Flop Auction !

par Antoine Nivard
mardi 22 avril 2008

En 2007, Steve Jobs, le célèbre dirigeant d’Apple, a touché en guise de rémunération un salaire symbolique d’... un dollar. Et c’est ainsi depuis 1997 : un dollar de salaire annuel pendant dix ans sans une seule augmentation. Une telle rémunération représente pour une société comme la nôtre un bel acte de simplicité, de détachement aux valeurs matérielles et de privation. Mais ce serait oublier les 14 millions de dollars américains de stock-options que le dirigeant de la firme californienne a préféré s’octroyer pour contrebalancer son geste symbolique. Hélas, Steve Jobs n’est pas le seul amateur de stock-options et il y a de nombreuses raisons à cela.

Au départ, les stock-options représentaient un outil intéressant pour les entreprises innovantes qui ne disposaient pas de capitaux nécessaires à leur financement, mais qui désiraient attirer les meilleurs dirigeants à leur tête. Les stock-options furent populaires dans les années 90 pour cette raison et elles permirent le développement de nombreuses « start-up ». On voyait aussi dans cet outil un tout autre objectif intéressant et très en vogue aux États-Unis et en Europe dans le sens où les stock-options alignent les intérêts du dirigeant avec ceux de l’actionnaire. Le principe est simple : plus la valeur de l’action monte, plus la rémunération du dirigeant est potentiellement importante et donc plus les dirigeants ont intérêt à faire croître le cours de l’action.

Jusque-là, tout le monde est heureux ; tout le monde y gagne. Mais les choses sont bien moins simples. En effet, il apparaît évident que la valorisation d’un titre n’a parfois rien à voir avec les efforts des dirigeants. Dans un contexte favorable des marchés, les dirigeants d’entreprises ont énormément profité des gains tombés du ciel boursier. Par exemple, dans les années 90, en pleine spéculation boursière, la rémunération des PDG américains connaissait une croissance annuelle moyenne de 38 %. Les stock-options étaient à la mode et on a vu certaines pratiques curieuses se multiplier. En 1999, John Chambers, dirigeant de Cisco (qui avait lui aussi fait acte de symbolisme en réduisant son salaire annuel à 1 $ US), recevait 6 millions de dollars américains de stock-options alors que la même année l’entreprise perdait 1 million de dollars. Le pic fut atteint en 2001 lorsque le PDG d’Oracle Corporation, Larry Ellison, bénéficia de 701 millions de dollars dans l’année suite à l’exercice de ses stock-options.

Les amateurs du « tout-en-bourse » n’y verront toujours aucun inconvénient puisque, après tout, les dirigeants prennent des risques énormes en confiant leurs rémunérations au marché boursier, qui leur ferait moins de cadeau en cas de choc. Et, là, les choses sont encore plus complexes. La plupart des PDG de grandes entreprises étaient bien trop habiles pour accepter les sanctions du marché et ils parvenaient à faire valoir avec succès qu’il serait injuste d’être pénalisé pour un effondrement général de la Bourse. Le seul perdant dans l’émission de stock-options serait alors l’actionnaire. Aux États-Unis, cet inconvénient majeur couplé à certaines affaires de stock-options antidatées ont fait l’objet de plusieurs plaintes d’actionnaires en 2006 sur les conditions d’attribution de stock-options aux PDG et de nombreuses entreprises ont commencé à modifier leurs pratiques. En 2004, une étude du cabinet Deloitte a révélé que 75 % des entreprises américaines remettent en cause leur stratégie face à cet outil de rémunération différé.

Il n’en reste pas moins que les stock-options restent très largement utilisées pour rémunérer les dirigeants d’entreprises. Par ailleurs, les États-Unis sont depuis longtemps une source d’innovation dans tous les domaines : leurs idées, leurs produits s’exportent. Leurs outils financiers également, au grand dam des Européens. Une étude de Hay Group sur les 50 premiers patrons européens, publiée le 1er février dernier, met au jour les salaires de ces dirigeants. Les Français sont les mieux placés dans le classement et « c’est [aussi] en France que la part des stock-options dans la rémunération totale est la plus élevée d’Europe, même par rapport aux États-Unis ». Une étude qui tombe très mal, au moment où Daniel Bouton, rendu célèbre mondialement en une semaine pour être dirigeant de la Société générale, empoche 7 millions d’euros suite à la cession de ses stock-options au 31 décembre 2007.


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