Euro, tribunaux d’arbitrage : les choix de mots révélateurs du Monde

par Laurent Herblay
samedi 17 janvier 2015

Dans le débat public, le choix des mots que l’on utilise a une influence considérable. On peut penser que davantage de personnes sont favorables à une monnaie forte plutôt qu’une monnaie faible. La rhétorique du Monde sur l’euro et les tribunaux d’arbitrage privés est très révélatrice.

Juste prix ou faiblesse ?
 
La nette baisse de l’euro depuis le milieu d’année dernière déclenche des analyses très biaisées de la part des média qui soutiennent mordicus la monnaie unique européenne. Pourtant, à 1,17 dollar, elle est revenue à son cours d’introduction et à un niveau proche du cours auquel les économistes estiment qu’elle devrait être cotée. Malheureusement, depuis trente ans en France, nous sommes pollués par les partisans maladifs et fanatiques d’une monnaie chère pour qui toute baisse de la parité de la monnaie équivaut aux sept plaies d’Egypte. Le Monde propose un décryptage des conséquences de la baisse de l’euro qui équivaudrait à « un transfert de la valeur des consommateurs vers les exportateurs  ».
 
On est dans la ligne d’Axel de Tarlé, sur Europe 1, qui pointait la hausse du prix du tourisme aux Etats-Unis, oubliant que cela n’est accessible qu’à une infime minorité, et des téléphones ou de l’essence (non vérifiés à date). Il faut rappeler ici que cette baisse de l’euro ne provoque une hausse des prix d’importations qui ne représentent que 8% du PIB environ. Pas de quoi fouetter un chat ! En outre, le consommateur est aussi un producteur qui profitera du léger rééquilibrage de notre commerce que provoquent ces mouvements monétaires. Il est absurde d’opposer consommateurs et exportateurs, à moins d’être un missionnaire de la monnaie chère, utile pour qui voyage souvent à l’étranger…
 
Peur (irrationnelle) ou opposition (démocratique)

Dans un autre texte, le Monde traite d’une consultation européenne sur les scandaleux tribunaux d’arbitrage internationaux qui permettent à Philip Morris de poursuivre l’Australie pour sa loi anti-tabac. La consultation a donné un résultat quasi unanime puisque 145 000 personnes sur 150 000 se déclarent opposées au traité transatlantique et aux tribunaux d’arbitrage. Le Monde ne recule devant aucun argument pour les défendre : d’abord, il dit que ces tribunaux existent depuis 50 ans et apparaissent dans 3000 traités. Sauf qu’il y a 20 ans, il n’y avait presque pas d’arbitrage… Ensuite, ils sécurisent les investissements. Puis ils ne font « pas toujours la part belle aux entreprises  ». N’en jettez plus !

Cependant, Le Monde souligne l’apparition de « tiers financeurs qui prennent des paris sur des arbitrages  » et financent l’action des multinationales en se rémunérant sur les dommages et intérêts. Et il note « le risque d’entrave au droit de légiférer des Etats ». Mais ce qui est intéressant ici, c’est le choix du terme « peur  » et non d’ « opposition », démocratique. Le second impliquerait un sain et naturel débat dans une démocratie. Ce faisant, en parlant de peur avant d’utiliser la litanie d’arguments en faveur de ces tribunaux, le Monde émet un jugement de valeur plutôt que de rapporter sereinement d’un débat d’opinion démocratique légitime, quand même The Economist se montre plus prudent.

Voilà pourquoi il faut se battre, non seulement sur le fond, mais aussi sur la dénomination des problèmes car elle n’est pas neutre. L’euro était trop cher. Il revient à un court juste et n’est donc pas faible, si ce n’est dans l’esprit maladif de certains. Et on peut s’opposer aux tribunaux d’arbitrage, sans peur.


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