Faut-il réformer la politique d’aide au développement de la France ?

par TSAKADI Komi
vendredi 29 septembre 2006

Il peut paraître paradoxal pour certains Français que leur pays aide les pays pauvres, surtout africains, alors qu’il regorge de 3,7 à 7 millions de pauvres, quoiqu’il s’agisse d’une pauvreté relative. Mais cela répond à un engagement international de solidarité, auquel les pays du Nord ont souscrit dans les années 1970 en promettant de verser 0,7 % de leur produit intérieur brut (PIB) à l’aide publique au développement (APD). Engagement repris lors du sommet de Monterrey, en février 2002.

Le sondage réalisé en juillet 2006 par l’Ifop, piloté par l’Agence française de développement (AFD) et publié le 20 septembre dernier, révèle que pour la grande majorité des Français (83%), la France joue un rôle important, voire très important, dans le domaine de l’APD. 64% des sondés considèrent qu’elle y investit suffisamment. Sauf qu’elle ne respecte pas son engagement, son aide atteignant à peine 0,4% de son PIB, contrairement aux pays comme la Norvège, le Luxembourg, le Danemark, la Suède, les Pays-Bas, qui dépassent 0,7%.

Echec de la politique d’aide française

Ledit sondage montre aussi que les Français sont sévères sur l’efficacité de l’aide au développement, d’où la nécessité de l’accroître. La situation des pays africains (destinataires majoritaires de l’aide française) est un constat d’échec pour le programme d’aide français, politisé, soutenant des régimes corrompus et répondant à des préférences inavouées, par opposition à la politique d’aide japonaise qui a contribué à revitaliser l’économie des pays voisins d’Asie de l’Est (qui avaient le même niveau de développement que les nôtres dans les années 1960).

La France avait été épinglée en 2005 par l’Ong ActionAid comme étant le pire des donateurs. 89% de son APD est qualifiée de « fantôme », car lui profitant (financement des consultants expatriés et de la logistique occidentale) et servant ainsi ses intérêts par rapport à l’ « aide réelle ».

Il semble évident que dans nos pays à majorité agricole, l’aide devrait être consacrée prioritairement à l’agriculture. Même si, selon la grande majorité des Français, il faudrait une allocation sectorielle concentrée sur l’amélioration de l’accès à l’eau potable, la mise en place de programmes de santé publique et un meilleur accès aux médicaments... On n’a pas à identifier les projets ou à définir les priorités à la place des bénéficiaires.

Etant donné que plus des deux tiers de nos populations vivent en milieu rural, la priorité devra aller à l’agriculture et au monde rural. Il ne s’agit pas de rejeter toute aide aux autres secteurs vitaux comme la santé, l’eau, l’éducation, mais de prendre en compte les priorités de ces populations pour éviter les dérives de l’APD, qui sont toujours légion.

Pour ce faire, l’aide bilatérale française pour les pays africains devrait concourir à soutenir leur politique agricole pour l’introduction rapide de nouvelles technologies, pour faire des grands travaux d’irrigation, promouvoir l’accès au crédit rural, et surtout réorienter l’ensemble de l’agriculture vers des productions à plus haute valeur ajoutée.

Proposition de réforme

Le problème de l’efficacité de cette aide se pose avec acuité. Cette efficacité passe d’abord par une réforme de la politique d’aide au développement à définir dans une « Charte de l’aide publique au développement ».

Pour la rationalisation de cette politique et sa transparence, il serait souhaitable de regrouper tous les centres de décisions intervenant dans les domaines de la coopération institutionnelle, la coopération décentralisée, du co-développement... au sein d’un ministère chargé de la solidarité internationale pour coordonner tous les efforts de la France (des différents ministères : de l’économie, des finances, des affaires étrangères, de la santé, de la coopération... et des agences gouvernementales comme le Haut Conseil de la coopération internationale, l’AFD, la cellule chargée du co-développement du ministère des affaires étrangères...) et regrouper l’ensemble du budget consacré à l’APD, éparpillé entre différents ministères.

Un tel ministre sera une sorte de médiateur des populations pauvres, chargé de défendre le budget consacré à l’APD et d’œuvrer pour que les flux d’aide en direction des pays en développement soient à un niveau acceptable, à défaut d’atteindre 0,7% du PIB.

Il devra contribuer à harmoniser la politique d’aide française avec les politiques souvent contradictoires des autres pays donateurs en vue d’une meilleure cohérence entre elles pour endiguer la pauvreté dans le monde.

A défaut, on peut créer un conseil national de la solidarité internationale pour regrouper les ministères impliqués dans la gestion du programme d’aide français et servir de lieu d’échange et de dialogue entre les pouvoirs publics et les acteurs engagés dans la solidarité internationale, notamment les ONG, les collectivités locales, et contribuer ainsi à la réflexion dans le domaine de la solidarité internationale.

L’efficience du programme français d’aide passe aussi par le renforcement des capacités gouvernementales africaines à lutter contre la pauvreté, d’autant que la majorité de l’aide et des prêts passe par ces gouvernements. Cela suppose qu’on cesse de soutenir des régimes corrompus comme au Togo, au Cameroun, au Gabon, qui pillent les économies de ces pays. Il faut contraindre ces gouvernements à s’approprier la lutte contre la pauvreté et à mobiliser les moyens internes et externes pour satisfaire les besoins élémentaires de leurs populations. Cela implique de soutenir (par des missions d’observation électorale crédibles, intègres et non partiales) l’organisation des élections libres et transparentes qui pourront permettre de voir se succéder aux affaires des hommes et des femmes animés par l’exigence de résultats, proposant des idées nouvelles et performantes pour sortir résolument nos populations de la misère.

Faute de cela, l’APD de la France restera « fantôme », inefficace et ne servira qu’à financer les dépenses de consommation des gouvernements corrompus. Et les populations africaines, surtout les jeunes, n’auront d’autre possibilité que de chercher à venir en Europe pour fuir la misère.

Contrairement à ce que le Conseil d’analyse économique maintient dans son récent rapport, « La France et l’aide publique au développement », qui analyse la politique menée par la France vis-à-vis de ses partenaires du Sud, la France doit conditionner son aide à une bonne gouvernance politique ou économique pour éviter que les aides soient mal gérées dans les pays destinataires. Il ne faut pas suivre la Chine, qui assoiffée de matières premières, accorde des prêts et des aides sans aucune condition (absence de corruption, meilleure gouvernance économique, progrès démocratique) pour sécuriser ses approvisionnements en matières premières, au risque d’accroître le réendettement des pays africains.

Le Parlement européen a recommandé la mise en place d’une liste noire des pays corrompus, lors de l’adoption d’un rapport d’initiative, « Rapport sur l’efficacité de l’aide et de la corruption dans les pays en développement », le 6 avril 2006.

La France doit donc reformer sa politique d’aide aux pays pauvres pour lutter contre la pauvreté dans ces pays et faire acte de transparence en associant la Cour des comptes au contrôle de l’APD (les pays donateurs maintenant secrète la destination de 25% de leur aide). Cette réforme doit conduire à l’adoption d’une charte de l’APD, à la création d’un ministère chargé de la solidarité internationale pour rationaliser et regrouper l’ensemble du budget (éparpillé entre différents ministères) consacré à l’APD ou la mise en place d’un conseil national de la solidarité internationale.

Elle est convenue, avec les autres pays du G 8, de doubler l’aide publique à destination de l’Afrique d’ici 2010, en la portant à 0,5 % du PIB en 2007, et 0,7 % en 2012. Encore faut-il que sa politique d’aide au développement soit réformée, pour que les populations africaines profitent véritablement de cette nouvelle manne.


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