Faut-il brűler les manuels d’économie ?
par Céphale
jeudi 17 janvier 2008
Gros titre en première page : Le Figaro du 15 janvier annonce que les manuels d’économie vont faire l’objet d’un audit lancé par le ministre de l’Éducation nationale. Une commission présidée par R. Guesnerie, professeur au Collège de France, sera chargée de revoir les programmes et d’étudier les manuels.
Cette décision fait suite aux déclarations de Bernard Thomas, délégué à l’orientation au ministère de l’Education nationale, ancien directeur de cabinet de Gilles de Robien, et de l’ex-Premier ministre socialiste Michel Rocard, lors d’une audition de la Commission Pochard, chargée de réfléchir à l’évolution du métier d’enseignant. Tous deux ont vivement critiqué l’enseignement de l’économie en l’accusant d’être politisé. Bernard Thomas avait dit : « Il n’est pas normal que, contrairement aux autres pays, nous n’offrions pas à nos jeunes un minimum d’informations sur la réalité économique, d’informations sur la réalité de l’emploi, d’informations sur la réalité du fonctionnement des entreprises ». Quant à Michel Rocard, il a qualifié l’enseignement de l’économie de « catastrophe ambulante », allant jusqu’à le rendre « responsable du blocage du dialogue social dans notre pays ».
Submergé de lettres d’enseignants, Michel Rocard leur a adressé un mot d’excuse : « J’ai cru bon d’exprimer une manière de colère sur l’inculture économique de la France. Nous sommes le seul pays d’Europe où le dialogue social n’existe à peu près pas, où l’action publique est lourdement entravée par le manque de conscience collective ». Il a ajouté qu’il avait parlé avec des lycéens et que, malgré son faible niveau de connaissances sur la question, il avait été effrayé par leur vision de l’économie « dont le degré d’abstraction et de dogmatisme interdit toute utilisation dans la pratique sociale ».
La contestation est récurrente depuis cinq ans dans les milieux libéraux et patronaux. En novembre 2006, le Medef recommandait une révision des manuels scolaires et une initiation des élèves à l’entreprise dès le plus jeune âge afin de créer une « culture favorable à l’entrepreneuriat ». De son côté, une nouvelle association proche du Medef, Positive Entreprise, dénonce une approche de l’enseignement imprégnée d’une « idéologie marxiste ». Elle propose d’associer des chefs d’entreprise à l’écriture des programmes et à la validation des manuels, ce qui a provoqué l’indignation de Sylvain David, président de l’APSES (Association des professeurs des sciences économiques et sociales). Il déclare que l’objectif de l’enseignement « n’est pas de promouvoir les idées de tel ou tel acteur de la vie économique », mais de fournir aux élèves des connaissances scientifiques.
N’ayant pas les moyens de me livrer à une étude approfondie, je suis allé chez un libraire parisien pour y parcourir les manuels d’économie, de la seconde à la terminale, en recherchant tout ce qui pourrait donner une vision négative de l’entreprise. J’ai tout d’abord remarqué que les chapitres en rapport avec l’entreprise sont assez peu nombreux, moins d’un tiers. Les autres chapitres concernent la démographie, les relations sociales, les revenus, etc. Ils n’ont donc rien à voir avec l’entreprise et, de plus, ils m’ont paru fort bien faits. Ensuite, j’ai concentré ma recherche sur les chapitres qui concernent l’entreprise. Il y est question des organisations productives, de la production, de la répartition de la valeur ajoutée, de l’organisation du travail et des relations de travail.
La plus grande partie des pages est couverte par des extraits de livres et d’articles. Sur un seul chapitre, j’en ai compté quinze. Les sources sont diverses et variées : Données sociales Insee, La Documentation française, L’Express, Le Monde, Les Echos, Alternatives économiques, etc. Aucun de ces textes ne donne une image négative de l’entreprise, du travail en entreprise, du chef d’entreprise. Leur choix est équilibré. Leur variété a visiblement pour but de développer l’esprit critique des élèves, de leur apprendre à raisonner en ayant le sens des nuances. Il faut reconnaître néanmoins que certains textes peuvent déplaire au Medef, par exemple : « Les négociations collectives, les règles, les négociations de branche représentent des instances intermédiaires qui permettent de compenser l’inégalité du face-à-face entre les individus atomisés et l’entreprise souveraine. Ces intermédiaires, ce sont les systèmes de normes qui régulent les relations de travail : elles s’imposent à l’entreprise, elles ont forces de lois, et c’est pourquoi le Medef veut les supprimer. » (Manuel de seconde, Hatier, p. 186).
L’association Positive Entreprise a déclaré hier : « Nous pensons que le monde de l’entreprise n’est pas présenté de façon équilibrée dans les manuels scolaires de sciences sociales et économiques ». L’objectif est clair : retirer des manuels tous les textes qui peuvent déplaire au Medef. Si l’Etat cédait à cette pression, ce serait une grave atteinte à une liberté fondamentale ; ce serait un précédent inquiétant.