Eurotunnel : une réussite technique, un échec financier

par Henry Moreigne
jeudi 13 juillet 2006

Présenté comme le projet du siècle, la réalisation d’un tunnel sous la Manche, grande infrastructure de transport international, est une incontestable réussite technique, qui met fin à sa façon au caractère insulaire de l’Angleterre. En revanche, contrairement aux études menées par les banques, la viabilité de la société Eurotunnel, grevée par la dette, n’est pas au rendez-vous. La cessation de paiement, préalable au redressement judiciaire, n’est pas écartée.

Vieille chimère des envahisseurs patentés de la perfide Albion, (le premier projet date de 1750 avec les plans de l’ingénieur Nicolas Desmarest) la réalisation d’un tunnel sous la Manche a été entièrement financée et réalisée par une société privée franco-britannique spécialement créée pour l’occasion : Eurotunnel.

Eurotunnel, constituée en 1986 pour une durée de 55 ans, soit jusqu’en 2042, est une société cotée en Bourse à Paris, Londres et Bruxelles dont l’unique activité consiste à gérer l’infrastructure du tunnel sous la Manche. La durée de la concession a été portée de 65 à 99 ans.

Si l’aventure Eurotunnel prend aujourd’hui des allures de naufrage pour les actionnaires, c’est notamment parce qu’entre les études des banques de 1984 qui démontraient la viabilité du projet, en dépit de son gigantisme, et la réalisation, un certain nombre d’aléas, sous-estimés par les études, se sont produits.

Structurellement, la réalisation du tunnel a été éclatée entre de très nombreux acteurs et sous-traitants, ce qui a engendré des coûts élevés de coordination.

Parallèlement, les coûts de réalisation dérapent pour atteindre le double des prévisions, soit 105 milliards d’euros, alors que le trafic peine à atteindre les niveaux très optimistes qui avaient été fixés.

Le décor est planté, le drame peut se jouer. Dès 1997, la société est au bord de la faillite. Les deux Etats concernés sont contraints de prolonger de 34 ans la durée de la concession. Un premier plan de restructuration du capital est mis au point. Les 700 000 petits porteurs (65% du capital social), dont 80 % de Français voient fondre la valeur nominale de leurs actions. De 5,83 € au lancement, l’action tombe à 0,34€ en mars 2003, contraignant l’Autorité des marchés à suspendre la cotation de l’action. La situation des détenteurs d’obligations, non prioritaires, n’est pas meilleure.

Aujourd’hui, la dette cumule à 9,1 milliards d’euros. Bien que l’exploitation soit bénéficiaire avec un résultat positif attendu de 265 millions d’euros pour 2007, ceux-ci ne couvrent même pas les seuls frais financiers de la dette qui sélèvent annuellement à 400 millions d’euros.

Une situation inextricable, qui profite aux banques. Une injustice pour les petits porteurs qui souhaiteraient voir effacer une partie de la dette. Compte tenu de la prévisible cessation de paiement de la société, il appartiendra à la Justice de trancher.

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