnaires et qu’ils feraient bien de temps en temps ôter leurs lunettes roses pour apprécier la réalité avec des couleurs plus naturelles. Les taux bas créent des déséquilibres à la fois sur le marché des actions et le marché obligataire, rendant probables de futurs krachs.
     
  3. L’argent ou le capital en général (et cela concerne bien entendu les petits épargnants qui disposent d’un capital sur livret A ou assurance vie) devrait être correctement rémunéré à juste valeur. Le prêteur au sens large ne doit pas « payer » la crise en voyant son capital dévalorisé au profit d’entreprises qui se verront octroyés des prêts à taux réels (déflaté de l’inflation) proches de zéro pour ensuite servir gracieusement en dividendes les investisseurs avertis qui auront profité d’un marché action en pleine euphorie avantagé par ces déséquilibres provoqués que je viens d’évoquer.
     
  4. Les taux bas donnent une valeur relative des spreads (écarts de taux) plus conséquente. 50 points de base sur la dette à 10 ans entre l’Allemagne et la France engendre un écart de rémunération de 40% alors que les taux sont finalement très proches. Cette bizarrerie aurait peut-être tendance à désorienter les marchés car comment arbitrer en toute intelligence entre le risque qui ne paraît pas si distant entre les deux pays et un surcroît de rémunération significatif ; la boussole des investisseurs s’affole !
     
  5. Les banques centrales par la baisse des taux ont initié une boucle de rétroaction dite positive (phénomène d’emballement), car elles favorisent l’excès de liquidités (il est peu onéreux d’emprunter), que les bénéficiaires vont placer sur de la dette d’état en proposant des taux de rémunération toujours à la baisse (problème de l’offre abondante), qui provoque en retour une nouvelle baisse des taux directeurs (car la cible des investissements productifs est ratée) ; le phénomène s’emballe. Pour casser ce cercle vicieux, il faut à la fois retirer des liquidités et relever les taux. Une autre boucle de rétroaction positive s’est installée sur les marchés actions qui s’emballent à cause de ces excès de liquidités en partie expliquée par les taux avantageux.
     
  6. Ce serait l’occasion pour la BCE, à un moment où finalement les petites et moyennes entreprises investissent peu (donc pas très sensibles aux taux avantageux), de revenir à un niveau plus cohérent s’inscrivant dans une fenêtre plus normalisée. Est-ce que la BCE définit une politique en prenant en compte l’ensemble du système économique et tous ses acteurs ou juste un sous-ensemble comprenant seulement les entreprises et les investisseurs ? C’est vraiment là la question, car selon le cas, le paramétrage optimum des taux directeurs me paraît être sensiblement différent.
     
  7. Secondairement, cela pourrait envoyer un signal auprès des personnes désireuses d’acheter un bien immobilier et qui hésitent encore aujourd’hui par anticipation d’une possible nouvelle baisse des taux. L’idée d’une remontée progressive accélèrerait leur prise de décision et le marché immobilier quelque peu figé en ce moment pourrait redémarrer progressivement.

Presque tous les systèmes ou appareils dont le comportement est influencé par un système de paramétrage trouvent rarement leur optimum lorsque les variables sont réglées sur des valeurs extrêmes.

A l’image du son de la chaîne HIFI, on peut se demander si le bouton de réglage des taux directeurs manœuvré par Mr Draghi ne provoque pas quelques parasites ou brouillages dans notre économie.

Les courbes exprimant l’efficacité d’un paramétrage sont très souvent en forme de cloche ou cloche inversée. Même en considérant qu’un réglage paramétrique voit son optimum évoluer en fonction du contexte, le positionnement des taux d’intérêts à un niveau zéro ou proche de zéro, donc à l’extrémité de la courbe d’efficacité ne me paraît pas être un optimum. Mais j’admets qu’une démonstration qui en apporterait la preuve est assez difficile.

Ma démonstration peut paraître à première vue aberrante, paradoxale, tellement il est évident que les taux bas favorisent les états emprunteurs, les entreprises et les particuliers qui investissent. Mais comme j’ai essayé de l’expliquer, il s’opère aujourd’hui une déconnexion avec la réalité des prix. Il faut analyser les choses globalement et pas uniquement sous des angles qui arrangent les économistes ou les politiques. Pour maintenir l’équilibre des marchés, pour éviter les bulles spéculatives dévastatrices, assurer la rémunération correcte de l’argent, maintenir le pouvoir d’achat de ceux qui font fructifier un capital pour améliorer leurs revenus, stopper les fuites en avant, les taux ne devraient pas être maintenus aussi bas, aussi longtemps. L’efficacité de telles mesures restent à mon avis à démontrer.

Les banques centrales empruntent-elles une mauvaise voie, s’enlisent-elles dans leurs erreurs originelles, aveuglées par des positions dogmatiques comme la fameuse relance par le crédit ou les effets de richesse ? On retrouve dans leurs interventions les schémas humains classiques de « répétition des scénarios de vie » : on ne tient pas compte des échecs passés, on répète les mêmes erreurs, résultat de processus mentaux par lesquels on reproduit ce que l’on a déjà fait en croyant que les résultats seront différents.

Comme ont dit souvent « on ne fait pas boire de l’eau à un âne qui n’a pas soif ». Si les entreprises ne veulent ou ne peuvent pas investir pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le coût de financement, inutile alors de baisser encore et toujours les taux. Aujourd’hui, cette baisse profite surtout aux états impécunieux et aux marchés actions.

Notons enfin que la problématique des taux en Europe n’est pas une affaire simple, car la BCE est confrontée à l’hétérogénéité de la zone euro. Il serait en théorie nécessaire d’appliquer une politique différenciée tenant compte des particularismes de chaque pays, car la diffusion d’une politique monétaire dite accommodante au sein de l’économie réelle est très disparate selon les contextes. Certains pays ont besoin effectivement d’avoir des taux bas, et d’autres pourraient supporter des taux plus élevés. La BCE, c’est un peu comme le tee-shirt à taille unique, elle mène une politique qui doit seoir à tous les pays, quelque soit leur taille, leurs difficultés, leur niveau d’endettement et de déficit, la structure de leur système productif, etc.

Autre difficulté : la remontée des taux ne peut se faire sans un minimum de coordination entre banques centrales, car elle aurait évidemment des effets sur les taux de change pas forcément favorables à L’Europe. Rien n’est simple dans ce monde où tout est imbriqué !

Il est toujours difficile de conclure sur l’efficacité d’une action ou plus généralement d’une politique économique car on ne refait jamais l’histoire, les expériences n’étant pas reproductibles comme dans le monde de la physique. Personne n’a de réponse sur les effets à moyen terme des politiques monétaires menées à travers le monde. Les charpentes théoriques de nos banquiers centraux sont-elles assez solides pour faire front à une crise qui dure et dont les contours élargis à l’échelle de la planète restent flous ? Le poids des réalités ne fait pas toujours bon ménage avec les postures rigides, peut-être partisanes de nos banquiers qui font davantage le bonheur des investisseurs que celui des citoyens victimes parfois des effets pervers de telles politiques (privatisation des gains et nationalisation des pertes par exemple !)

Les banquiers centraux conduisent-ils pied au plancher avec des planches à billets qui tournent au maximum de leurs capacités ? Maîtrisent-ils leurs instruments aussi bien qu’un pilote de formule 1 qui bien que surdoué de la conduite n’est jamais à l’abri d’une erreur de pilotage ? La réponse dans quelques mois ou quelques années !

Alain Desert


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