Finance islamique : une alternative crédible ?

par Pascal de Lima
samedi 6 mars 2010

Au contraire de ce qui a bien pu se produire récemment en Occident au moment de la crise financière, la finance islamique permettrait d’éviter que la finance n’impacte l’économie réelle dit-on. Estimée à 700 milliards de dollars sur le marché mondial, elle est fondée sur deux principes fondamentaux : l’interdiction de l’intérêt c’est-à-dire de l’usure mais aussi la responsabilité sociale de l’investissement. Dans ce cadre, il est admis que la rentabilité financière d’un investissement doit nécessairement être reliée au résultat du projet concret associé. C’est bien dans ce cadre que l’islam interdit les transactions tant civiles que commerciales faisant recours à l’intérêt (ribä), à la spéculation (gharar) ou au hasard (massir). Il est donc d’autant plus admis qu’il est impossible de voir dans cette finance la cause principale d’une crise économique et encore moins celle de Dubaï. Ainsi, elle constituerait aux yeux des observateurs une alternative crédible aux systèmes financiers occidentaux. 

Nous ne voulons pas ici remettre en cause l’existence même de la finance islamique. Par exemple selon Timur Kuran, professeur de sciences-politiques à l’université de Duke, spécialiste des questions relatives à l’Islam, il est établi que les principes théoriques de la finance islamique ont une histoire relativement courte, ayant été formulés en grande partie par le théologien pakistanais Sayyid Abul Ala Maududi à partir des années 1940. Il semblerait que la première banque islamique moderne fût créée en Égypte, à Mit Ghamr aux alentours de 1963. A titre d’exemple, les soukouk sont assez bien connus en Occident, l’équivalent islamique d’une obligation où l’intérêt devient un profit prévu à l’avance à risque quasi-nul. Cette forme d’obligation est particulièrement utilisée pour les financements immobiliers. En 10 ans, le marché mondial des soukouk a atteint un encours de 112 milliards de dollars, et d’ici à 2010, il devrait totaliser 200 milliards de dollars.

Si les marchés de capitaux occidentaux ont souvent privilégié la rentabilité pour les investisseurs, sans se préoccuper suffisamment du risque, surtout, en développant toute une palette de produits dérivés saucissonnés comme des andouillettes, la finance islamique demeurerait bien plus prudente : d’abord, la valorisation et la cotation de ces produits doivent être adossées à des actifs physiques réels, des biens immobiliers ou des matières premières, comme le pétrole ou le blé. Dans ce cadre, tout bénéfice qui proviendrait d’autres produits financiers - en particulier l’intérêt - serait considéré comme de l’usure.

Mais comme pour les autres produits financiers islamiques, la valorisation des soukouk repose donc sur les actifs physiques, et non sur la dette encourue. Le mécanisme s’apparente à celui des contrats de cession-bail portant sur des actifs qui peuvent être des biens dont le loyer servira à payer les souscripteurs de l’emprunt, les biens étant rachetés une fois les soukouk arrivés à maturité. Sauf que la valeur des actifs physiques détermine les forfaits, commissions, loyers, et autres valeurs financières. La valeur d’une obligation dépendra de la valeur de la société émettrice avec partage des profits entre créanciers et débiteurs, la valeur du loyer dépendra de la valeur du bien immobilier selon le même principe, la valeur d’un crédit à rembourser et son système de partage de profit dépendra des profits réalisés par l’entreprise…

Que s’est-il donc passé à Dubaï, bastion et égérie des heures de luxe et de gloire de la finance islamique ? Cette finance si pharaonique mais impétueuse en même temps : 39 milliards de dollars de dette accumulée pour Dubaï’s world (principale monopole économique de cet Etat présent dans tous les secteurs d’activité) et l’incapacité pour sa principale filiale de rembourser des soukouk d’un montant de 2,3 milliards d’euros ! Dérisoire pour une économie au pays des folies des grandeurs. Car si tous les observateurs sont unanimes à avancer qu’en Occident la crise financière a entrainé la crise économique du secteur réelle, à Dubaï, c’est bien la dévalorisation des actifs réels sous jacent aux contrats financiers islamiques qui a poussé la finance à l’implosion. La crise immobilière précéda la crise de crédit. L’économie précéda la finance et non l’inverse comme en Occident. Il est donc bien présomptueux d’en parler en terme « d’alternative crédible ». 

Pascal de Lima est économiste en chef – Altran Financial Services – et enseignant à sciences-po


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