Financement de la dette et des investissements nécessaires

par André-Jacques Holbecq
vendredi 24 décembre 2010

Cet article est paru en première sur le blog de Jean Gadrey (Alternatives économiques) le 28 novembre 2010. Vous pouvez vous y rendre pour lire les commentaires.

Comment ne pas être d’accord avec Jean Gadrey [1], comment ne pas vouloir mettre plus de justice fiscale et faire payer des impôts équitables à ceux qui, à ce jour, bénéficient d’avantages fiscaux considérables, impôts dont la perception permettrait effectivement une « relance durable ».

Car nous avons deux problèmes à résoudre simultanément.

Le premier problème est donc de trouver les financements de la relance durable et de la transition énergétique sans simultanément augmenter la dette ni les prélèvements sur les classes moyennes déjà exsangues. Et là je pense qu’une partie de ces plus ou moins 100 milliards d’euros annuels à récupérer, estimation tout à fait cohérente de Jean, trouvent ici leur place.

Le second problème c’est celui du remboursement de la dette publique à chaque échéance des titres de dette. Les prêteurs (banques, fonds de pension, assurances-vie pour les plus importants), voyant notre dette augmenter, deviendront plus gourmands. Si nous voulons faire honneur à notre signature [2] en plus d’éviter de devoir emprunter les intérêts que nous ne pouvons de toute façon pas prélever d’un budget primaire équilibré, il va bien falloir trouver une autre solution.

Quelques données.

Rapportée en euros 2009 la dette publique (dette « au sens de Maastricht » des administrations publiques – APU - qui comprennent l’État, les administrations publiques locales et les administrations de sécurité sociale) était à fin 1979 de 239 milliards d’euros, soit 21% du PIB

A fin 2009, elle atteignait 1489 milliards et 78% du PIB et sera en fin d’année à plus de 1600 milliards.

Sa croissance est due à l’accumulation, année après année, des déficits des budgets de ces APU, ce qui correspond sensiblement aux besoins de financements.

Il est malheureusement impossible d’obtenir de l’INSEE le montant exact des intérêts payés chaque année au titre de cette dette « au sens de Maastricht » [3] : nous sommes donc obligés de les calculer, et de ce fait si on peut toujours ergoter de quelques pourcents sur les chiffres, nous estimons que la précision du calcul (issu du graphique de la page 7 du « Rapport sur la situation des finances publiques » de Paul Champsaur [4] ) est pertinente.

Nous obtenons donc d’une part le cumul des intérêts « payés » (courbe en tirets mauves) pour un total d’environ 1340 milliards d’euros depuis 1980, et d’autre part, en les déduisant chaque année de la dette constatée (courbe noire), l’estimation de l’évolution de la dette calculée sans intérêts (courbe rouge), dette qui, s’il n’y avait pas eu ces intérêts à financer par de nouveaux emprunts, serait sans doute inférieure à celle de 1979, de l’ordre de 9% du PIB actuel [5]

(graph1)

Chaque jour, c’est 130 millions d’euros [6] que nous devons emprunter rien que pour “payer” les intérêts ; chaque jour la dette ne peut augmenter que de 130 millions, sauf à augmenter les impôts pour payer les plus riches, ceux qui détiennent cette dette.

La spirale est infernale et sauf inflation forte il est évident que nous ne pourrons jamais ni rembourser la dette, ni même payer les intérêts dans le système actuel.

L’origine de cette dette tient donc principalement dans l’impossibilité pour l’État et les Administrations publiques d’emprunter auprès de notre propre Banque de France comme ils pouvaient le faire avant 1973 [7] et surtout dans l’article 104 de Maastricht (ou 123 de Lisbonne) [8]

Hypothèses d’évolutions

Afin que chacun puisse se rendre compte, voici quelques hypothèses d’évolution de la dette publique à partir de 2011 (dette estimée de 1600 milliards d’euros). Nous avons considéré ici non pas un remboursement de la dette mais un investissement de 50 milliard annuel, en euros constants, qui viendrait s’ajouter aux intérêts dus. Il est tout à fait clair que nous n’avons pas voulu faire peur au lecteur en considérant que les taux d’intérêts pourraient exploser…

(graph2)

Quelles solutions ?

La seule solution est donc permettre à notre Banque de France (qui est nationalisée ce qui nous permet in fine de ne pas payer d’intérêts), de monétiser chaque année en contrepartie d’Obligations à Terme Indéterminé au moins une centaine de milliards d’euros dont une première partie servirait à payer les intérêts de la dette pour éviter que celle-ci n’augmente et une seconde partie (le solde) afin de racheter des titres arrivant à échéance. Nous nous plaçons évidemment dans l’hypothèse où les soldes primaires (c’est-à-dire sans intérêts) des APU sont équilibrés.

Ce montant semble important, mais il ne représente la première année que sensiblement 5% de la masse monétaire « française » - M3 – qui est d’environ 1900 milliards d’euros.

L’objection habituelle à cette proposition tient en général dans ces trois syllabes : in-fla-tion

A ceci on peut répondre que même si l’on fait semblant de croire aux thèses monétaristes, l’émission centrale d’une centaine de milliards d'euros par an ne devrait pas poser de problème si dans le même temps les banques commerciales sont « bloquées » dans leur capacité d'émettre plus de monnaie que les crédits aux particuliers et aux entreprises arrivant à échéances, en régulant (par exemple) par une augmentation des taux des réserves obligatoires.

Comme le montre ce petit tableau qui suit, et en considérant des taux d’intérêts stables de 3% et une petite inflation de 2%, en 17 ans la dette que nous avons accepté de laisser grossir depuis plus de 30 ans aura disparue.

(graph3)

Ces pistes [9] permettent d’envisager les moyens de s’en sortir, et, comme conclue Jean Gadrey dans l’article précédent, « […] sans imposer aux peuples une cure d’austérité punitive qui risque fort de les plonger dans des difficultés plus graves encore. »


[1] Sur les dettes publiques en France et en Europe
[2] Un défaut partiel ou total sur la dette serait évidemment une solution beaucoup plus expéditive : oublions-là pour le moment.
[3] Réponse de l’INSEE en août 2010 « L'information recherchée (charge de la dette) ne correspond pas à un agrégat de la comptabilité nationale et ne figure donc pas dans les résultats publiés »
[4] http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/104000234/0000.pdf
[5] Le lecteur intéressé par les calculs pourra trouver le développement de ceux-ci sur la page http://monnaie.wikispaces.com/Arnaque
[6] C’est par exemple, par jour, 13000 voitures moyennes, 3 Airbus A320 dont 2 sont « cadeau » à l’étranger, ou la moitié de ce que reçoivent annuellement les « restaurants du cœur » en dons et legs
[7] La loi du 3 janvier 1973 avait interdit au Trésor Public de présenter ses propres effets à l’escompte de la Banque de France
[8] Dont l’intitulé est le suivant « Il est interdit à la BCE et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées "banques centrales nationales", d'accorder des découverts ou tout autre type de crédits aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. »

[9] Il en existe une autre qui plairait beaucoup moins aux banquiers ; c’est le « 100% monnaie » que je ne peux pas développer ici sans abuser de la gentillesse de mon hôte. Le lecteur intéressé pourra lire un excellent article de Christian Gomez, téléchargeable sur l’adresse suivante http://osonsallais.files.wordpress.com/2010/02/gomez-100.pdf dans lequel l’auteur affirme « Tous calculs faits , les gains résultant de la réforme monétaire pour la zone Euro se solderaient en régime de croisière, tous les ajustements réalisés, par : (1) un effacement au 2/3 de la dette publique (sur la base des chiffres 2007), (2) des ressources budgétaires supplémentaires de l’ordre de € 400 mds soit environ 4.5 % du PIB de la zone euro En première approximation, l’impôt sur le revenu pourrait être réduit de 50% à l’échelle européenne en régime de croisière, toutes choses égales par ailleurs. »

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