Faut-il tuer l’emploi au nom de l’abêtissement collectif ?
par Jean Lançon
lundi 28 août 2006
La DGCCRF enquête sur la « loyauté » des comparateurs de prix sur Internet. Une opération au mieux inapropriée, au pire dangereuse.
Les comparateurs de prix sur Internet, et plus précisément kelkoo.fr, acheter-moins-cher.com, pricerunner.com, buycentral.com, leguide.com et monsieurprix.com, seraient actuellement dans le collimateur de la DGCCRF. Le motif : ils sont rémunérés par les sites marchands qui y sont référencés.
Ma première réaction est de dire qu’un comparateur de prix n’a pas vocation à être exhaustif. A plus forte raison si l’on considère qu’au-delà du e-commerce, tout marchand online a une concurrence avérée : le magasin de proximité, pas forcément connecté sur le Net.
Seconde réaction : autant la rémunération de ces comparateurs par les marchands est une évidence, autant la décision finale d’acheter ou non, et à tel endroit plutôt qu’un autre, n’appartient qu’à une seule personne : le consommateur.
Avant d’acheter, que ce soit d’ailleurs sur Internet ou non, le consommateur dispose librement de la possibilité de comparer, et de rechercher autant qu’il le souhaite l’offre qui lui conviendra le mieux. Autrement dit, si vous êtes acheteur compulsif, ou si - pour quelque raison que ce soit - vous vous apercevez après l’achat que vous avez payé votre commande plus cher que vous l’auriez pu, à qui la faute ?
A une heure où le chômage est la première préoccupation des Français, est-il bien raisonnable de mettre un bâton de plus dans les roues des entreprises ? Et est-il bien respectueux, à l’égard du consommateur, de le surprotéger au point de l’inciter à ne plus réfléchir ?
Derrière ces comparateurs il y aussi des emplois : rien que chez kelkoo.fr ce sont 180 personnes qui travaillent (source : societe.com). Est-ce que l’on doit mettre ces emplois en danger sous prétexte que l’on veut faire du consommateur un acteur du commerce totalement assisté ?
Et puis, d’autres questions se posent : le prix est-il le seul argument décisif pour l’achat ? Bien sûr que non. Beaucoup préféreront par exemple payer un peu plus cher mais avoir la faculté de régler en 3 fois sans frais.
Alors oui, on le sait, les comparateurs de prix sont rémunérés par les sites marchands qu’ils référencent. Le principe de cette rémunération est une commission sur les ventes réalisées. Où est le mal ? Cette formule crée et/ou maintient des emplois, tant chez le marchand que chez le comparateur.
Que va demander la DGCCRF ?
Obliger les comparateurs à référencer tous les marchands en ligne qui se présentent, même sans rémunération ? Dans ce cas, pourquoi les autres marchands devraient-ils continuer à payer une commission ? Et à l’inverse, quid des marchands non connectés ?
Qu’une clarification soit effectuée ? Si je m’en réfère à mon expérience passée de commerçant en ligne (200 commandes / jour, 4 M€ de C.A. annuel), plus de 90% des consommateurs ne lisent ni les conditions générales de vente, ni les informations relatives aux délais de livraison (ni même aux frais de port d’ailleurs), ni plus généralement les infos légales et assimilées.
Interdire tout simplement les comparateurs de prix ? Alors si le chômage remonte, il ne faudra pas venir se plaindre.
Quelle que soit l’issue de cette enquête, il est à regretter que le consommateur soit traité comme un acteur incapable de décider par lui-même ; en voulant le défendre, on fait de lui un personnage irresponsable et irréfléchi. Ce n’est ni sérieux ni respectueux.