Ethique et tics

par L’enfoiré
mardi 28 novembre 2006

En Belgique, après Renault-Vilvorde, Ford-Genk et Sabena, revoici les mêmes démons qui ressurgissent avec Volkswagen (VW pour les intimes).

A-t-on tiré les leçons du passé après les licenciements massifs de Renault, de Ford et de la Sabena ? Peut-on vraiment agir à notre niveau ? Toujours non, comme réponse aux deux questions.

Cette fois, on ne va pas fermer l’usine, c’est l’info stratégique venue de Wolfsburg après des semaines d’incertitudes et de rumeurs. On va restructurer. On va diminuer les effectifs de 4000 collaborateurs sur les 5800. La courte-paille pour savoir qui fera quoi demain ! La loi Renault de février 1998 ne changera pas la donne. Elle oblige seulement l’entreprise à informer les salariés de l’intention de procéder à un licenciement collectif, d’en apporter la preuve et d’apporter un plan social. Dans ce cas-ci, absence de communication vers les syndicats, et la base a vraiment fait défaut.

Jusqu’à quelle extrémité ira le soutien dit massif des autorités publiques ? Les réductions de charges ont été accordées pour le travail en équipes et de nuit. La dispense sur le précompte mensuel, progressivement augmentée. Elaboration d’un cadre légal de la durée autorisée du temps de travail pour augmenter la flexibilité. La région bruxelloise accorde le terrain de l’Automotive Park. Iris Tech+ a été mis en place pour faciliter la rencontre entre offres et demandes d’emplois des équipementiers.

Effort global de cinq cents millions, pris en charge par l’Etat, et donc par la communauté. Alors, quoi ?

D’après le journal Tijd, la décision de retirer la Golf des chaînes de production forestoises est déjà établie. Celle-ci retourne en Allemagne. Le site bruxellois devrait hériter, en contrepartie, de davantage de modèles Polo - elle en produit déjà 11 000 par an pour le moment -, lesquels seraient retirés de l’usine espagnole de Pampelune.
Outre Bruxelles, VW possède en effet deux autres usines européennes, également en sursis, en Espagne et au Portugal. Le jeu de dominos ne fait que commencer.

Voilà les questions qui ressortent du chapeau à chaque grande crise dans l’emploi de la taille de ces grands pourvoyeurs de main-d’œuvre chez eux et, ailleurs, chez les sous-traitants qui ne travaillent qu’avec eux comme seul client en véritables rémoras pour leur requin. Au total, 13 000 emplois pourraient aller à la trappe, en cascade.

La correspondance avec le règne animal n’est pas fortuite. Ce qui change, c’est que les décisions locales d’aller à droite ou à gauche sont téléguidées de bien loin. Les requins ont leur âme à perte de vue. Ils agissent à l’aide de ficelles, en marionnettistes, avec les pieds d’argile fixés au travers des frontières. Ils en jouent et en jouissent allègrement en parfaite connaissance de cause. Ils avalent au passage ce qui peut être pris, ce qui est généreusement offert par les bancs de poissons de passage. L’Europe, il est vrai, a été construite par le capital et pour le capital. C’est forcé, ceux qui n’en font pas partie seront toujours dans l’opposition, à se battre. Entre-temps, 3000 voitures vont être bloquées comme trésor de grève. Ethique et fric.

La justification de la direction : "Le marché automobile en Europe de l’Ouest est en stagnation. Une surcapacité permanente. Des usines occupées à 75%."

Un article récent d’AgoraVox "Les profits sont-ils scandaleux ?" nous rappelait que l’argent était le nerf de la guerre et que le profit ou bénéfice n’était que son vassal. Tous les commentateurs, en effet, répondaient non massivement à la question.

Je reprends mon commentaire :

"Je le dirai haut et fort : le profit est salutaire. C’est la carotte devant l’âne. Pavlov dans toute sa splendeur.
Oui, absolument, il est nécessaire. Il motive, il fustige les idées neuves.
Donc, ça c’est pour le positif.

Où cela coince. C’est quand le profit ne génère plus ... le bien de la communauté humaine pour se limiter au plus petit commun dénominateur. Une bonne entreprise est le fournisseur de bien-être pour tous. Dès qu’elle déraille de cet objectif, ce qui se passe très vite dans l’excès à vouloir en faire du bénéf, c’est quand elle oublie qu’il y a des collaborateurs à cette réussite profitable.

La Bourse est évidemment le piège majeur. Une fois dans l’engrenage et les rouages de la grande dame, il s’agit de faire des bénéfs à pourcentage élevé à deux chiffres sous peine de perdre ses actionnaires. C’est la fuite en avant dans les sables d’Egypte. Ces actionnaires, cela peut-être vous ou moi, avec des actions, des fonds de pension. Aujourd’hui, les deux chiffres sont difficilement atteints malgré tous les efforts. Tous, fournisseurs et acheteurs, veulent payer un minimum pour la création et la consommation des produits.

Alors, deux règles simples du comment faire du bénéfice :

  • augmenter la production et les revenus
  • diminuer les coûts

Il n’y en a pas d’autre.

La première solution, vite dit, comme je viens de le dire.
La deuxième, c’est la solution et tout est bon pour y arriver sans état d’âme.

Alors, comment prévenir des catastrophes humaines après celles des sociétés ?

Difficile ? Pas vraiment.

La réponse est déjà dans la question : pré - venir.

Les audits internes, c’est bien. Les audits externes, c’est mieux. Mais ce n’est pas encore parfait, surtout quand on pense à ce qui s’est passé dans l’affaire Enron. En fait, que manque-t-il ? C’est simple : un contrôle de ceux qui se trouvent à l’intérieur de l’entreprise et qui sont donc le mieux à même de donner un avis sur ce qui s’y passe. Qui écoute les remarques et commentaires poussés dans la boîte à suggestion ? La communication est devenue meilleure, c’est vrai. Quand il s’agit de stratégie, la concertation, on n’aime pas trop. Les Etats qui reçoivent ces entreprises sur leur sol devraient eux aussi avoir un droit de regard sur ces entreprises, et pas seulement quand les patates sont cuites. Souvent, ils investissent dans ces sociétés internationales. Alors, ils sont aussi parties prenantes et responsables. Quand il y a problème à l’horizon, investir dans des gens qui seront des experts pour remettre les choses à flots ne serait pas du gâche-métier. Les ténors existent, ils ne chantent que dans la cacophonie du chaos.

Le fin mot de la bonne gestion est de sentir quand la production ne correspond plus vraiment aux désirs des clients. Pour une fois, celui-ci reste roi. On veut le conserver à la traîne et, tout au contraire, il précède la production par ses rêves dits "fous".

Changer quand il le faut, et uniquement quand un revirement de situation point à l’horizon. Pas de changement pour le changement. Voilà une manière d’appréhender l’avenir sous les meilleurs auspices.

Diversifier sans vouloir sauter sur tout ce qui bouge, c’est aussi une précaution sage. Une politique des produits est dans les cours d’économie depuis des lunes. Quatre phases lui donnent le répondant à ce produit :

  • La naissance avec ses investissements nécessitant des mises de fonds importants.
  • La croissance qui apporte les premiers fruits mais un risque croissant de concurrence qui se présente déjà dans les tablettes.
  • La maturité qui apporte la vache à lait avec tremplin vers d’autres solutions et de nouveaux produits.
  • Le déclin, avec sa fin redoutable, et les possibilités de reclassement dans une division en perdition ou un rachat par une autre société qui aura une infrastructure plus légère. Il faut bien assurer les clients et la maintenance.

Dans le cas de VW Forest, il n’y a pas eu de cycle de vie de produit, il y a simplement continuation. On produit un produit mûr.

Il ne faut pas être grand clerc pour prédire la fin de vie du produit sans successeur valable et une catastrophe sociale quand le produit suivant est encore dans les limbes. Ce ne sont pas les travailleurs, exécutants non consultés, qui en sont responsables. C’est simplement une conclusion logique de ce qui n’a pas été prévu dans le cahier des charges. Le modèle économique actuel est sans pitié.

VW Forest avait la Golf et la Polo et aucun autre modèle en vue pour la suite. C’est de la monoculture et, comble de malheur, la délocalisation est plus facile. Pas de presse de tôlerie. Les pièces de base arrivent toutes faites.

La politique du profit a remplacé celle des produits. La politique des actionnaires agit dans l’ombre. Les gourous du management financier oublient le profit social. La Golf a été longtemps considérée comme une référence qui pouvait coûter plus cher grâce à sa renommée et au prestige de sa catégorie. Vingt-cinq millions de Golf ont été vendues depuis 1974. Le vent a tourné et la concurrence grignote par d’autres niches cette part du marché. Un nouveau jeune patron en Allemagne venant de Daimler Chrysler est connu comme "cost killer". A la maison mère de Wolfsburg, les 28 heures par semaine sont passées à 32 sans changement de salaire. La qualité de la main-d’oeuvre belge est reconnue, mais celle-ci est chère. Ces qualifications auraient pu être utilisées pour des voitures plus sophistiquées comme la concurrence en fait : voitures hybrides, cabriolets

Nos bonnes "vieilles" machines à laver ne sont-elles pas des catastrophes annoncées, comme l’a été l’invasion du numérique dans la photographie ?

L’éthique dans notre civilisation moderne semble être trop proche d’une foule de représentants qui ont ramassé des tics et qui ne parviennent plus qu’à se donner de faux airs de puissance après la contagion de la stagnation.

Comment ne pas avoir un sentiment de dégoût et de haine des travailleurs vis-à-vis des autorités de l’entreprise ? On ose dire que le site pourra survivre avec les équipes rescapées de 1500 personnes. On ne parle pas de vivre. L’Europe, encore une fois, aura perdu une occasion de mettre, dans la balance, le contrepoids correct aux entreprises. Espérons, comme certains le prédisent, qu’elle ne sera pas le tiers monde du futur.

Comme je le disais dans "Mouvements perpétuels", les autres pays, l’Allemagne en l’occurrence, ont fait le premier pas. Ils ont diminué drastiquement le coût du travail et ont perdu 20 000 emplois dans le même temps. Vive le dumping inter pays ! Vive la compétition !

Les temps changent, c’est vrai. Le travail dans le secteur de l’automobile va perdre beaucoup de ses acteurs de production. C’est programmé. La Chine se presse au portillon du monde avec ses voitures low-cost pour écraser le marché. Elle ne restera pas avec une mauvaise image de marque grâce à ses possibilités d’adaptation. La diversification et sa flexibilité impliquée apportent une meilleure réponse que la flexibilité des travailleurs.

Gérer la crise sera peut-être une autre affaire pour les acteurs de ce drame. Faudra-t-il toujours des séismes pour trouver les pompiers compétents ?

Qu’est-ce que l’éthique d’une société commerciale ? Le philosophe Edgard Morin en parlait dans une interview, il y a quelques semaines.

« Nous sommes dans une société où se posent d’innombrables problèmes. Ceci n’est pas incompatible avec la sérénité de l’âme que l’on puisse avoir en tant que personne et les inquiétudes que l’on peut avoir aussi en tant que citoyen, en tant qu’être humain, solidaire des autres êtres humains. Et la question de l’éthique est une de ces questions parce que la société est devenue très individualiste, les individus ont beaucoup plus d’autonomie que dans le temps, mais en même temps, ils ont beaucoup plus d’égoïsme et beaucoup plus d’égocentrisme et cette promotion de l’individualisme se fait dans la dégradation de toutes les solidarités concrètes traditionnelles. Et dans cette dégradation, il y a une sorte de solitude et mon idée, c’est que les sources de l’éthique, ce sont la solidarité et la responsabilité. Et quand ces sources ne sont plus vivantes, ne sont plus très fortes, elles continuent à nous irriguer, mais de façon très inégale, alors se pose la question de l’éthique. Quand les sources sont très fortes, on fait ce que l’on pense être son devoir. »

L’enfoiré,

Citations :

"Toute activité orientée selon l’éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées : l’éthique de responsabilité ou l’éthique de conviction." Max Weber

"L’éthique c’est l’esthétique de dedans." Pierre Reverdy

"Le doute est le commencement de la sagesse. Aristote

"Le Mal, c’est ce qu’on ne peut se pardonner. " Marcel Jouhandeau

Les images d’une catastrophe annoncée ?


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