Eux, le pétrole et nous

par Pierre JC Allard
vendredi 30 mai 2008

Bientôt 200 ans que David Ricardo a expliqué la Théorie de la rente et qu’on a ainsi trouvé un mot élégant pour l’extorsion. Aujourd’hui, on peut aussi dire Opep... ou pétrolières. 

Si vous parlez entre quatre yeux et quatre murs à quelqu’un qui s’y connaît un peu, il vous dira que la crise du pétrole est une arnaque. Le pétrole est là et au départ ne coûte rien ; c’est une de ces ressources que la nature nous donne gratuitement, à charge pour nous d’investir le travail requis pour en tirer profit. 



Travail ? Le travail, si on parle pétrole, c’est l’extraction, le raffinage, le transport, le stockage, la distribution. Tout ça est largement automatisé, de plus en plus automatisé et coûte donc de moins en moins cher. Le coût de production réel du pétrole en dollars constants, depuis 35 ans, n’a pas augmenté, il a diminué. Le prix du pétrole, lui, depuis 35 ans s’est multiplié par 45, passant de 3 à 135 dollars le baril. Beaucoup de fric.

Combien de fric ? Échappez à tous les pièges tendus pour que vous ne le sachiez pas et passez à la réalité. La consommation énergétique de la planète est de 8 800 MTEP, dont au moins 90 % en hydrocarbures. À 7, 6 barils en moyenne par tonne et USD $135 par baril, on parle d’au moins $ 8 T par année, USD $ 8 000 000 000 000, pour les puristes. Les coûts réels de production n’ayant pas augmenté depuis 1973, 98 % de cette valeur est profit ou inflation. La production annuelle totale de la planète « vaut » USD$ 47 T. Le pétrole en représente 17 %. Un gros morceau.

Quelqu’un fait un gros profit. Profit ? C’est aussi un euphémisme. Si le profit est défini comme ce qui reste à l’entrepreneur quand il déduit le coût des intrants du prix de vente du produit, le mot est assez mal choisi, car le travail – et donc la production – du pétrole n’est pas un élément important de son coût. Le prix du pétrole est d’abord une "rente" payée au propriétaire du pétrole. L’argent prélevé est déguisé en profits, mais c’est une rente. C’est le prix que ceux qui se sont approprié cette ressource exigent pour y donner accès.

Leur droit d’en exiger ce prix repose sur la force de pouvoir en contrôler l’accès et sur rien d’autre. « La propriété » - disait Proudhon – « c’est le vol ! ». N’est-il pas évident que la terre n’a jamais été appropriée à l’origine que par l’occupation de fait d’un territoire, suivie de la force d’en exclure les autres ? Les ressources qu’elle contient n’ont jamais non plus été appropriées que par la force de conserver de façon permanente cette possession d’abord précaire. Quand on remonte la chaîne des titres d’un propriétaire sur la terre ou sur ses ressources, on n’en arrive jamais qu’à cette illégitimité initiale.

Il n’y a aucune justification morale crédible pour que les ressources naturelles appartiennent à celui qui vit à côté ou au-dessus de ces ressources. Éthiquement parlant, seule l’humanité pourrait collectivement se prétendre légitime propriétaire des ressources naturelles. Seul un gouvernement qui serait mandaté par l’humanité tout entière pourrait détenir, pour le bien commun, un droit éminent sur l’ensemble des ressources planétaires.

En l’absence d’un tel droit, exiger cette rente par la force est pure extorsion. Les ressources de la planète ne peuvent appartenir qu’à l’humanité. C’est notre patrimoine commun. Les droits souverains exercent aujourd’hui les États sur les ressources d’un territoire, au nom d’une collectivité qui ne l’occupe toujours que par droit de conquête, sont des droits bien discutables… et ils doivent être discutés.

Ils doivent être remis en question car, s’il y a vraiment pénurie, il y a force majeure et la collectivité globale doit intervenir. Si, au contraire, les raretés sont créées artificiellement pour permettre de mener des conflits et de s’enrichir, il est tout aussi important d’en finir avec cette supercherie de la carence des ressources. Qu’il y en ait ou non amplement pour tout le monde et pour longtemps… il faut partager.

Il faudrait partager. Tout indique que nous avons des réserves de pétrole et de gaz pour au moins deux siècles, sans doute bien plus. Une politique globale transparente nous le dirait. Quoi qu’il en soit de ces réserves, toutefois, les alternatives au pétrole sont de toute façon connues et disponibles - allant du nucléaire au solaire et à l’éolien - et l’impact sur les coûts de production du passage à ces énergies nouvelles devient chaque jour plus marginal. Il faudrait qu’une autorité internationale gère l’exploitation et la distribution du pétrole et éventuellement de toutes les ressources naturelles Évidemment, ça n’arrivera pas. Pas sans quelques discussions.

Partager exige une discussion avec les propriétaires. Qui sont les propriétaires ? Apparemment, surtout quelques cheiks, mais ce n’est que poudre aux yeux. Le propriétaire ne touche sa rente qui est une extorsion, que s’il a la force de l’exiger. La plupart des propriétaires en titre du pétrole ne l’ont pas. La force est entre les mains des compagnies pétrolières, lesquelles disposent de celle des gouvernements qu’ils corrompent. Ce sont les compagnies pétrolières qui déguisent leur rente sous forme de profits d’exploitation, aux divers paliers d’une structure verticale parfaitement intégrée, gardant les petits potentats locaux pour avoir des boucs émissaires sous la main.

Pourquoi ne pas discuter de partage avec les vrais proprios ? Ceux qui ont le pouvoir pourraient prendre ce qu’ils veulent de bien d’autres façons… Pourquoi la classe dominante se sert-elle du pétrole pour prélever sur la richesse globale la part qu’elle en veut ? 

Parce qu’utiliser le pétrole est simplement la façon la plus facile de le faire. L’énergie est aujourd’hui ce qu’était la terre à l’époque de Ricardo. Nous sommes tous consommateurs d’énergie. On peut donc prendre par l’énergie la ponction qu’on veut sur l’économie mondiale. Exactement la livre de chair qu’on décide de prendre sur vous, sur moi, sur tout le monde, au prorata de sa consommation d’énergie. Un commerce équitable…

Le prix du pétrole est fixé arbitrairement au niveau qu’on veut. Il n’y a pas de facteurs exogènes, car le sous-sol ne bouge pas, on n’a que les guerres et les révolutions qu’on fomente et le rapport de la demande à l’offre ne dépend que de la demande, c’est-à-dire de la croissance dont on décide pour optimiser le rendement du capital. L’autre grande arnaque, dont nous parlerons une autre fois… Quand le prix du pétrole monte, il n’y a pas de surprise ; c’est qu’« ils » veulent plus d’argent. Merci, mon Dieu, ce n’est encore que 17 % ! Ça pourrait être 20 %, 25 %…

La classe dominante s’accroche au pétrole par paresse encore plus que par cupidité, parce que cette extorsion est la plus simple des arnaques. Vendre le pétrole au prix qu’on veut est un outil efficace et ceux qui mènent le monde ne voient aucune raison d’en changer. Il faudrait les en convaincre…



Pierre JC Allard


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