Faut-il fusionner CDD et CDI en un contrat unique ?
par Cyril de Guardia
mardi 26 juin 2007
Selon le Premier ministre de la République française, le contrat de travail unique (CTU) sera une réalité d’ici la fin de l’année. Comme son nom l’indique, il aurait pour vocation de devenir le seul contrat de travail, mettant ainsi un terme à l’existance des CDD et des CDI. L’objectif est en tous les cas de permettre de lutter contre les inégalités entre salariés et notamment de mettre fin à la précarité des 12 % d’entre eux abonnés aux contrats précaires et à leurs abus. Un an après le mouvement social anti-CPE, un « sujet lourd de conséquences, technique et difficile » est à nouveau sous les feux de l’actualité économique gouvernementale.
Une autre caractérisitique du système français réside dans l’étendue du nombre
de contrats de travails différents. Aux traditionnels CDI et CDD se sont
ajoutés, ces dernières années, pas moins de cinq nouveaux contrats (CNE, CDD
seniors, CRP, CTP et contrat d’avenir) compartimentant les travailleurs selon
des critères d’âge, d’expérience professionnelle... Les détracteurs du CTU
mettent en cause la dualité du marché du travail entre les titulaires d’un CDI,
assurés d’un revenu régulier et fixé, ayant la certitude de l’emploi et
l’assurance d’une retraite, et les titulaires d’un CDD étant le plus souvent
des travailleurs précaires alternant entre intérim et CDD. Aujourd’hui, la
délivrance d’un contrat à durée indéterminée est de plus en plus rare, plus
d’une personne sur cinq en âge de travailler n’en bénéficiant pas.
Pour une approche sans ambiguïté, le CTU n’est pas une idée d’inspiration
patronale. C’est en premier lieu l’idée de deux économistes totalement neutres
de renom, MM. Cahuc et Kramarz. Ensuite, l’idée a été reprise dans le rapport
Camdessus (Le sursaut, vers une nouvelle croissance pour la France) ainsi que
dans l’ouvrage de Michel Pébereau et Bernard Spitz.
Le président de la République, M. Nicolas Sarkozy, séduit par la formule,
envisage de l’employer pour mettre fin, selon lui, à la fracture sociale causée
par la fameuse dualité du marché du travail. L’existence de cette dualité et de
la floraison de CDD, souvent illégaux par ailleurs, est effectivement
susceptible de nous amener à nous demander si le salarié n’aurait pas tout à
gagner d’une fusion entre CDD et CDI.
Cependant, cette thèse repose sur une imposture de taille. L’intérêt du CTU
pour ses promoteurs serait de pacifier le clivage existant entre les salariés
en CDI, donc en situatiuon stable, et les salariés en situation de précarité.
Nombreux sont ceux qui s’adonnent à penser qu’un salarié muni d’un CDI est
aujourd’hui un salarié protégé disposant d’un emploi stable et sûr à vie. En
effet, les entreprises décidées à procéder à des licenciements économiques et à
des restructurations en France y arrivent, et le taux de recours (2,5 %) est
faible. Notre législation demeure en ce domaine moins contraignante que la
législation des pays scandinaves sociaux-démocrates tels que la Suède, le
Danemark ou la Finlande. Le clivage est en réalité moins marqué qu’il n’y
paraît.
A la lecture du rapport de Pierre Cahuc et de Francis Kramarz, on comprend que
ce contrat unique serait caractérisé par
Cependant, l’un des problèmes majeurs soulevé est l’attachement des entreprises
françaises au CDD dont l’avantage réside dans le fait que la non-reconduction
d’un emploi n’aboutit pas à une situation conflictuelle. En revanche, dans le
cadre du Contrat unique de travail, la situation serait différente :
l’entreprise serait contrainte de procéder à un véritable licenciement qui peut
ne pas être accepté par le salarié. De plus, l’article 4 de la Convention n°158
de l’Organisation internationale du travail (OIT) prohibe les licenciements
sans "motif valable lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou
fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise" et l’article
24 de la Charte sociale européenne révisée affirme le même principe. Nous
comprenons donc bien que la nature même de ce contrat unique ne serait pas en
adéquation avec la norme internationale. Cependant, nous pourrions renverser cet
état de fait en faisant prévaloir la norme interne sur la norme internationale.
Le préambule de la Constitution de 1945, contenu dans le bloc de
constitutionnalité créé par le doyen Louis Favoreu, prévoit la supériorité de
la norme internationale sur la norme interne française (« La République
française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public
international. »). On retrouve par ailleurs ce principe contenu dans l’article
55 de la Constitution de 1958. Ainsi, dans l’arrêt Kirkwood, du Conseil d’Etat
du 30 mai 1952, le juge considère l’acte international comme norme de
référence. La Cour de cassation reconnait également la primauté du traité
international sur la loi interne dans l’arrêt Société des cafés Jacques Vabre,
du 24 mai 1975. Ainsi, le contrat de travail unique ne peut voir le jour en
France dans ces conditions, sauf avis contraire du Conseil d’Etat.
Le débat entamé par la volonté d’origine gouvernementale de créer ce CTU ne
doit-il pas plutôt nous amener à envisager l’adoption en France d’un système
proche de la « flex-sécurité » danoise, fondé non pas sur le choix du sacrifice de
la sécurité d’existence de ses travailleurs mais sur un alliage composé de
flexibilité et de sécurité de l’emploi. Ce système repose principalement sur
une cogestion de la politique sociale avec des syndicats puissants et également
sur une vraie pression sociale sur les chômeurs, contraints le plus souvent à
accepter les emplois qui se libèrent sous peine de sanctions économiques. Force
est de constater à quel point ce régime porte ses fruits dans les pays
scandinaves où des pays tels que le Danemark ont un taux de chômage de 5,8 %,
supportés par une croissance économique de 2 % par an (je vous invite pour plus
d’information à consulter l’excellent article sur le sujet, rédigé par
Bénédicte De Beys et intitulé "La flex-sécurité danoise, sociale ou
libérale ?"). Il est certes impensable de calquer entièrement le système danois
sur le système français du fait des spécificités de notre pays, fondées
principalement sur le pouvoir étatique centralisé et sur un Etat providence corporatiste
et administratif, tout le contraire, vous l’aurez compris, du modèle du welfare
state libéral à l’américaine ou bien du welfare state social démocrate à la scandinave. La question mérite
d’être envisagée plus sérieusement et de donner lieu à de prochains débats qui
devraient faire couler beaucoup d’encre.