Faut-il fusionner CDD et CDI en un contrat unique ?

par Cyril de Guardia
mardi 26 juin 2007

Selon le Premier ministre de la République française, le contrat de travail unique (CTU) sera une réalité d’ici la fin de l’année. Comme son nom l’indique, il aurait pour vocation de devenir le seul contrat de travail, mettant ainsi un terme à l’existance des CDD et des CDI. L’objectif est en tous les cas de permettre de lutter contre les inégalités entre salariés et notamment de mettre fin à la précarité des 12 % d’entre eux abonnés aux contrats précaires et à leurs abus. Un an après le mouvement social anti-CPE, un « sujet lourd de conséquences, technique et difficile » est à nouveau sous les feux de l’actualité économique gouvernementale.

Force est de constater qu’en l’état atuel des choses, une réforme du Code du travail paraît nécessaire à un meilleur épanouissement du marché du travail français, à l’heure où la précarité de l’emploi en France constitue un problème majeur. Les femmes, les immigrés et les jeunes font les frais du système français, connu pour être vecteur d’inégalités et de précarité : 60 % des jeunes de 20 ans qui travaillent ont un contrat temporaire. Nous nous trouvons à l’heure actuelle dans un système très inégalitaire, qui pénalise d’abord les populations les plus fragiles, ces dernières ayant plus de mal que les autres à trouver un logement, à contracter un prêt et ainsi à assurer leur autonomie en dehors des mesures d’assistanat.

Une autre caractérisitique du système français réside dans l’étendue du nombre de contrats de travails différents. Aux traditionnels CDI et CDD se sont ajoutés, ces dernières années, pas moins de cinq nouveaux contrats (CNE, CDD seniors, CRP, CTP et contrat d’avenir) compartimentant les travailleurs selon des critères d’âge, d’expérience professionnelle... Les détracteurs du CTU mettent en cause la dualité du marché du travail entre les titulaires d’un CDI, assurés d’un revenu régulier et fixé, ayant la certitude de l’emploi et l’assurance d’une retraite, et les titulaires d’un CDD étant le plus souvent des travailleurs précaires alternant entre intérim et CDD. Aujourd’hui, la délivrance d’un contrat à durée indéterminée est de plus en plus rare, plus d’une personne sur cinq en âge de travailler n’en bénéficiant pas.

Pour une approche sans ambiguïté, le CTU n’est pas une idée d’inspiration patronale. C’est en premier lieu l’idée de deux économistes totalement neutres de renom, MM. Cahuc et Kramarz. Ensuite, l’idée a été reprise dans le rapport Camdessus (Le sursaut, vers une nouvelle croissance pour la France) ainsi que dans l’ouvrage de Michel Pébereau et Bernard Spitz.


Le président de la République, M. Nicolas Sarkozy, séduit par la formule, envisage de l’employer pour mettre fin, selon lui, à la fracture sociale causée par la fameuse dualité du marché du travail. L’existence de cette dualité et de la floraison de CDD, souvent illégaux par ailleurs, est effectivement susceptible de nous amener à nous demander si le salarié n’aurait pas tout à gagner d’une fusion entre CDD et CDI.

Cependant, cette thèse repose sur une imposture de taille. L’intérêt du CTU pour ses promoteurs serait de pacifier le clivage existant entre les salariés en CDI, donc en situatiuon stable, et les salariés en situation de précarité. Nombreux sont ceux qui s’adonnent à penser qu’un salarié muni d’un CDI est aujourd’hui un salarié protégé disposant d’un emploi stable et sûr à vie. En effet, les entreprises décidées à procéder à des licenciements économiques et à des restructurations en France y arrivent, et le taux de recours (2,5 %) est faible. Notre législation demeure en ce domaine moins contraignante que la législation des pays scandinaves sociaux-démocrates tels que la Suède, le Danemark ou la Finlande. Le clivage est en réalité moins marqué qu’il n’y paraît.

A la lecture du rapport de Pierre Cahuc et de Francis Kramarz, on comprend que ce contrat unique serait caractérisé par le fait qu’en cas de licenciement pour des raisons strictement économiques, il n’y aurait plus de contrôle du motif de licenciement. En effet, l’employeur serait déchargé de son obligation de reclassement interne ou externe des salariés et le juge ne pourrait vérifier l’existence d’un motif économique. Dans ce cas précis, le salarié recevrait une indemnité de licenciement plus importante que celle prévue dans le système actuel, c’est-à-dire concrètement une indemnité proportionnelle à l’ensemble des salaires versés tout au long du contrat de travail destinée à la fois au salarié et aux pouvoirs publics. Le salarié aurait également droit à un accès à un service public de l’emploi chargé de mener un accompagnement plus personnalisé.

Cependant, l’un des problèmes majeurs soulevé est l’attachement des entreprises françaises au CDD dont l’avantage réside dans le fait que la non-reconduction d’un emploi n’aboutit pas à une situation conflictuelle. En revanche, dans le cadre du Contrat unique de travail, la situation serait différente : l’entreprise serait contrainte de procéder à un véritable licenciement qui peut ne pas être accepté par le salarié. De plus, l’article 4 de la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) prohibe les licenciements sans "motif valable lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise" et l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée affirme le même principe. Nous comprenons donc bien que la nature même de ce contrat unique ne serait pas en adéquation avec la norme internationale. Cependant, nous pourrions renverser cet état de fait en faisant prévaloir la norme interne sur la norme internationale. Le préambule de la Constitution de 1945, contenu dans le bloc de constitutionnalité créé par le doyen Louis Favoreu, prévoit la supériorité de la norme internationale sur la norme interne française (« La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international.  »). On retrouve par ailleurs ce principe contenu dans l’article 55 de la Constitution de 1958. Ainsi, dans l’arrêt Kirkwood, du Conseil d’Etat du 30 mai 1952, le juge considère l’acte international comme norme de référence. La Cour de cassation reconnait également la primauté du traité international sur la loi interne dans l’arrêt Société des cafés Jacques Vabre, du 24 mai 1975. Ainsi, le contrat de travail unique ne peut voir le jour en France dans ces conditions, sauf avis contraire du Conseil d’Etat.

Le débat entamé par la volonté d’origine gouvernementale de créer ce CTU ne doit-il pas plutôt nous amener à envisager l’adoption en France d’un système proche de la « flex-sécurité » danoise, fondé non pas sur le choix du sacrifice de la sécurité d’existence de ses travailleurs mais sur un alliage composé de flexibilité et de sécurité de l’emploi. Ce système repose principalement sur une cogestion de la politique sociale avec des syndicats puissants et également sur une vraie pression sociale sur les chômeurs, contraints le plus souvent à accepter les emplois qui se libèrent sous peine de sanctions économiques. Force est de constater à quel point ce régime porte ses fruits dans les pays scandinaves où des pays tels que le Danemark ont un taux de chômage de 5,8 %, supportés par une croissance économique de 2 % par an (je vous invite pour plus d’information à consulter l’excellent article sur le sujet, rédigé par Bénédicte De Beys et intitulé "La flex-sécurité danoise, sociale ou libérale ?"). Il est certes impensable de calquer entièrement le système danois sur le système français du fait des spécificités de notre pays, fondées principalement sur le pouvoir étatique centralisé et sur un Etat providence corporatiste et administratif, tout le contraire, vous l’aurez compris, du modèle du welfare state libéral à l’américaine ou bien du welfare state social démocrate à la scandinave. La question mérite d’être envisagée plus sérieusement et de donner lieu à de prochains débats qui devraient faire couler beaucoup d’encre.



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