Face à la crise financière, de nouveaux abandons de souveraineté ?
par M. Aurouet
vendredi 12 août 2011
Les déboires que connaissent actuellement les pays de l’Union européenne, et qui conduisent à envisager la disparition de la zone euro, ne manquent pas de susciter un nouvel engouement pour « l’intégration européenne ». D’aucuns considèrent que de nouveaux abandons de souveraineté sont nécessaires pour donner une « vraie » gouvernance à la zone euro et, ce faisant, « rassurer » durablement les marchés financiers. Passons sur le vocabulaire employé dont le registre témoigne d’un conservatisme de la pensée, puisque c’est précisément cette servitude volontaire aux marchés financiers qui est à l’origine des graves turbulences que nous traversons. Au fond, comme le disait la chanson, rien n’a changé, et tout semble continuer. A l’index, ces politiques et leurs préoccupations de court terme, prétendument incapables de réguler les dépenses publiques et coupables d’augmenter l’adition pour les générations futures. Au pilori, la démocratie substantielle, à laquelle est préférée une démocratie formelle mieux discernable et plus propice à la prétendue rationalité économique. Non contentes d’avoir dépossédé les peuples de leur souveraineté commerciale (libre-échange non négociable) et monétaire, toutes heureuses d’avoir encouragé la ruine fiscale des Etats occidentaux par l’acceptation d’une concurrence à la fois libre et faussée, mais aussi par la reconstitution d’une caste d’oligarques déracinés, de bonnes âmes arrogantes nous proposent à présent de faire tomber l’un des derniers remparts de la souveraineté encore debout, à savoir le budget. Au-delà du projet de « règle d’or » du Président de la République, qui reste une forme de discipline interne à la nation française avec tous les aléas que cela implique, c’est bien par l’intégration budgétaire que ces bonnes âmes espèrent redorer le blason de la « gouvernance » européenne.
Qui ne voit pas pourtant que ce n’est pas avec le poison d’hier que l’on guérira les maux d’aujourd’hui ? Certes, il ne fait pas de doute que la zone euro souffre d’un manque de contrepoids politique à la BCE et que l’absence de budget communautaire de type fédéral constitue le handicap majeur de la zone. Cependant, qui dit budget fédéral dit impôt fédéral, qui dit impôt fédéral dit constitution politique, qui dit constitution politique dit Etat européen. Or, rien n’indique une dynamique fédéraliste à caractère d’évidence en Europe même si ce peut être la plus grande ambition politique contemporaine du vieux continent. Il n’est même pas certain que les peuples européens aient le désir de pousser leur union aussi loin, tandis que les élites politiques ne proposent aucune vision qui aille en ce sens. Aussi risque de se répéter, dans ce contexte, le scénario que nous avons déjà connu par le passé : nous allons prendre des vessies pour des lanternes et nos rêves pour des réalités. On va nous dire, et nous serons tentés d’y croire, que la mutualisation budgétaire avec ses règles dignes de Saint-Benoît est un budget fédéral, comme nous nous disions que l’union monétaire allait donner un espace économique fédéral à la manière des Etats-Unis d’Amérique.
En vérité, cela fait des années que l’Europe fait semblant d’être unie, alors qu’elle ne fait qu’empêcher sa division ; qu’elle prétend conférer puissance et dynamisme à ses peuples, alors qu’elle neutralise en réalité leur capacité d’action et, ce faisant, ruine la crédibilité des démocraties qui la compose. Prôner de nouveaux abandons de souverainetés aggravera la situation présente en couronnant le processus de destruction souveraine que l’intégration européenne incarne. Le fédéralisme européen ne peut être qu’un acte politique dont les aménagements de souverainetés sont les conséquences ; il ne saurait être le résultat mécanique de renoncements successifs de la part des Etats membres. L’urgence n’est donc pas d’organiser rapidement de nouveaux abandons de souveraineté, mais de restaurer cette souveraineté par un projet politique à la hauteur de la situation : soit à l’échelle européenne par la construction d’une fédération politique sur des bases populaires, soit au niveau national par une renégociation des traités communautaires. Fédération ou confédération, voilà la problématique majeure qui se dessine aujourd’hui, la poursuite du processus communautaire ne risquant d’aboutir qu’au renforcement de l'impuissance d'une Union à l'avenir peu assuré.