Flambée des prix

par Ingrid Leddet
samedi 16 mai 2020

Si nous voulons une société plus humaine, plus altruiste, plus équitable, saisissons cette opportunité de nous adapter aux changements que la pandémie nous impose. L'Etat centralisateur est nécessaire, mais il a ses limites et ses travers. Les Français sont responsables de leur propre destin et de leurs relations avec les acteurs économiques.

FLAMBEE DES PRIX – POUVOIR D’ACHAT EN BERNE

L’après-coronavirus est souvent comparé à l’après-Seconde Guerre mondiale. Certains économistes et responsables politiques préfèrent évoquer le contexte d’une reconstruction, plutôt que celui d’une reprise économique. Les conséquences seront effectivement transversales. Elles nous toucheront à tous les niveaux, du fonctionnement du noyau familial jusqu’à la position géopolitique de la France, en passant par le niveau de vie des Français.

En 1945, les « détenteurs de monnaie » se sont trouvés contraints d’épargner pendant une bien plus longue période que celle du confinement que nous connaissons actuellement.

Tandis que l’expérience du temps de guerre a mis en relief l’incapacité des commerçants à déterminer les prix des produits qu’ils vendaient, en 2020 la question qui commence à se poser est celle de l’augmentation des prix de vente au consommateur par rapport aux prix du premier trimestre 2020.

Dans un article intitulé « Contrôle des prix et politique économique », paru dans le Revue économique en 1953, Raymond Barre, alors jeune professeur de sciences économiques, écrivait que concernant la nécessité d’une intervention de l’Etat (directe ou indirecte), la question était mal posée. Selon lui, « le choix de la politique dépendra de l’objectif à atteindre, de l’ampleur du déséquilibre à combattre, de la structure de l’économie ; elle dépendra aussi des possibilités d’utilisation des techniques d’intervention en fonction des conditions politiques, sociales et psychologiques, car, comme toute politique, la politique économique est un art ».

Alors que l’Allemagne vient d’entrer officiellement en récession en mai 2020, il n’est pas inutile de se projeter en avant en considérant le passé. Si les Allemands ont toujours nourri une forte aversion à l’inflation depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en souvenir des traumatismes connus dans les années 1920 où l’inflation avait détruit leur monnaie, les gouvernements français de l’après-guerre ont aussi souvent désigné l’inflation comme le mal de l’économie. Dans les années 1950, il s’agissait de restaurer les mécanismes concurrentiels en instaurant la « vérité des prix », ou de recourir à des méthodes comme le blocage des prix et des salaires, l’encadrement du crédit, la pression fiscale. (« Après la récession… inflation ou déflation ? » Cercle Turgot).

A présent, l'objectif du gouvernement d’Angela Merkel est d'accélérer la relance économique. Un rebond est attendu outre-Rhin dès 2021, avec une croissance de 5,2% grâce à une relance de la production.

Bien que la plupart des économistes de tous temps résistent contre un contrôle des prix, celui-ci a été utilisé comme une arme efficace contre l’inflation post-récession.

En 2020, la dette nationale française atteint les 115% et les dettes entre les entreprises s’élèvent à 159%. D’un point de vue macro-économique, la comparaison avec la décennie qui a suivi la Seconde Guerre mondiale n’est plus pertinente, bien que le terme « plan Marshall » soit souvent repris, depuis plusieurs années, par les responsables politiques autant à l’échelle nationale qu’européenne.

A propos des conséquences de la pandémie dans la vie quotidienne des Français, il faut distinguer le pendant et l’après-confinement.

Tandis que l’épargne forcée est estimée par l’OFCE à 60 milliards d’euros, 50% des Français ont répondu à une enquête qu’ils comptent dépenser moins après le 11 mai, date officielle du déconfinement. Un salarié sur trois craint de perdre son emploi, ce qui l’incitera à être prudent dans ses dépenses.

Les mesures d’aides du gouvernement aux particuliers pendant l’épidémie telles que le chômage partiel, qui concerne plus de 12 millions de personnes, et les diverses indemnités exceptionnelles, sont nombreuses. Parallèlement, un fonds de solidarité de 7 milliards d’euros sera versé aux entreprises, commerçants, artisans, indépendants pour soutenir la reprise de leur activité, accompagné dans certains cas d’une exonération des charges patronales et fiscales. A cela s’ajoute la subvention destinée à financer les équipements de protection sanitaire, utilisés par les entreprises de moins de 50 salariés, qui sera accordée par la branche "Accidents du travail et maladies professionnelles" de l'Assurance maladie à partir du 18 mai.

La question qui se pose est de savoir si ces aides considérables de l’Etat permettront aux bénéficiaires de ne pas augmenter ou de modérer leurs prix.

Dès le mois de mars, on a pu constater une augmentation des prix « relatifs » due aux produits frais qui ne sont plus importés et à une préférence pour les produits « made in France ».

Pour ne citer que quelques artisans et commerçants comme les salons de coiffure et le secteur de l’habillement, ils ont déjà annoncé qu’ils augmenteraient leurs prix, ne serait-ce qu’en fonction des frais supplémentaires générés par gestes barrières, les mesures de distanciation physique et les contraintes de nettoyage. Mais est-ce la seule raison ? Pourtant, nombreux sont les propriétaires de parcs immobiliers qui ont accepté de renoncer à trois mois de loyer pour les TPE de moins de 10 salariés dont le chiffre d’affaires est inférieur à un million d’euros.

Récemment, sur ses intentions de rattraper son manque à gagner, une fleuriste a répondu que « non », que ses prix augmenteront proportionnellement à la hausse des frais de transport et aux conséquences de la destruction des plantes et des fleurs invendues. La destruction des produits agricoles non vendus provoquera également une hausse des prix aux consommateurs. Cette hausse sera-t-elle contrôlée ? L'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires devrait tenir le public au courant.

Plus regrettables encore sont des tentatives d’abus sur les prix de vente du gel hydroalcoolique qui ont obligé le gouvernement à encadrer les prix dès le 5 mars. Sur les grandes plateformes de e-commerce, les prix des masques anti-virus ont explosé jusqu’à une hausse de 296% fin janvier. Un épicier dans l’Oise vendait de faux masques anti-coronavirus à « prix d'or ». Quant à certains grands distributeurs, ils avaient également prévu des marges importantes sur la vente des masques anti-virus. Début mai, le gouvernement a annoncé un plafond pour les prix des masques « officiels », ce qui exclut, bien sûr, la vente des masques en tissu dont les marques de mode et les boutiques de prêt-à-porter se sont aussitôt emparées.

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne chômera pas dans les semaines et les mois qui viennent, à condition que ses effectifs soient suffisants.

UN RESSENTI DES PRIX

Outre l’augmentation réelle des prix par rapport à leur pouvoir d’achat, les consommateurs sont sujets à un « ressenti » de la hausse des prix, telle la température « ressentie » évaluée par les météorologues.

Ainsi, après le passage à l’euro en 1999, aucun gouvernement n’a voulu reconnaître une hausse des prix. Cependant, des études tardives ont révélé que les commerçants ont profité du taux de conversion du franc à l’euro en arrondissant les prix en leur faveur et en profitant de l’effet psychologique des prix affichés : une tablette de chocolat à 3 euros était « ressentie » comme étant moins chère qu’à 20 francs.

De même, les automobilistes se plaignent depuis toujours que la baisse du prix du baril de pétrole n’est jamais complètement répercutée dans le prix à la pompe, contrairement à la hausse.

Dernier exemple, en 2009 le taux de TVA dans la restauration est passé de 19,6% à 5,5%. Les clients des cafés et restaurants ont estimé ne pas avoir profité de cette baisse significative des prix au consommateur.

Alors que certains reprochent à l’Etat une ingérence excessive dans la vie des citoyens et au gouvernement son omnipotence, il faudrait pouvoir compter sur l’auto-régulation des commerçants et des artisans, en citoyens responsables et conscients du rôle fondamental qu’ils joueront dans la reconstruction du pays, après cette crise sanitaire dont les lourdes conséquences économiques et sociales ne peuvent pas encore être évaluées.

La Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) désigne la prise en compte par les entreprises des enjeux sociaux et éthiques dans leurs activités. Le covid-19 représente une opportunité pour les entrepreneurs de mettre en application cette volonté d’engagement et de solidarité.

Leclerc et d’autres grands distributeurs ont annoncé le blocage des prix sur (presque) tous leurs produits jusqu’au 24 mai prochain. Y aura-t-il une prolongation ?

Les consommateurs aussi devraient faire preuve de responsabilité non seulement en respectant les consignes de sécurité sanitaire, mais aussi en participant au contrôle des prix des produits de base et des prestations des artisans. Certaines applications de comparateurs de prix des produits alimentaires et autres, telles que Prixing pour smartphone, offrent des possibilités encore incomplètes. Il faudrait pouvoir ajouter les produits et les prix des supermarchés de quartier et des magasins alimentaires de proximité, afin de les mettre à jour et signaler les promotions « en temps réel ». Certains utilisateurs proposent un système qui permettrait de prendre en photo son ticket de caisse afin d'actualiser les prix de tous les produits instantanément. Un système de partage des données ouvert à tous, mis à jour régulièrement par les utilisateurs, et géolocalisable, permettrait de contrôler efficacement les prix en programmant sa liste de courses la moins chère par rapport au meilleur trajet de déplacement dans les magasins de proximité. Avis aux geeks !

Ingrid Leddet

14/05/2020


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